Rechercher un rapport, une publication, un expert...
L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.
26/04/2018

Elections au Liban : beaucoup de bruit pour rien

Imprimer
PARTAGER
Elections au Liban : beaucoup de bruit pour rien
 Joseph Bahout
Auteur
Non-resident scholar au Carnegie Endowment

Les prochaines élections parlementaires libanaises seront sans doute les plus ternes depuis la fin de la guerre civile en 1990. Cependant, elles nous disent quelque chose de l’état de la vie politique dans le pays.

Au moment du scrutin législatif, le 6 mai prochain, cela fera presque une décennie que les dernières élections auront eu lieu au Liban. Pendant cette période, le pays a subi de nombreuses transformations. 

Le conflit qui existait entre les deux formations politiques rivales du Liban - les Alliances du 8 mars et du 14 mars* - s’est évaporé. En revanche, la promesse d’un Etat plus efficace n’a jamais été tenue, et les Libanais ont continué à souffrir d’importants problèmes nationaux, comme les coupures d'électricité récurrentes, une crise majeure dans la gestion des déchets et une situation économique de plus en plus alarmante. 

"Aucune surprise de taille ne semble apparaître à l’horizon ; il n’y a pas d’enjeux politiques majeurs ou de programmes mobilisant l’attention des électeurs"

Ces élections seront basées sur une forme atypique de représentation proportionnelle, permettant d’altérer les schémas historiques des comportements électoraux. La nouvelle loi électorale divise en effet le Liban en 15 circonscriptions, inégales en taille, en nombre d’élus et en nombre de votants. Certaines de ces circonscriptions sont la somme de plusieurs districts administratifs plus petits (qada’), certaines sont formées d’une seule qada’ et d’autres d’un seul gouvernorat (muhafaza), le district administratif le plus large. Un tel charcutage électoral est bien entendu le résultat des intérêts politiques personnels de ceux qui ont négocié la loi.  

En théorie, ces élections  auraient dû représenter un moment clé pour le renouveau de la vie politique et celui des élites, tout en suscitant une opportunité de discuter de la manière de résoudre les difficultés du pays. Elles auraient aussi pu être un moyen d’examiner à quel point la nouvelle législation sur le mode de scrutin à la proportionnelle modifie le paysage politique libanais. 

A la place, tout indique que le Liban se dirige vers l’une des élections les plus ternes depuis la fin de la guerre en 1990. Aucune surprise de taille ne semble apparaître à l’horizon ; il n’y a pas d’enjeux politiques majeurs ou de programmes mobilisant l’attention des électeurs. Les divisions politiques du passé ont laissé place à un réseau parfois surréel d’alliances opportunistes. Par ailleurs, les nouvelles forces politiques ayant émergées de la société civile libanaise n’ont pas réussi à répondre aux attentes qu’elles avaient fait naître chez les citoyens. 

A l’exception de l’alliance chiite du Hezbollah et du mouvement Amal, les autres forces politiques majeures du Liban n’ont pas réussi à former des listes électorales au niveau national. Certaines sont alliées dans des circonscriptions et en concurrence dans d’autres. Dans plusieurs circonscriptions, des forces politiques de nature presque identique ont formé des alliances les unes contre les autres, simplement à cause de rivalités personnelles. Tout cela au détriment d’un programme électoral cohérent, ce qui a fini par troubler les électeurs. 

Que faudra-t-il observer le jour de l’élection qui puisse nous informer sur l’état général de la politique libanaise ?

"Ce qui adviendra des principaux partis chiites, le Hezbollah et Amal, aura une influence déterminante sur la suite des événements"

En premier lieu, la performance du Premier ministre Saad Hariri. Ceci est d’autant plus important après l’épisode de novembre dernier durant lequel, alors qu’il se trouvait en Arabie saoudite, il avait été poussé à démissionner, avant de revenir sur cette décision. Par la suite, le Premier ministre a été à nouveau accueilli à bras ouverts par les Saoudiens, même si cela n'impliquait pas qu’il favorise une coalition politique avec les partis membres de l’Alliance du 14 mars, que les Saoudiens désiraient alors. Au contraire, la décision de Hariri de s’allier avec le Courant Patriotique Libre du Président Aoun et de son gendre Gebran Bassil s’est concrétisée, et Hariri tente de la légitimer en prétendant qu’elle détournera Aoun et Bassil du Hezbollah

Hariri voit dans sa relation avec Aoun une assurance qu’il restera Premier ministre après les élections. Cependant, la démission de Hariri en Arabie saoudite et ses conséquences ont fait avorter un rapprochement entre Aoun et le deuxième parti politique chrétien, les Forces Libanaises. 

