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13/05/2020

Covid-19 : la réponse des universités françaises

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Covid-19 : la réponse des universités françaises
 Francis Vérillaud
Auteur
Ancien conseiller spécial de la direction

Conseiller spécial à l’Institut Montaigne, Francis Vérillaud a fait un "Tour de France" virtuel d’universités afin de voir comment celles-ci remplissent leur mission pendant la crise sanitaire que nous traversons. Ce tour comportait quatre étapes : l’Université de Pau et des Pays de l’Adour (UPPA), l’Université Savoie-Mont Blanc (USMB), l’Université de Picardie-Jules Verne (UPJV) et l’Université de Bordeaux (UB). Francis Vérillaud nous livre une analyse de leurs réactions face à ce contexte pédagogique exceptionnel. 

L’Université de Pau et des Pays de l’Adour (UPPA), l’Université Savoie-Mont Blanc (USMB), l’Université de Picardie-Jules Verne (UPJV) et l’Université de Bordeaux (UB) ont réagi immédiatement à la politique de confinement exigée pour combattre le Covid-19 et l’éventuelle saturation du système hospitalier français. Les enseignants, professeurs, chercheurs et personnels ont été au rendez-vous dès le 13 mars et parfois même avant pour emmener une partie très significative de la communauté universitaire dans une réalité virtuelle. Dans chacune d’entre elles, des cellules de crise ont été mises en place.

C’est ce qu’il s’est passé dans toutes les universités en France. La nature même des missions de l’université, fondées sur l’écrit et la parole, facilite ce passage au virtuel, les étudiants, les enseignants, les chercheurs et les équipes administratives ayant l’habitude de manier les outils numériques.

Des universités qui ont su répondre à leurs responsabilités et assurer leurs missions et même au-delà

La continuité pédagogique a pu être assurée immédiatement. Les enseignements se sont déployés sur la plateforme RENATER et le système Microsoft TEAMS. De fait, de nombreux enseignants ont surtout utilisé l’application ZOOM pour ses facilités de fonctionnement. Les étudiants et les enseignants se sont reportés sur les plateformes numériques de leurs universités avec un taux de consultation de 70 à 95 % du e-learning. Par ailleurs, de nombreux enseignements existants ont été mis à disposition sur la plateforme FUN qui offre des MOOCs aux niveaux national et international.

Les étudiants, dans leur très grande majorité, se sont partout et aisément adaptés aux nouvelles pratiques d’enseignement. L’utilisation de WhatsApp, des mails et des techniques audio et vidéo est désormais massivement répandue dans les universités. Non seulement les enseignements ont été assurés en mode virtuel, mais il a été également possible d’intégrer l’apprentissage dans le dispositif à distance avec des cours en format PDF, des visioconférences et des chats…

    Les étudiants et les enseignants se sont reportés sur les plateformes numériques de leurs universités avec un taux de consultation de 70 à 95 % du e-learning.

    La qualité des enseignements a été la plupart du temps maintenue sur les plateformes, parfois en mode dégradé. Il est surtout important de noter que de nombreux enseignants qui n’avaient pas l’expérience de l’enseignement à distance ont finalement adopté très aisément les nouvelles pratiques. La nécessité d’une bonne coordination entre les formations a eu un effet très positif en entraînant un meilleur dialogue entre les différentes composantes de l’université. De leur côté, les équipes techniques ont apporté une assistance très précieuse aux enseignants et aux étudiants.

    Le soutien aux étudiants en difficulté reste tout au long de la crise un souci majeur. On constate un taux de non-participation aux enseignements variable selon les niveaux de formation, les disciplines et les programmes, de 20 à 30 % d’étudiants dits "empêchés". Parmi eux se trouvent les "décrocheurs" qui sont les étudiants qui, chaque année, cessent de suivre les cours et ne retiennent que leur inscription. La proportion de ces étudiants qui abandonnent en cours de cursus n’a probablement pas varié cette année et fait apparaître un nombre relativement important d’"empêchés".

    Ces cas d’empêchement s’expliquent au moins par 4 éléments :

    • ceux qui sont à la campagne avec des connexions faibles (zones blanches) ; 
    • ceux qui ont des moyens financiers insuffisants pour être connectés convenablement et durablement ; 
    • ceux qui sont empêchés physiquement pour des raisons de maladie et de charges familiales ; 
    • enfin, ceux qui ne peuvent plus travailler pour subvenir à leurs besoins et donc sont en position de détresse.

