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24/02/2022

Crise ukrainienne : l’efficacité des sanctions envers la Russie

Trois questions à Jan Lepeu

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Crise ukrainienne : l’efficacité des sanctions envers la Russie
 Jan Lepeu
Chercheur doctorant et analyste en politique étrangère à l'Institut universitaire européen de Florence

Ce jeudi 24 février, Vladimir Poutine a autorisé une opération militaire en Ukraine. Quelques heures plus tôt, l'Union européenne a unanimement approuvé un paquet de sanctions à l’encontre de la Russie. D’autres sanctions sont prévues. De plus, les États-Unis et le Royaume-Uni ont également introduit des mesures restrictives. Que peut-on attendre des mesures prises par l’UE ? Quelles seront les implications pour la Russie ? Jan Lepeu, chercheur doctorant et spécialiste des sanctions internationales et de la politique étrangère de l'UE à l'Institut universitaire européen, à Florence, nous livre son analyse sur le sujet.

Quelques heures après que l’UE annonce de nouvelles sanctions contre des individus russes, Vladimir Poutine autorise une opération militaire en Ukraine. De quelles mesures s’agit-il ? Comment les interpréter ? Y en aura-t-il d’autres ?

La première chose à noter est la rapidité avec laquelle l’Union européenne a adopté ces sanctions. La politique étrangère de l’UE est souvent critiquée pour sa lenteur, à cause du temps nécessaire pour entériner une position commune aux 27 États membres. Or cette fois-ci, le processus de décision n’a duré que quelques heures. Cela s’explique à la fois par une bonne anticipation par la Commission européenne et le Service européen pour l'action extérieure d’un scénario malheureusement attendu, mais également par une relative homogénéité des positions des États membres, pour l’instant du moins.
 

L’Union européenne, comme les Américains et les Britanniques, avait préventivement envisagé des sanctions dans l’espoir de dissuader le Président Poutine d’intervenir militairement en Ukraine. Si ces préparations laissaient entrevoir des sanctions massives en cas d’invasion militaire de l’ensemble du territoire ukrainien, la question restait ouverte dans le cas d’une action hostile de moindre envergure. 

Les sanctions prises mercredi pourraient être qualifiées d’intermédiaires. 

Ainsi, les sanctions prises mercredi pourraient être qualifiées d’intermédiaires. S’il ne s’agit pas de l’option maximaliste prévue en cas d’invasion, le nouveau régime de sanctions est cependant assez complet, ciblant à la fois des individus haut placés, les régions sécessionnistes et les finances de l’armée et du gouvernement russe. 

Plus précisément, les 351 parlementaires russes qui ont voté la reconnaissance des républiques autoproclamées de Donetsk et de Lougansk ne pourront plus ni se rendre dans le territoire de l’UE, ni faire des affaires avec ses ressortissants. Il en va de même pour plusieurs hauts fonctionnaires, financiers et officiers de l’armée jugés comme ayant été partie prenante dans la reconnaissance et l’occupation des "républiques" sécessionnistes. À cela s’ajoute un embargo sur les territoires de Donetsk et de Lougansk sous domination russe. Finalement, et c’est probablement la partie la plus douloureuse à court terme pour Moscou, l’UE a décidé de restreindre l’accès aux marchés financiers européens à la fois à l’État russe et à sa Banque Centrale.

Ce jeudi 24 février, la Présidente von der Leyen a également annoncé que l’UE présenterait un nouveau paquet de sanctions prochainement en raison de l’opération militaire en cours en Russie. Ces dernières seront probablement d'une portée beaucoup plus large : sanctions contre certains pans entiers de l’économie, contre de grandes banques russes, et enfin restriction de l’exportation de produits de haute technologie vers la Russie. Seules les exportations de gaz et le pétrole semblent protégés au vu de la dépendance énergétique européenne et de la sensibilité des cours mondiaux

Entre aspect punitif et levier de pression, quelles implications stratégiques peuvent avoir les sanctions à court et long terme pour les pays occidentaux dans la suite du conflit ?

