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10/04/2020

Coronavirus et Afrique - en Côte d’Ivoire, vers un report de l’élection présidentielle ?

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Coronavirus et Afrique - en Côte d’Ivoire, vers un report de l’élection présidentielle ?
 Baudelaire Mieu
Auteur
Journaliste Ivoirien

Le nombre de personnes atteintes du Covid-19 est en forte hausse en Côte d’Ivoire, qui est désormais l’un des pays africains les plus touchés avec 444 cas confirmés à ce jour, dont 52 guéris et 3 décès. Le pays a enregistré son premier cas de coronavirus mi-mars et le Président Ouattara a déclaré quelques jours plus tard l’état d’urgence sanitaire, l’instauration d’un couvre-feu et un plan de riposte contre la maladie. La situation est particulièrement préoccupante à Abidjan, qui concentre 90 % des cas recensés dans le pays. Comment la situation sanitaire peut-elle évoluer ? Quelles mesures ont été mises en place ? Quelles conséquences économiques et politiques, alors qu’une élection présidentielle doit se tenir en octobre ? Baudelaire Mieu, journaliste ivoirien travaillant pour plusieurs médias occidentaux, dont Jeune Afrique et Bloomberg News, répond à nos questions.

Quelle est la situation sanitaire actuelle en Côte d'Ivoire ? Comment pourrait-elle évoluer dans les prochaines semaines ?

La situation sanitaire actuelle est très préoccupante. On assiste à une montée vertigineuse des cas de contamination au coronavirus qui semble prendre de court les autorités. Le premier cas est apparu le 11 mars, et nous recensons 444 cas au 9 avril. Nous assistons donc, en moins d’un mois, à une propagation très accélérée de la maladie. En outre, ces chiffres sont à nuancer car, en Côte d’Ivoire, seules sont dépistées les personnes présentant des symptômes. En réalité, le nombre de personnes contaminées pourrait être bien plus élevé.

La situation est particulièrement grave à Abidjan où l’on parle "d’épidémie généralisée" : la ville réunit à elle seule plus de 90 % des cas recensés dans le pays. L’enjeu pour les autorités est d’accélérer leur action pour faire face au pic de l’épidémie prévu dans deux à trois semaines. Les autorités souhaitent être préparées et contenir l’épidémie à cette échéance.

Quelles est la stratégie adoptée par le gouvernement pour combattre l'épidémie ?

Les premières mesures du gouvernement sont intervenues le 16 mars et ont consisté en des consignes fermes de distanciation et d’interdiction des rassemblements. Le 23 mars, le Président Ouattara annonce huit mesures supplémentaires, dont un couvre-feu entre 21h et 5h du matin, un état d’urgence sanitaire et un plan de riposte contre la maladie qui s’élève à 95 milliards de Francs CFA (environ 145 millions d’euros). La Côte d’Ivoire a d’ores et déjà annoncé ne pas disposer de l’ensemble du budget et devoir faire appel à ses partenaires financiers pour réunir les fonds. C’est là que réside la principale difficulté dans la mise en œuvre de ce plan.

Le plan se décline en plusieurs phases, dont la première prévoit de consacrer 28 milliards de Francs CFA à l’achat de médicaments, de respirateurs, de gants, de masques chirurgicaux et de tout autre matériel nécessaire. La deuxième phase prévoit la construction de centres de dépistage précoces dans toutes les communes d’Abidjan pour atteindre, dans un premier temps, 10 centres, ce nombre pouvant ensuite évoluer en fonction de l’affluence. La ville d’Abidjan est actuellement placée en quarantaine par rapport au reste du pays. La circulation est libre dans la ville, mais pour en sortir, un laisser passer spécifique indiquant les motivations à quitter la ville est nécessaire. Néanmoins, les habitants continuent de ruser avec ces mesures. La population ne semble pas avoir tout à fait pris conscience de la réalité de la maladie et conserve un certain nombre de ses habitudes : les marchés non alimentaires sont toujours ouverts et les distanciations d’un mètre entre les individus ne sont pas respectées dans les espaces publics.

Le plan prévu par le gouvernement est ambitieux mais il ne pourra faire face à la maladie seulement à la condition qu’il soit exécuté en temps et en heure, ce qui est encore très incertain.