    Le décrochage pédagogique est bien évidemment le plus souvent la résultante d’un décrochage social et la question de la précarité étudiante est sérieusement révélée par la crise du Covid-19. Parmi les étudiants en difficulté en raison de la crise, on trouve un nombre important d’étudiants étrangers, ces derniers sont en effet dans une position fragile, confinés souvent dans des conditions minimales en "ville" ou dans les résidences universitaires, loin de leurs familles et d’un environnement familier. Ainsi, à Pau, 50 % des étudiants sont en confinement près de l’université, dans des logements en ville ou dans les logements universitaires. Les autres ont rejoint leurs familles dans la région et au-delà. Les étudiants étrangers se trouvent rassemblés en grand nombre dans la cité universitaire. Il en va de même à Amiens, Chambéry et Bordeaux…

      Les universités et leurs personnels, enseignants et non-enseignants, ont fait un effort considérable pour contacter individuellement et très rapidement les "empêchés" afin de comprendre les raisons de leur distanciation et tenter de les aider à réintégrer les cursus et les programmes. Des soutiens ponctuels leur sont proposés ainsi que des aides techniques si besoin est. Ils peuvent ainsi être dotés d’ordinateurs ainsi que de clés 4G assez puissantes pour établir les connexions nécessaires.

      Les universités ont mobilisé massivement leur budget complet d’aide sociale pour venir en aide aux étudiants en situation de précarité.

      Ce travail s’est fait en lien étroit avec les personnels du Centre Régional des Œuvres Universitaires et Sociales (CROUS) qui ont en charge une partie essentielle de la vie étudiante, notamment avec la gestion des résidences universitaires. Mais les CROUS ne disposant pas de personnels de gestion en nombre suffisant, la participation des personnels des universités a été essentielle. Et surtout, qui plus à même que les enseignants sont en mesure de savoir qui a disparu dans la nature !

      Tous les présidents d’universités soulignent l’engagement intense des enseignants pour suivre tous leurs étudiants, jusqu’à rechercher et récupérer individuellement les "empêchés". Les universités ont mobilisé massivement leur budget complet d’aide sociale pour venir en aide aux étudiants en situation de précarité.

      La difficile prise en charge des activités pédagogiques hors enseignements. C’est le sujet des stages, du travail en apprentissage ou encore des séjours à l’étranger. La plupart de ces activités ont été bouleversées par la crise sanitaire, le confinement et l’arrêt de l’appareil économique. Toutefois, les étudiants ont pu effectuer normalement leurs parcours pendant une partie du semestre et il a été possible sans trop de difficultés d’élaborer des moyens d’évaluation ou de poursuite sous d’autres formes des projets commencés. À l’international, les universités ont mis en œuvre avec efficacité une capacité à rapatrier leurs étudiants ou bien à en assurer le suivi à distance pour ceux qui préféraient rester à l’étranger. Sur le fond, il sera plus difficile de valoriser ces activités à l’avenir. 

      La question des examens demeure très présente. À l’UPPA comme dans les trois autres universités, il a été décidé de mettre en place toutes les formes possibles de contrôle continu. Cela implique tout de même de faire passer des épreuves en ligne. Les universités ne considèrent pas qu’il s’agisse d’un problème d’une importance majeure dans la mesure où la première moitié du second semestre a été faite normalement. L’objectif de continuité pédagogique concerne seulement la deuxième moitié du semestre. Il y a des discussions et des débats en ligne, surtout autour de la proposition portée notamment par l’UNEF de donner un 10/20 à tout le monde, mais la très grande majorité des professeurs et des étudiants y est tout à fait opposée, souhaitant à tout prix défendre la valeur des diplômes.

      Des défis redoutables pour les activités de la recherche

      Si le confinement peut être vertueux pour les sciences sociales et humaines dès lors qu’il ne dure pas trop longtemps ; il est cependant plus immédiatement problématique pour les activités de laboratoire, tout particulièrement pour les sciences du vivant dans le suivi quotidien des expériences. 

