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22/01/2021

Crise gouvernementale sur fond d'instabilité politique italienne

Trois questions à Marc Lazar

Crise gouvernementale sur fond d'instabilité politique italienne
 Marc Lazar
Expert Associé - Italie, Démocratie et Populisme

Mercredi dernier, Matteo Renzi, ancien président du Conseil italien, à la tête du parti de Italia Viva, a annoncé le retrait de ses ministres de la coalition au pouvoir en Italie. Mardi, le gouvernement de coalition dirigé par Giuseppe Conte, qui associe le Parti Démocrate (centre gauche) et le M5S (parti anti-système), remportait de justesse un vote de confiance au Sénat, mais s’y voit privé de majorité absolue, et en ressort donc affaibli. Quelles implications pour la vie politique italienne ? Marc Lazar, spécialiste de la politique italienne, répond à nos questions.

Giuseppe Conte, le président du Conseil italien, vient d'obtenir la confiance du Sénat pour son nouveau gouvernement. Quelques jours avant cette nouvelle, il avait perdu le soutien du parti de Matteo Renzi. Qu'a impliqué le duel entre ces deux hommes politiques ?

En août 2019, Matteo Renzi s’était imposé comme le grand adversaire de Matteo Salvini, le chef de la Ligue, qui avait déclenché une crise de gouvernement en espérant obtenir la dissolution des Chambres par le Président de la République puis gagner les élections pour arriver à la tête du gouvernement. Matteo Renzi avait ensuite déclenché une scission très minoritaire au sein du Parti démocrate et créé son propre petit parti, Italia viva. Celui-ci avait deux ministres et un secrétaire d’état dans le gouvernement Giuseppe Conte 2, un gouvernement de coalition formé, en plus d’Italia viva, par l’alliance de trois autres formations, le Mouvement 5 étoiles, le Parti démocrate de centre gauche et LeU (Libres et égaux) qui rassemble différents petits groupes de gauche. Depuis des semaines, Matteo Renzi critiquait, non sans fondement, le plan de relance élaboré par le gouvernement qu’il ne trouvait pas à la hauteur des enjeux, et critiquait, en des termes extrêmement durs, l’autoritarisme du Président du Conseil. En fait, Renzi souhaitait faire tomber celui-ci car il le considère désormais comme une menace : Giuseppe Conte est bien plus populaire que lui et cherche, comme lui, à s’imposer au centre de l’échiquier politique. C’est pourquoi ses ministres sont sortis du gouvernement. Giuseppe Conte a décidé de relever le défi et plutôt que démissionner, il a préféré se présenter devant les Chambres. À la Chambre des députés, sa majorité est large, mais ce n’est pas le cas au Sénat, où il a obtenu une majorité relative de 156 votes favorables, contre 140 et 16 abstentions venues des rangs des "renziens". Le bras de fer entre Conte et Renzi n’est donc pas fini. 

En fait, Renzi souhaitait faire tomber [Conte] car il le considère désormais comme une menace : Giuseppe Conte est bien plus populaire que lui et cherche, comme lui, à s’imposer au centre de l’échiquier politique.

Certains parlent de "chaos politique" en Italie. Partagez-vous cet avis ? Quelle est votre lecture de la situation ?

L’incertitude politique est complète. Giuseppe Conte est certes sorti victorieux de cette nouvelle crise mais il est fragilisé au Parlement comme aux yeux des Italiens ainsi que le démontrent les premiers sondages. Il lui faut très rapidement, et par tous les moyens selon une tradition historique dite de "transformisme" de la vie parlementaire italienne, trouver un soutien de 5 à 15 sénateurs (par exemple membres de Forza Italia ou de divers petits regroupements centristes).

