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22/05/2018

Elections au Liban : tout ne fait que commencer

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Elections au Liban : tout ne fait que commencer
 Joseph Bahout
Auteur
Non-resident scholar au Carnegie Endowment

Les élections législatives libanaises du 6 mai dernier sont révélatrices de la situation politique du pays, entre divisions internes, enjeux régionaux et défis polymorphes. Comment interpréter les résultats de ce scrutin ? Joseph Bahout, visiting scholar au Carnegie Endowment à Washington DC, spécialiste du Moyen et du Proche Orient, nous explique les conséquences de cette élection, la première tenue depuis 2009.

Quels sont les principaux apprentissages de cette élection ?

Si de nombreux commentateurs internationaux font le constat d’un scrutin boudé par la population libanaise, la réalité est plus nuancée. La participation, de 49,2 %, n’est inférieure que de 5 % à celle observée lors des dernières élections législatives, tenues en 2009. En réalité, la nouvelle loi électorale définissant une représentation proportionnelle n’a pas été comprise par le grand public et n’a pas réussi à mobiliser les électeurs, alors qu’il s’agissait là de son principal objectif. La faible participation s’explique aussi par l’estompement du clivage politique fort entre les deux grandes formations - 8 et 14 mars - et donc l’édulcoration des grands enjeux autour desquels les libanais se sont jusque-là alignés.

Au lendemain de l’élection, les rapports de force au Parlement libanais sont les suivants :

  • Au sein du bloc du changement et de la réforme, proche du président Michel Aoun, le nombre de députés augmente pour atteindre 29 (sur un total de 128 députés), en prenant en compte les députés affiliés au Courant patriotique libre (CPL), ce qui renforce de facto le pouvoir du président. Parmi les nouveaux députés affiliés, beaucoup sont des hommes d’affaires représentant un bloc économique d’appui au pouvoir. Néanmoins, malgré cette apparente victoire, le CPL ne peut masquer sa perte d’influence dans ses bastions électoraux traditionnels où il doit désormais partager le pouvoir avec les Forces libanaises. 
     
  • Le Hezbollah, quant à lui, sort intact de cette élection et conserve ses 13 sièges. Par ailleurs, le passage à une représentation proportionnelle renforce sa position dans un Parlement au sein duquel les forces politiques sont davantage dispersées. En additionnant les résultats du Hezbollah et ceux des chiites du mouvement Amal (16 députés), des chrétiens du Courant patriotique libre du président Michel Aoun et du Parti socialiste progressiste (9 députés), la coalition obtiendrait une majorité de 67 sièges au Parlement.
     
  • Les Forces libanaises, quant à elles, doublent le nombre de leurs députés, de 7 à 14 (voire 17 en prenant en compte les affiliés des phalanges libanaises). Avec certaines de ces victoires dans des régions où les chrétiens de ce parti n’avaient jusqu’alors jamais eu de députés, c’est un véritable revers pour le président Aoun qui perd du terrain parmi cet électorat chrétien. Cette nouvelle force va assurément peser sur les équilibres futurs, notamment du point de vue saoudien.
     
  • Quelle est donc la performance du Premier ministre Saad Hariri ? Les prédictions se sont avérées fondées, le Courant du Futur perdant un tiers de ses députés notamment dans ses bastions sunnites traditionnels (dont Tripoli où il est fortement devancé par Nagib Mikati et Beyrouth), pour désormais atteindre 21 députés, une partie de ces derniers n’étant de surcroît pas entièrement acquis au Premier ministre. Hariri perd ainsi le monopole de la représentation sunnite et se voit contesté par de nouvelles figures, ce qui risque de complexifier son retour au pouvoir.  
     
  • Le parti socialiste progressiste de Walid Joumblatt limite les dégâts et continuera de partager la scène druze avec son compétiteur, l'Émir Talal Arslan. En conservant neuf députés, il maintient ainsi son rôle de balancier au sein du Parlement.
     
  • L’originalité du scrutin est sans doute le retour assez fracassant de figures pro-syriennes (laissant la voie ouverte à la constitution d’un bloc bachariste) qui avaient quasiment disparu en 2005. Ce phénomène découle de la stratégie du pouvoir syrien, qui vise à revenir sur le devant de la scène politique libanaise par le biais d’une force politique propre. L’ensemble des élus provenant de la Békaa, acquise à l’influence syrienne, est d’autant plus visible depuis les récentes victoires militaires du pouvoir syrien. 
     
  • Enfin, la société civile, en dépit de l’engouement des commentaires, affiche en réalité une très faible performance avec l’élection d’une seule députée, à Beyrouth, Paula Yacoubian, figure davantage médiatique que politique. 

