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05/07/2019

Crise des urgences : quelles solutions possibles à court et moyen terme ?

Entretien avec Claude Le Pen

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Crise des urgences : quelles solutions possibles à court et moyen terme ?
 Claude Le Pen
Professeur d'économie de la santé à Paris-Dauphine (groupe Santé)

Après plusieurs mois de grève et malgré des annonces de la part du gouvernement, des soignants ont à nouveau manifesté dans toute la France, mardi 2 juillet. Il s’agissait pour eux de maintenir la pression sur le gouvernement et tenter d’étendre le mouvement à tout l’hôpital d’ici la rentrée. Le mouvement s’est déclenché à la suite de plusieurs agressions du personnel des urgences d’hôpitaux de l’est parisien. Les grévistes s’indignent du manque de moyens alors que le nombre de patients pris en charge aux urgences est passé de 10 millions en 1996 à 21 millions en 2016. Claude Le Pen, Professeur d'économie de la santé à Paris-Dauphine, revient sur les différentes mesures annoncées et celles à envisager, à plus long terme, pour résoudre la crise que traversent de nombreux services d’urgences et le mal-être des soignants.

Après trois mois de grève dans les services d’urgences, la ministre de la Santé entend apaiser les mécontentements en promettant 70 millions d’euros de mesures immédiates. Qu'entend-on par mesures immédiates ?

Il s’agit essentiellement du versement d’une prime aux personnels non médecins des services d’urgence publics. Un décret et un arrêté du 28 juin dernier ont respectivement étendu à ces derniers le bénéfice de "l'indemnité forfaitaire de risque" attribuée depuis 1992 à certains agents hospitaliers (par exemple ceux travaillant dans les structures de soins des établissements pénitentiaires ou dans les unités pour "malades difficiles") et revalorisé son montant de 98 euros à 118 euros bruts mensuels, soit 100 euros nets. Cela n’avait pas été fait depuis juillet 2000 !

Notons que ces primes ne concernent que les hôpitaux publics alors que certaines cliniques privées disposent également de services d’urgence soumis aux mêmes contraintes.

Notons que ces primes ne concernent que les hôpitaux publics alors que certaines cliniques privées disposent également de services d’urgence soumis aux mêmes contraintes.Ce n’est clairement pas une réponse adaptée au niveau de la crise, mais sans doute n’est-ce pas là l’objectif premier de cette prime… Ce serait plutôt d’envoyer une (petite) marque de reconnaissance symbolique à l’égard des personnels – qu’ils ont reçu d’ailleurs assez fraîchement – en attendant des réformes plus structurelles. On verra si le PLFSS 2020, qui s’annonce d’ores et déjà douloureux compte tenu du retour inattendu des déficits en 2019 et 2020, envisagera un effort financier plus conséquent.

Cela étant, si des investissements sont incontestablement nécessaires pour améliorer les conditions d’accueil et de prise en charge des patients, ils risquent d’induire une demande nouvelle et de déplacer le problème plus que de le résoudre. C’est en amont des urgences qu’il faut agir, parallèlement à l’amélioration des services.

Dans un précédent article pour notre blog, vous analysiez le projet de loi santé et ainsi le développement de la territorialisation du système avec le concept de "gradation des soins". Cette nouvelle organisation a-t-elle vocation à améliorer l'organisation des urgences et si oui, comment ?

Oui clairement, avec notamment la labellisation de 500 à 600 "hôpitaux de proximité" qui auraient comme vocation de filtrer les urgences au niveau local, en liaison avec les structures de soins primaires que le gouvernement entend également développer. Il s’agit effectivement d’empêcher que se retrouvent dans les mêmes lieux et au même moment des patients présentant des degrés "d’urgence" très différents, ce qui entraîne des délais de prise en charge, de l’incompréhension et des tensions voire des violences verbales et/ou physiques. Derrière le mot "urgence" se cachent deux situations différentes : le besoin d’un soin rapide pour un motif qui peut être relativement bénin tout en étant pénible à supporter, et la prise en charge de situations médicalement graves, voire potentiellement létales. Le concept de "gradation des soins" implique que chaque patient soit accueilli dans une structure de soins correspondant à sa condition médicale et sociale. Cela implique effectivement une réorganisation "verticale" de notre système de santé. C’est un vaste chantier qui va un peu à rebours de notre tradition où tout patient peut (théoriquement) accéder à tous les niveaux de l’offre de soins de son propre chef sans orientation préalable.

Face à l'urgence de la situation, quel rôle la médecine de ville pourrait-elle jouer ? Comment inciter les patients à ne pas avoir systématiquement recours aux urgences pour certains actes médicaux ?

Les nombreux rapports consacrés aux urgences depuis plus de 20 ans (le problème est loin d’être nouveau) ont tous mis l’accent sur les effets d’un certain désengagement des médecins libéraux, rebutés par des gardes ambulatoires, contraignantes et mal rémunérées. Par contraste, l’hôpital est facilement identifiable, ouvert 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 et généralement gratuit ou presque. La "concurrence", si l’on peut dire, est sans appel. Mais on ne reviendra pas en arrière.La médecine de ville peut contribuer à désengorger les urgences en offrant de nouvelles structures d’accueil collectives bien identifiées, aux horaires d’ouverture larges.

Cela est possible notamment à travers les fameuses Communautés Professionnelles Territoriales de Santé (CPTS) dont le plan Ma Santé 2022 prévoit de couvrir le pays (1000 CPTS sont envisagées soit une dizaine par département). Ces structures ambulatoires, pluriprofessionnelles, dotées de quelques moyens spécifiques, pourraient assurer un service de prise en charge de petites urgences en liaison avec les hôpitaux de proximité, ainsi qu’une fonction d’orientation pour les patients. Travailler en groupe pluridisciplinaire dans une perspective de santé publique correspond à une aspiration de beaucoup de jeunes médecins.

La médecine de ville peut contribuer à désengorger les urgences en offrant de nouvelles structures d’accueil collectives bien identifiées, aux horaires d’ouverture larges.

En revanche, dire aux patients que leurs "petites urgences" peuvent attendre et les renvoyer vers un médecin de ville à l’agenda fourni risque de ne pas être très efficace. C’est le succès de ces nouvelles structures et leur bon niveau de coopération qui inciteront les patients à y avoir recours. Mais il ne faut pas se leurrer : la question des urgences hospitalières ne se résoudra ni rapidement ni facilement.

 

Copyright : Aurore MESENGE / AFP

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