Il faut lire ce régime de sanctions comme n’étant potentiellement qu’une étape dans un jeu plus long. Les capitales européennes anticipaient déjà que la crise russo-ukrainienne pourrait s'envenimer ultérieurement. Ainsi, l’idée est de garder des options sous la main. Il faut bien comprendre que les sanctions internationales peuvent servir différents objectifs, et que ceux-ci sont parfois contradictoires.

Les sanctions prises mercredi suivent une logique punitive. L’Union européenne considère que la reconnaissance des républiques autoproclamées de Donetsk et Lougansk, ainsi que le déploiement de troupes en leur sein, sont inacceptables et contreviennent au droit international ainsi qu’aux engagements russes dans le cadre des accords de MinskIl s’agit donc de montrer que cette décision russe ne restera pas sans coût tout en envoyant un signal plus global que l’Union ne saurait tolérer de telles actions, a fortiori dans son voisinage immédiat. 

Il s’agit de montrer que cette décision russe ne restera pas sans coût tout en envoyant un signal plus global que l’Union ne saurait tolérer de telles actions.

Officiellement, ces sanctions avaient aussi pour but de faire revenir la Russie sur sa décision, bien que peu sont ceux qui nourrissaient encore de tels espoirs, du moins à court terme. Les menaces de sanctions additionnelles visaient à dissuader la Russie d’altérer encore le statu quo. Ces précautions sont maintenant dépassées. La décision de Poutine dans la nuit du 23-24 février va pousser les Occidentaux à adopter l'entièreté des sanctions qu’ils avaient préparés. 

Dans quelle mesure ces sanctions sont-elles différentes de celles des partenaires occidentaux, notamment le Royaume-Uni et les États-Unis ?

Le principal élément qu’on peut remarquer est le haut niveau de coordination et de cohésion parmi les Occidentaux, notamment entre Bruxelles et Washington. Les sanctions sont relativement similaires, notamment en ce qui concerne l’interdiction pour l'État russe de se financer sur les marchés européens et américains.
 
Il y avait une certaine attente en Europe relative à la réaction de certains États membres réputés plus russophiles, notamment la Hongrie, mais aussi l’Italie ou l’Autriche, voire l’Allemagne. Le processus européen d’adoption de sanctions nécessitant l’unanimité, cela avait le potentiel de retarder, voire dérailler, la réponse européenne. Force est de constater que pour l’instant tout le monde a joué le jeu et que l’UE apparaît assez unie. Les britanniques ont tiré les premiers, comme souvent depuis le Brexit et la création de régimes autonomes de sanctions. Cependant, certains observateurs ont plutôt été déçus par l’ampleur des sanctions britanniques, remarquant notamment que plusieurs noms étaient déjà listés dans les sanctions américaines depuis 2018.
 
Il faut aussi garder en tête que même à "sanctions égales", les coûts des sanctions ne seront pas les mêmes pour tout le monde. La Russie représente le 5ème partenaire commercial de l’UE, à la fois pour les importations et les exportations. Pour les entreprises allemandes, françaises ou italiennes, le marché russe représente encore un débouché important. En revanche, pour les États-Unis, en raison d’un mélange de déterminants géographiques et historiques, les liens économiques avec la Russie sont bien plus faibles. Il en va de même sur le marché de l’énergie, où l’Europe, et notamment l’Allemagne, reste très dépendante du gaz russe. Ainsi, on peut penser que les sacrifices consentis cette semaine seront plus lourds pour les Européens que les Américains.
 
Finalement, au-delà des sanctions prises au niveau européen, il faut aussi noter la décision allemande de suspendre le pipeline Nord Stream 2. Si à court terme, la décision est principalement symbolique, le pipeline n’étant pas encore en fonction, cela montre néanmoins la résolution des capitales européennes, notamment de Berlin.

 

Copyright : Philip REYNAERS / POOL / AFP

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