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06/10/2020

Diplomatie : Macron dans le texte

Diplomatie : Macron dans le texte
 Michel Duclos
Auteur
Expert Résident principal et Conseiller spécial - Géopolitique et Diplomatie

Il ne se passe guère de jour sans que le Président Macron ne s’exprime, souvent avec vigueur, sur les affaires internationales : Liban, Turquie, Biélorussie, affaire Navalny et bien sûr affaires européennes, par exemple au cours des dernières semaines. 

Cependant, dans le monde trépidant qui est le nôtre, assez peu d’occasions se présentent pour le Président d’offrir une vue d’ensemble de sa pensée diplomatique. C’est traditionnellement la fonction que remplit le discours annuel aux Ambassadeurs mais en cette année de la pandémie globale, même ce rituel inoffensif, fin août, n’a pu avoir lieu. 

C’est le discours prononcé le 22 septembre devant l’Assemblée générale des Nations Unies qui a tenu lieu cette année de cours magistral sur les affaires du monde, telles que vues par le président de la République. Dressons rapidement le tableau : cette année, l’intervention présidentielle n’a pas eu lieu depuis la tribune de l’Assemblée générale à New York, mais depuis l’Elysée : il s’est agi d’une intervention virtuelle – d’une longueur inusitée (45 minutes). 

Le fil conducteur du discours d’Emmanuel Macron a précisément été une mise en garde concernant la rivalité sino-américaine.

Il y a deux ans, le sommet annuel de l’ONU avait été marqué par un "choc des visions" entre Emmanuel Macron et Donald Trump dans leurs discours respectifs. Cette année, c’est au pays du "virus chinois" que Donald Trump s’en est pris, avec une véhémence particulière. Xi Jinping, depuis son bureau pékinois, a campé au contraire son pays en puissance pacifique, ardente partisane de la collaboration internationale.

La rivalité sino-américaine dominait donc clairement les débats, comme d’ailleurs elle s’insinue partout désormais dans le système onusien. 

Un message important, sinon le fil conducteur du discours d’Emmanuel Macron, a précisément été une mise en garde concernant la rivalité sino-américaine. On a pu dire que le Président français se situait dans une sorte d’équidistance entre la Chine et les États-Unis. Cela n’est pas le cas, mais il est vrai qu’il a appelé à ne pas tomber dans le piège d’une trop grande fascination pour la montée des tensions entre Pékin et Washington : "le monde tel qu'il est aujourd'hui ne peut pas se résumer à la rivalité entre la Chine et les États-Unis".

Le Président a livré dans son discours un premier bilan de la crise due au Covid-19 : "Toutes les fractures qui préexistaient à la pandémie [...] n'ont fait que s'accélérer et s'approfondir à la faveur de la déstabilisation globale créée par la pandémie." Mais s’il y aura une fin au Covid-19, "il n'y aura pas de remède miracle à la déstructuration de l'ordre contemporain". 

Plusieurs cycles, selon lui, arrivent à leurs termes : "ce monde dans lequel nous avons vécu reposait sur [...] le consensus de Washington. Il a vécu." Il en va de même du cadre posé par la Guerre froide : "notre sécurité et stabilité dépendaient très largement d’accords signés jadis entre les États-Unis d'Amérique et l'URSS", qui ont été "progressivement démantelés durant la dernière décennie"

Que reconstruire sur les décombres du monde qui disparaît sous nos yeux ? Selon Emmanuel Macron, la réponse tient dans "une mondialisation plus juste, plus équilibrée, plus équitable, plus durable.", "qui intègre en son sein, au cœur de son modèle, la lutte contre les inégalités [...], la lutte contre le réchauffement climatique".

La nécessité de redéfinir les termes de la mondialisation et les modalités du multilatéralisme apparaît ainsi comme l’autre message central du discours présidentiel.

Dans cet esprit : "Le multilatéralisme n'est pas seulement un acte de foi, c'est une nécessité opérationnelle".

À côté de la mise en garde à l’égard du "tout sino-américain", la nécessité de redéfinir les termes de la mondialisation et les modalités du multilatéralisme apparaît ainsi comme l’autre message central du discours présidentiel. 

Lorsqu’il s’efforce de traduire en axes d’action cette vision sur la marche du monde, le propos du Président se fait plus classique. On en revient à un rappel des positions de la France sur les grands dossiers internationaux. Le Président distingue cinq points dans son programme pour la communauté internationale. 

  • Premièrement, "la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive". Elle implique que l’Iran ne puisse pas "se doter de l’arme nucléaire", et d’engager "une négociation avec la Corée du Nord". Le terrorisme continue de "menacer au premier chef notre sécurité collective : c'est pourquoi la France sera toujours fortement engagée au Levant et en appui à la souveraineté irakienne, et se tient aux côtés de ses partenaires sahéliens."
     
  • Deuxièmement, le chef de l’État français prône "la construction exigeante de la paix et de la stabilité dans le respect de l'égale souveraineté des peuples". C’est le cas au Liban, "où les aspirations du peuple libanais souverain doivent être entendues" ; c’est le cas en Syrie, où doivent se tenir des "élections libres" ; en Libye où il faut "obtenir un cessez-le-feu durable, puis enclencher une dynamique qui permette une résolution politique du conflit sous l'égide des Nations Unies." ; en Méditerranée orientale où il doit y avoir "une Pax Mediterranea, mais pas au prix de l'intimidation", ou encore s’agissant de la Biélorussie, où "un dialogue politique national doit être mis en place et toute intervention extérieure doit être évitée."
     