      D’un côté, on constate d’ores et déjà une augmentation du nombre des publications. Beaucoup de chercheurs rédigent et publient des recherches qu’ils avaient lancées et qu’ils auraient sinon laissé mûrir lentement. Et la crise du Covid-19 ouvre des lignes de recherche particulièrement riches avec les grandes thématiques sociétales. Par ailleurs, si les labos sont fermés, les expériences en cours sont, quand cela est possible, surveillées et menées à leur terme.

      Mais de façon beaucoup plus critique, l’Université de Bordeaux indique pour sa part que les pertes en matière de recherche sont très conséquentes. Notamment pour les sciences du vivant du fait de l’abandon d’expériences en cours et aussi de la réorientation d’une grande partie des travaux et des moyens au bénéfice de la lutte contre le Covid-19. L’université estime que ce sont plus de 6 mois de retard qui ont été pris dans le calendrier normal des activités de recherche.

      Toutes les universités soulignent la réorientation de leur communauté de recherche vers la lutte contre le Covid-19. Dans tous les cas, les laboratoires participent comme ils le peuvent à un soutien aux hôpitaux de la région. De ce point de vue, on ne peut que constater que les communautés universitaires ont joué un rôle important, sinon central, dans la façon dont les territoires se sont pris en charge face à la crise du Covid-19. Les universités sont des acteurs majeurs de la décentralisation territoriale et leurs présidents demandent à ce qu’il en soit tenu compte quand viendra le temps des bilans.

      Des structures qui retrouvent un sens de l’action et inventent les solutions aux difficultés les plus inédites

      Pour le staff et la gestion des établissements, le basculement sur le télétravail s’est effectué sans souci jusqu’à 80 % de l’ensemble. L’efficience du travail s’est accrue, du moins dans les premières semaines. Cela vaut pour la plupart des services. Les directions financières et de ressources humaines fonctionnent à plein régime. La mise en œuvre du chômage partiel et des congés parentaux a été limitée. Néanmoins, un problème se fait jour peu à peu autour de la prise des congés et de la crainte d’un gros report de ces jours à la rentrée, qui viendrait perturber sérieusement l’organisation du travail.

        Les liens entre les acteurs non seulement ont gagné en intensité au niveau territorial, mais ils se sont également renforcés entre présidents d’universités avec la Conférence des Présidents d'Universités (CPU) et pour les universités des villes moyennes avec l’Alliance des Universités de Recherche et de Formation (AUREF).

        La liaison avec le ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI) et le Rectorat a été maintenue sans difficulté pratique. Des réunions régulières sont organisées. Mais les patrons des universités soulignent avec force le caractère déconnecté de la réalité de la réflexion et de l’apport du MESRI. Le lien se vide un peu de sa substance, les universités étant renvoyées au terrain et aux urgences liées à la crise. Toutes mettent en avant le fait d’avoir gagné énormément en autonomie pendant la période du confinement. Les liens entre les acteurs non seulement ont gagné en intensité au niveau territorial, mais ils se sont également renforcés entre présidents d’universités avec la Conférence des Présidents d'Universités (CPU) et pour les universités des villes moyennes avec l’Alliance des Universités de Recherche et de Formation (AUREF). Ces "réseaux" s’avèrent particulièrement utiles pour échanger des pratiques et des solutions autour de la situation de crise.

        Les conséquences financières ne sont pas encore pleinement ressenties sur les budgets des universités. À court terme, de nombreuses dépenses d’activités en présentiel sont annulées, dégageant des marges ou compensant des manques à gagner. Cela est moins vrai pour les grandes universités comme l’Université de Bordeaux. Les pertes en matière de recherche sont considérables avec l’annulation de nombreuses expériences en cours, le démantèlement des ménageries animalières, et les reports d’appels à projets. L’Université de Bordeaux estime à plusieurs millions d’euros ses pertes à court terme. L’UPJV estime de son côté le manque à gagner sur l’apprentissage et sur divers programmes de formation exécutive, dû au confinement à plusieurs millions d’euros également.

        Les présidents insistent davantage sur les enjeux financiers pour la rentrée de l’année universitaire 2020-2021, calculant d’un côté le coût d’un premier semestre pour une université qui devra se réorganiser avec probablement le maintien d’enseignements à distance pour une partie des étudiants, et de l’autre côté les incertitudes sur les flux étudiants.

        Aujourd’hui les inquiétudes se concentrent sur la rentrée 2020-2021 ?