Mais la tâche s’avère ardue car ces personnes visées font monter les enchères ou hésitent à parier sur la survie politique de Giuseppe Conte tandis que les responsables du Mouvement 5 étoiles ne veulent pas entendre parler d’un soutien exprimé par certains élus chevronnés, anciennement démocrates-chrétiens, qu’ils ont toujours fustigé. L’objectif est d’éviter la paralysie. Dès mercredi, une réforme de la justice doit être présentée au Sénat et les sénateurs pro-Renzi ont annoncé qu’ils voteraient contre. Le travail, fondamental, dans les commissions pourrait être bloqué. De son côté, Matteo Renzi a échoué, du moins pour le moment, à éliminer Giuseppe Conte mais il détient avec ses sénateurs une sorte d’épée de Damoclès qui déterminera le sort du gouvernement actuel et, si celui-ci tombait dans les jours ou les semaines à venir, la formation d’un autre exécutif. En revanche, son image s’est encore plus dégradée dans l’opinion publique qui ne retient dans son attitude que les jeux politiques auxquels il se livre et point ses propositions de fond concernant l’avenir du pays. Lui qui fut si populaire en 2014 bat désormais des records d’impopularité. En outre, son propre groupe est divisé sur la stratégie à suivre. L’opposition de droite composée de la Ligue de Salvini, Frères d’Italie de Giorgia Meloni et Forza italia réclame des élections anticipées car les sondages les donnent gagnants. Mais ces partis sont divisés sur des questions fondamentales, comme, par exemple, sur le plan de relance et l’Union européenne. En outre, arriver au pouvoir dans le contexte actuel serait pour eux fort compliqué sans compter que les tensions avec nombre de partenaires européens et la Commission européenne reprendrait quasi immédiatement. 

De toute façon, les élus des autres partis, y compris ceux d’Italia viva qui n’est crédité que de 2 à 3 % d’intentions de vote, n’ont nulle intention de risquer de perdre leurs positions. Ils seront donc tentés de tout faire pour soutenir le gouvernement Conte 3, ou trouver un autre chef de gouvernement, et espérer aller jusqu’à l’élection du nouveau Président de la République l’an prochain, voire jusqu’à la fin de la législature en 2023. 

Cette crise politique s’est jouée et continue de se jouer en décalage complet par rapport aux attentes des Italiens.

À plus long terme, quelles sont selon vous les perspectives italiennes, y compris au-delà du politique et notamment dans le cadre de la lutte contre la crise sanitaire et économique ?

Ces perspectives sont assez sombres. Cette crise politique s’est jouée et continue de se jouer en décalage complet par rapport aux attentes des Italiens. Toutes les enquêtes d’opinion démontrent qu’ils n’ont pas compris celle-ci, mais que surtout leurs principales préoccupations concernent leur santé, la situation sociale et celle de l’économie. Ils manifestent une forte demande de protection et de sécurité qui explique au demeurant et en partie la confiance qu’ils manifestent à Giuseppe Conte, non pas tant pour sa personne que pour son rôle institutionnel. 

La question essentielle est bien celle du plan de relance de 223 milliards d’euros en provenance de l’Union européenne, l’Italie étant le pays qui reçoit le plus d’aides, de fonds et de prêts de Bruxelles. Les critiques de Matteo Renzi, mais aussi celles du Parti démocrate, avant le déclenchement de la crise, ont contraint le gouvernement à revoir sa copie. 70 % des ressources européennes seront destinées aux investissements pour relancer la croissance. Les priorités indiquées sont l’écologie, le numérique, la cohésion sociale et territoriale, et la santé (21 milliards au total pour celle-ci). La culture, l’enseignement et la recherche devraient aussi bénéficier de cet argent. Or ce plan devra être discuté avec les partenaires sociaux et adopté par le Parlement : les jeux restent donc ouverts. L’Union européenne s’inquiète non seulement de l’instabilité politique qui règne à Rome mais encore se demande, comme beaucoup d’acteurs - le patronat, les organisations syndicales - et d’observateurs, si ces sommes colossales seront utilisées pour enfin relever les défis structurels que l’Italie doit relever depuis des décennies, comme, par exemple, la compétitivité des entreprises, les investissements dans la recherche, l’éducation et l’innovation, le développement du Mezzogiorno ou encore la réforme de l’administration publique. La préoccupation porte enfin sur la dette publique estimée désormais à 158 % du PIB et du déficit public qui devrait atteindre 5,7 % à la fin de cette année. Or la faiblesse du gouvernement de Giuseppe Conte et de sa majorité sont de sérieux motifs de préoccupation. Au lieu de saisir l’opportunité que représentent les aides de l’Union européenne pour déployer une politique ambitieuse de réformes sur le long terme, l’Italie risque de pratiquer une navigation à vue peu cohérente. Pourtant, cette année, elle assure la présidence du G20. Cela lui fournit l’occasion d’asseoir sa crédibilité internationale. C’est dire que de tout point de vue, 2021 sera une année cruciale pour l’Italie. 

 

Copyright : Yara NARDI / POOL / AFP

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