  • Emmanuel Macron mentionne ensuite la protection des biens communs. Le premier "bien commun mondial" est la santé publique, pour laquelle s’est lancé ACT-A (Access to Covid-19 Tools Accelerator, une initiative internationale pour la production et distribution de tests et vaccins du Covid-19). En second lieu, l’environnement est "au cœur de nos agendas collectifs" et doit être une priorité de "plans de relance massifs" et mener à des politiques nationales zéro carbone. Enfin, il nomme la cybersécurité, qui doit être une problématique internationale, avec des actions comme le "Partenariat mondial sur l'intelligence artificielle", et l’éducation.
     
  • Quatrièmement, le Président parle de "la construction d'une nouvelle ère de la mondialisation", dans laquelle les États doivent éviter un repli nationaliste et protectionniste, mais aussi la dépendance aux grandes puissances et la lutte contre les inégalités. À nouveau, les oreilles de la Chine et des États-Unis doivent tinter. 
     
  • Enfin, il aborde la question du "respect du droit international humanitaire et des droits fondamentaux de chacun", avec la "solidarité dans le domaine migratoire" et les droits des femmes.

Tout au long de son propos, le Président dénonce les décisions unilatérales américaines, chinoises, ou encore turques et russes, ne ménageant pas ses critiques directes à l’encontre des puissances concernées. S’agissant de l’accord nucléaire iranien, il précise : "Nous ne transigerons pas pour autant sur l'activation d'un mécanisme que les États-Unis, de leur propre chef, en sortant de l’accord, ne sont pas en situation d’activer." 

L’Europe – aux côtés de l’Afrique – doit jouer un rôle moteur [...] dans la redéfinition des termes de la mondialisation.

Sur l’affaire Navalny, il rappelle à la Russie "la nécessité que toute la lumière soit faite sur la tentative d'assassinat contre un opposant politique à l'aide d'un agent neurotoxique". À propos de la Turquie, il énonce : "nous respectons la Turquie, nous sommes prêts au dialogue avec elle, mais nous attendons qu'elle respecte la souveraineté européenne, le droit international et apporte des clarifications sur son action en Libye comme en Syrie." 

Enfin, concernant les Ouïghours, il indique : "la France a demandé qu'une mission internationale sous l'égide des Nations Unies puisse se rendre au Xinjiang afin de prendre en compte les préoccupations que nous avons collectivement sur la situation de la minorité musulmane ouïghoure."

Dans l’esprit du Président, comme on pouvait s’y attendre, l’Europe – aux côtés de l’Afrique – doit jouer un rôle moteur (joue déjà un rôle moteur) dans la redéfinition des termes de la mondialisation. L’Europe prend "toute sa part de responsabilité" dans des domaines comme la santé ("C'est l'Europe qui, avec ses partenaires, a permis de construire l'initiative ACT-A") ou l’environnement. Sur ce dernier terrain, elle prend une série de mesure comme "un accord pour rehausser le niveau de son ambition pour atteindre la neutralité carbone en 2050", impliquant "un ETS (Emission trading system, système d’échanges de quotas) ambitieux, un prix du carbone minimum, un mécanisme d'inclusion carbone aux frontières".

L’Europe, selon Emmanuel Macron, se pose aussi en puissance politique, par exemple sur le dossier de la Biélorussie : "Non à l'ingérence, non au silence coupable. L'Europe, là aussi, sera au rendez-vous de sa responsabilité, de son histoire et de sa géographie". 

On l’aura remarqué, dans la plupart des sujets qu’il aborde, Emmanuel Macron revient sur la question de la souveraineté – l’un des ressorts selon lui finalement du multilatéralisme : souveraineté de l’Europe, souveraineté des peuples.

C’est aussi pour l’aider à défendre sa souveraineté que la France [...] se porte au soutien de l’Irak.

Il prend bien soin de souligner à nouveau qu’au Mali et dans la région, "la France n’est présente sur le sol malien qu’à la demande des États souverains et des organisations régionales". C’est aussi pour l’aider à défendre sa souveraineté que la France de M. Macron se porte au soutien de l’Irak.

Une étrange confusion affecte cependant la pensée du président de la République sur ce thème fondamental pour lui (les termes "souveraineté" ou "souverain" apparaissent à 19 reprises dans le discours). Il déclare : "La Libye est à mes yeux l'illustration parfaite des erreurs auxquelles nous pouvons nous même conduire lorsqu’on ne respecte pas la souveraineté des peuples". On savait Emmanuel Macron très critique à l’égard de l’intervention occidentale de 2011 en Libye, mais peut-on soutenir que laisser tranquille Kadhafi dans ses palais aurait vraiment été conforme à la souveraineté du peuple libyen ? 

 

 


Article co-redigé avec Agnès de Castellane, assistante chargée d'études à l’Institut Montaigne.

Copyright : Ludovic MARIN / POOL / AFP

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