        Une préoccupation majeure reste l’accès au marché du travail pour les diplômés de l’année 2020. La référence à la notion de "génération sacrifiée" est fréquente et traduit bien les énormes difficultés que vont rencontrer ces diplômés pour trouver un emploi. Le taux de chômage lié à la crise économique va être très important et toucher très fortement les jeunes entrants. Non seulement leurs conditions d’accès vont être massivement dégradées, mais les salaires d’entrée pour les plus chanceux seront amputés de façon significative. 

        La plupart des présidents d’universités se penchent d’ores et déjà sur la rentrée de l’automne et plus largement sur l’année universitaire 2020-2021 qu’ils tentent de définir dans un environnement fluctuant et très incertain.

        Quelques grandes questions ressortent à ce stade de leurs réflexions et de leurs échanges.

        • Comment assurer le recrutement des étudiants pour la rentrée prochaine ? En raison de la crise économique, de nombreux étudiants ou futurs étudiants seront en situation d’abandon d’études supérieures. Comment venir en aide à ces candidats potentiels ? La question des étudiants internationaux est également cruciale pour les universités. Les candidatures étrangères devraient baisser fortement et par ailleurs des étudiants étrangers admis risquent d’abandonner massivement leur cursus car ils ne pourront pas rejoindre leur université. Y aura-t-il une année blanche pour l’international ? Le sujet est d’autant plus important que les étudiants étrangers constituent pour certaines universités leur vivier principal d’étudiants doctorants. Le recrutement en master est très compétitif à l’international et le développement qualitatif de la recherche en est fortement dépendant. Cela est vrai en France aussi bien qu’à l’étranger.    
           
        • La forte probabilité de devoir poursuivre l’effort de pédagogie numérique. Beaucoup craignent que leurs étudiants internationaux ne puissent rejoindre les campus français, il conviendra alors de maintenir et déployer les enseignements à distance. Par ailleurs, l’organisation des universités pour faire respecter la distanciation physique impliquera certainement un mix de cours à distance et de présentiel.
           
        • La nécessité de revoir plus ou moins fortement l’organisation spatiale de l’université. Comment assurer la circulation des étudiants et des personnels au sein de l’université ? Quelles configurations de salles faudra-t-il favoriser ?
           
        • Une forte inquiétude sur le recrutement des professeurs prévus pour la rentrée. Aura-t-il lieu ? Si oui, à quelles conditions ? Des comités de sélection en visioconférence ? 
           
        • Une autre inquiétude plus profonde, sur le financement, notamment pour la recherche. Comment effectuer un rattrapage indispensable ? La loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) ne semble pas contenir les moyens nécessaires.

        Pourquoi y aura-t-il un monde "d’après" pour les universités ?

        Quels enseignements peut-on retenir de la prise en charge de la crise Covid-19 par les universités ?

        • Une très forte résilience des établissements et des personnels qui ont su répondre immédiatement aux nouvelles conditions faites par la crise sanitaire et démontrer ainsi des capacités d’adaptation remarquables pour assurer leurs responsabilités.
           
        • Une formidable efficacité du télétravail et plus largement du digital. Des comportements et des pratiques qui vont demeurer. La pédagogie est vraiment devenue un objet de progrès, instaurant un nouveau type de relations entre étudiants et enseignants.
           
        • Des éléments et des pratiques qui montrent la véritable capacité des universités et des communautés universitaires à résoudre elles-mêmes leurs problèmes et finalement à assurer leur autonomie.
           
        • Les rapports internes ont changé et ont redonné du poids et de la légitimité au président et à son équipe. Le dialogue interne entre les composantes et le centre est devenu la norme. Il en ressort une gouvernance améliorée et renforcée.
           
        • Une capacité à gérer au niveau local et territorial l’ensemble des sujets. Sur le plan de la crise sanitaire, des liens forts se sont construits directement avec l’Agence régionale de santé (ARS) et avec les préfectures.
           
        • Les CROUS ont finalement intégré une problématique d’ensemble de l’aide sociale pilotée par l’université.
           
        • Les politiques internationales des établissements ont montré la qualité des partenariats établis et la qualité des réseaux universitaires à l’international. Cependant, la question centrale de l’attractivité à l’international des universités va probablement être remise en cause avec force pour l’avenir. La mobilité internationale des étudiants devra faire l’objet d’une profonde révision et de nouvelles approches.

         

        Copyright : Alain JOCARD / AFP

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