Ceci est la résultante de l'image dont Forces Libanaises s'est parée suite à cette affaire : celle d'opposants à l'alliance entre Hariri et Aoun, et à leur manière d’exercer le pouvoir. La prochaine élection présidentielle, qui aura lieu dans cinq ans, sera fortement marquée par la relation entre les partis chrétiens, cherchant tous deux à s'emparer du rôle de principal représentant de la communauté chrétienne au Liban

C’est pourquoi, une élection en particulier influencera la trajectoire du leadership chrétien maronite, et pourrait même être vue comme une primaire avant les présidentielles. Elle se déroulera dans le district nord de Bsharri-Zghorta-Koura-Batroun, où trois hommes politiques chrétiens maronites majeurs, candidats à l’élection présidentielle, joueront en partie leur avenir, même s’ils n’y sont pas tous candidats eux-mêmes : Bassil, le leader de Forces Libanaises, Samir Geagea, et le leader des Marada, Suleiman Franjieh. La performance de chacun de ces candidats déterminera leur légitimité à se poser comme successeur d’Aoun. 

De son côté, l’Alliance du 8 mars s’est révélée être bien plus résiliente et capable de limiter sa fragmentation comparée au 14 mars. Cela ne veut pas dire qu’aucun problème potentiel ne subsiste. Ce qui adviendra des principaux partis chiites, le Hezbollah et Amal, aura une influence déterminante sur la suite des événements. De nombreux indicateurs montrent que ces deux partis ont perdu une partie du lien avec leurs électeurs. Cela pourrait être la conséquence du rôle du Hezbollah dans le conflit syrien, qui a épuisé la communauté chiite. Il se pourrait également que les chiites, comme toutes les autres communautés libanaises, souffrent des échecs de leurs représentants politiques. Il est également possible que le nouveau système électoral ait ouvert la porte à l’entrée dans la vie politique des opposants aux deux partis majeurs de la communauté chiite. Dans les deux zones à majorité chiite, le Sud-Liban et le nord de la Bekaa, des forces politiques alternatives, relativement bien organisées, ont émergé et s’opposent au Hezbollah et à Amal, bien que leur capacité à affecter le pouvoir de ces partis restera probablement limitée. 

À travers leurs relations avec leurs autres alliés, le Hezbollah et Amal ont aussi dû faire face à la volonté croissante de ces autres forces politiques de s’affirmer. Ainsi, le Hezbollah a affiché son irritation vis à vis de Bassil, le stratège du camp aouniste, lorsque ce dernier a tenté de dicter les termes pour la formation de listes communes avec ses proches alliés.

Tout cela mène à une question que nombre de personnes se posent au Liban et à l’international : le Hezbollah sera-t-il toujours la force politique dominante à la suite de cette élection ? Et que réservera l’avenir après cette échéance électorale ?

"Si un point positif aurait dû émerger de ces élections, c’était celui des promesses portées par la société civile"

Il est plus que probable que le Hezbollah gardera un rôle majeur au niveau national, surtout grâce à la fragmentation du paysage politique, une situation que la loi sur la représentation proportionnelle ne fera qu’exacerber. En raison aussi de l’érosion de l’Alliance du 14 mars, la compétition est accrue au sein des autres camps : de nouvelles figures sunnites défient Saad Hariri, la rivalité fait rage chez les chrétiens pour la succession d’Aoun, le leader druze Walid Joumblatt doit partager la scène druze avec d’autres compétiteurs, et le président chiite du Parlement, Nabih Berri, âgé et faible, manque de marge de manœuvre vis-à-vis d’un Hezbollah de plus en plus hégémonique. Il semble donc que le parti restera puissant pour les années à venir. Il le sera d’autant plus que des sujets clivants tels que son arsenal, et la controverse autour de sa participation aux conflits régionaux sont quasiment absents de la campagne électorale, indiquant une acceptation implicite et contrainte de la position hégémonique du parti dans le pays. 

Si un point positif aurait dû émerger de ces élections, c’était celui des promesses portées par la société civile. Suite au rôle prééminent qu’ont pris les organisations de la société civile dans la crise des déchets de 2015 et les élections municipales de 2016, l’optimisme semblait de mise. Cependant, rien ne s’est passé. Tombant dans les pièges classiques de la vie politique libanaise, les groupes de la société civile ont finalement perdu des figures fortes au profit des partis traditionnels, et ont même parfois choisi de s’allier avec des membres de cette classe politique même à laquelle ils disaient vouloir s’opposer. La majorité silencieuse des Libanais en restera probablement amère. Leur apathie s’en retrouvera également renforcée, ainsi que le sentiment d’éloignement vis-à-vis d’une classe politique qui, à travers sa capacité à coopter, corrompre, et éviter les débats essentiels, aura encore une fois démontré son remarquable instinct de survie. 

 

*Deux coalitions hétéroclites, l'une dite du "8 mars", l'autre du "14 mars", dates qui rappellent deux manifestations géantes de l'année 2005. La première, pro-syrienne, fut organisée par le Hezbollah et inclut les maronites de Michel Aoun, l’actuel président; la seconde, anti-syrienne, fut montée par une alliance des sunnites, des Druzes et des chrétiens. 

Recevez chaque semaine l’actualité de l’Institut Montaigne
Je m'abonne