La troisième étape dans la lutte contre le Covid-19, a été l’annonce faite par le Premier ministre le 31 mars de la mise en place de mesures sociales pour un montant de 1 700 milliards de Francs CFA afin d’accompagner la stratégie de lutte annoncée par le Chef de l’État. Ces mesures sociales visent à aider les couches les plus défavorisées de la société. Elles prennent la forme de dons de vivres notamment, et de subventions pour le règlement des factures d’électricité et d’eau. Des mesures de soutien à l’économie ont également été annoncées, dont 500 milliards de Francs CFA pour différents secteurs.

Ainsi, le plan prévu par le gouvernement est ambitieux mais il ne pourra faire face à la maladie seulement à la condition qu’il soit exécuté en temps et en heure, ce qui est encore très incertain.

Le système de santé est-il assez résilient pour affronter l’épidémie ?

Le système de santé ivoirien est assez résilient, c’est l’un des systèmes les plus performants de la sous-région. Lorsque l’épidémie Ebola s’est propagée sur le continent, la Côte d’Ivoire, grâce à son système de santé, n’a pas recensé de contaminations dans le pays. Les autorités s’appuient aujourd’hui sur cette expérience pour combattre le Covid-19. La Côte d’Ivoire compte par ailleurs d’éminents médecins en épidémiologie et son personnel de santé est très performant. Enfin, de 2011 à 2019, d'importants investissements ont été réalisés dans la santé, contribuant à renforcer considérablement le système sanitaire.

Si le pays parvient à acquérir les équipements spécifiques à ce virus, il pourra faire face à la pandémie. Néanmoins, l’un des plus grands défis du pays est de pouvoir disposer de respirateurs. Abidjan en possède une vingtaine, ce qui n’est pas suffisant. Une vingtaine supplémentaire vient d’être commandée en urgence. Un autre enjeu consiste à déployer avec célérité les nouveaux centres de dépistage et de permettre aux cinq établissements sanitaires d’Abidjan et sa banlieue choisis pour recueillir des malades, d’être opérationnels très vite. Les objectifs en nombre de lits qui ont été fixés sont progressifs. Il s’agit dans un premier temps d’atteindre 500 lits, puis 1 500 et enfin 2 500 à travers le pays.

Quelles seront les répercussions économiques du coronavirus en Côte d'Ivoire ?

Sur le plan économique, l’impact est désastreux. La Côte d’Ivoire devrait perdre 3 points de croissance selon le Premier ministre.

Dans un premier temps, la baisse de la croissance avait été estimée à 1,5 point mais, avec l’accélération de la contagion, l’impact a été réévalué à la hausse. La croissance, qui devait se situer autour de 7,5 % du PIB, devrait donc finalement être autour de 4 % du PIB.

La situation est également très compliquée au niveau des finances publiques. Les exportations de la Chine, troisième partenaire économique de la Côte d’Ivoire, ont baissé drastiquement, impactant directement les recettes fiscales et douanières du pays. À la perte des 3 points de croissance s’ajoute donc une baisse des recettes fiscales et douanières. Cela devrait mener le gouvernement à réaliser une loi rectificative du budget 2020, qui était très ambitieux.

Les exportations de la Chine, troisième partenaire économique de la Côte d’Ivoire, ont baissé drastiquement, impactant directement les recettes fiscales et douanières du pays.

À cela s’ajoute l’impact sur l’économie informelle qui représente 60 % de l’économie ivoirienne. Dès à présent, les répercussions se font sentir et des difficultés surgissent pour les populations qui ont du mal à joindre les deux bouts malgré les mesures du gouvernement. Les mesures annoncées ne suffiront pas à aider les travailleurs du secteur informel, qui vivent au jour le jour.

Néanmoins, la résilience de l’économie ivoirienne devrait être un atout pour supporter les effets de la crise, en vue d’une relance très rapide dès la fin de l'épidémie.

Quels pourraient être les impacts politiques de la crise, notamment sur l'élection présidentielle prévue en octobre de cette année ?

Le premier impact sera le report de l’élection de quelques mois, probablement en 2021, auquel les autorités réfléchissent déjà, même si aucune annonce n’a encore été faite en ce sens. Le processus d’enregistrement des demandeurs de cartes d’identité - nécessaires pour voter - est aujourd’hui au ralenti. Nous ne compterons probablement pas plus de 500 000 ivoiriens inscrits. À partir du 15 mai devait commencer le processus de révision électorale et à partir du mois d'août devait être publiée la liste électorale provisoire. Ces échéances sont difficilement réalisables dans le contexte actuel.