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Quels sont les équilibres à venir sur la scène politique libanaise ?

Dans les heures qui ont suivi les élections, le Hezbollah a marqué les esprits avec la parade de centaines d’hommes à mobylette agitant des drapeaux du Hezbollah et du mouvement Amal dans plusieurs quartiers de Beyrouth, et singulièrement dans les quartiers à dominante chrétienne. Cette démonstration de force n’avait rien d’innocent et adressait plusieurs messages :

  • Le premier message était adressé au président de la République, Michel Aoun, allié du Hezbollah. Si ce dernier a affirmé que son mandat commencerait une fois la majorité acquise, le Hezbollah tient à rappeler que celle-ci dépend toujours de ses alliés. 
     
  • Le second message était adressé au Premier ministre Saad Hariri. Affaibli politiquement, le Hezbollah lui démontre que son retour au gouvernement ne sera pas facile, pris en otage par le Hezbollah en raison de la perte du soutien de son propre bloc, tandis que sur sa droite, le bloc des forces libanaises est l’outil privilégié de la politique saoudienne. Saad Hariri va devoir convaincre qu’il est bel et bien le garant de la stabilité du pays pour espérer rester à la tête du gouvernement. En faisant une alliance avec le président, il tente d’amenuiser la force du Hezbollah mais risque bel et bien de perdre le soutien traditionnel saoudien et de voir sa popularité s’effriter au sein de la communauté sunnite. 
     
  • Le dernier message est un message de prévention à destination des forces chrétiennes montantes : leur succès électoral ne change rien à la réalité du terrain. 

Il est attendu qu’Hariri négocie son retour à la tête du gouvernement malgré une majorité diminuée car éventuellement sans le soutien des forces libanaises. La formation d’un gouvernement s’annonce donc compliquée, avec l’imposition de personnalités venu du bloc syrien avec lesquelles Hariri ne souhaite pas travailler. C’est l’esquisse d’une nouvelle vie politique qui voit opposer un nouveau camp souverainiste face au bloc du 8 mars avec à terme un enjeu dans les esprits de tous : la nouvelle bataille pour la prochaine élection présidentielle, prévue en 2022.

Que doit-on ainsi attendre des années à venir ? 

Un enjeu économique 

La fin de la période électorale sera l’occasion pour le pays de se pencher sur un enjeu principal : la désastreuse situation économique du pays. Celui-ci se trouve en effet au bord de la faillite et face à l’impératif de mener des réformes pour lesquelles il s’est engagé en contrepartie d’une aide financière de la part de la communauté internationale. Avec près de 40 % de chômage dans un pays accueillant plus d’un million et demi de réfugiés syriens, le délabrement des services publics sur fond de corruption de la classe politico-administrative, la pression du secteur bancaire s’accroît d’autant plus que de nombreux experts financiers prédisent la faillite de l'État. Cela explique l’organisation par la France, en avril dernier, d’une conférence internationale de soutien réunissant les représentants de plusieurs pays arabes et européens, d'institutions financières régionales et internationales (la Conférence "CEDRE" de soutien au Liban), mais dont les promesses de financement resteront extrêmement conditionnées aux réformes à mettre en œuvre par le Liban.

L’enjeu du Hezbollah au sein de la société libanaise et dans le contexte des tensions régionales

Il s’agit d’éviter un nouveau conflit qui pourrait provoquer un véritable désastre dans un pays sous pression. Le président de la République, souhaitant trouver un équilibre interne, pourrait être amené à défendre l’idée que l’armement du Hezbollah devrait être légalisé. S’il n’est pas question de désarmer le Hezbollah, il s’agit davantage d’intégrer ses forces dans l’appareil militaire officiel. Cela devrait être le point principal de l’agenda du Dialogue national qui se nouera sans doute, sous l’égide de Michel Aoun, avec, pour le Hezbollah, l’avantage de laisser la classe politique discuter de cette question, et donc de la "banaliser".

L’enjeu des élections présidentielles de 2022

Les forces politiques au sein du Parlement seront très vite amenées à s’affronter sur l’enjeu que représente la prochaine élection présidentielle. Si le gendre du président ambitionne d’en être le successeur, on peut observer une montée en puissance des forces libanaises et du bloc syrien, ce dernier comptant bien s’organiser autour de la figure de Soleimane Frangié. La vie politique libanaise risque donc de tourner autour de cette élection, quand bien même le pays fait face à une crise économique majeure et une guerre régionale qui semble imminente. 
 

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