La priorité aujourd’hui est au consensus politique. Cette crise a commencé dans un contexte de tension entre l’opposition, qui contestait la réforme constitutionnelle du code électoral et le gouvernement qui la proposait. Celle-ci n’est pas arrivée à son terme et le Président a annoncé son intention de légiférer par ordonnance. Les opposants ont donc porté plainte devant la Cour africaine des droits de l’homme, dont le siège se situe en Tanzanie. Le verdict devait être entendu fin mars mais il est aujourd’hui en suspens à cause de l'épidémie.

S’il est désormais quasiment certain que l’élection ne se tiendra finalement pas en octobre, une inconnue demeure : le report des élections provoquera-t-il une crise institutionnelle dans le pays ?

Par ailleurs, avant même que le pays ne soit touché par l’épidémie, les principaux partis d’opposition, le Front populaire ivoirien et le Parti démocratique de Côte d’Ivoire, réclamaient en coulisses le report de l’élection car ils jugeaient qu’aucune garantie n’était mise en place pour assurer la transparence des élections, risquant ainsi de replonger la Côte d’Ivoire dans une crise politique telle que celle de 2010-2011. Le gouvernement a néanmoins persévéré dans son intention de maintenir l’élection à la date prévue.

Des signaux positifs allant vers une union nationale sont néanmoins apparus depuis le début de la crise : tous les partis ont suspendu leurs activités politiques, les opposants qualifiés (médecins, économistes) ont offert leur aide au gouvernement.

Mais les discussions sur le report de l’élection présidentielle ne sont pour l’heure pas ouvertes à l’opposition - elles se concentrent au sein du gouvernement. S’il est désormais quasiment certain que l’élection ne se tiendra finalement pas en octobre, une inconnue demeure : le report des élections provoquera-t-il une crise institutionnelle dans le pays ?

Quelles sont vos recommandations aux instances décisionnaires et à la population ivoiriennes ?

Aux instances décisionnaires, je recommande d’être transparentes dans la mise en place de chaque étape du plan afin d’éviter les suspicions de la part des populations. Ce n’est pas le cas pour l’instant, ce qui a provoqué plusieurs incidents ces derniers jours, dont trois à Abidjan. Les autorités en charge de la lutte contre le virus ont d’ailleurs admis "un manque de pédagogie". Dans le cadre du déploiement de la dizaine de centres de dépistage, le gouvernement a été confronté à une hostilité farouche des populations du quartier des Toits rouges, un sous-quartier de la grande banlieue de Yopougon au nord d’Abidjan, qui pensaient que le gouvernement venait installer ce site pour propager la maladie en les faisant vivre aux côtés des personnes contaminées. L'incident a duré 24h et s’est étendu à d’autres quartiers de la ville les jours suivants. Autre difficulté constatée ces derniers jours : les populations de la ville de Bangolo, à l’ouest du pays, se sont opposées à l’acheminement de médicaments dans un hôpital.

Ces incidents montrent la psychose et la frilosité des populations, qui peuvent être évitées si le gouvernement communique plus ouvertement et plus largement, par le biais de plusieurs canaux :

  • pour toucher la population très rapidement, il doit s’appuyer sur des autorités locales comme les maires, les conseillers régionaux, les préfets et les sous-préfets qui peuvent s’appuyer sur les leaders traditionnels et religieux ;
  • il doit également avoir recours aux médias de l’audiovisuel public, qui couvrent plus de 90 % du territoire ivoirien ;
  • la presse privée, malgré les sensibilités politiques, se trouve unie dans ce contexte et véhicule les message sanitaires ;
  • enfin, les réseaux sociaux sont également un canal utile car le taux de couverture téléphonique est très important en Côte d’Ivoire et la population, très jeune, y est particulièrement connectée.

En ce qui concerne les populations, elles doivent faire preuve de civisme et de discipline face au virus. Elles doivent respecter les consignes du gouvernement - qui se retrouvent dans beaucoup d’autres pays, en Afrique et ailleurs - et appliquer les gestes barrière. Et surtout, faire confiance au gouvernement : une union sacrée doit exister autour de celui-ci pour relever le défi et vaincre la maladie.

 

Copyright : ISSOUF SANOGO / AFP

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