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13/07/2018

Classement mondial des universités : comment combler le retard français. Entretien avec Clarisse Berthezène

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Classement mondial des universités : comment combler le retard français. Entretien avec Clarisse Berthezène
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Le septième classement des meilleures universités du monde, établi par le cabinet Quacquarelli Symonds (QS), n’identifie que trois universités françaises parmi les 100 premières, les universités anglo-américaines occupant le haut du classement. Que faut-il retenir du QS World University Rankings 2019 ? Quelles leçons en tirer pour voir la France mieux classée dans les années à venir ? Clarisse Berthezène, attachée de coopération scientifique et universitaire à l'Ambassade de France à Londres, et son assistante, Océane Mohseni, nous éclairent sur les résultats de ce classement, et les enseignements à retenir.

Quels enseignements peut-on tirer du dernier QS World University Rankings ? Au-delà des classements, que révèle-t-il des performances globales du système français ? européen ? 

Le QS World University Rankings (intitulé THE-QS World University Rankings jusqu’en 2009) a été établi en 2004 par l’entreprise britannique Quacquarelli Symonds, spécialisée dans l’éducation, en collaboration avec le Times Higher Education. Il est construit à partir d’un score attribué aux établissements, fondé sur six indicateurs :

  • La réputation académique (40 %), mesurée à partir des réponses de plus de 80 000 acteurs du secteur de l’enseignement supérieur, à un sondage (Academic Survey) portant sur la qualité de l’enseignement et de la recherche des universités à travers le monde.
  • La réputation auprès des employeurs (10 %), déterminée à partir des réponses de plus de 40 000 employeurs au QS Employer Survey, permettant aux sondés d’identifier les institutions desquelles ils recrutent les diplômés les plus compétents, innovateurs et efficaces.  
  • Le ratio étudiants/enseignant (20 %), proxy de la qualité d’enseignement. 
  • Le nombre de citations par enseignant (20 %), nombre total de citations des publications produites par une institution sur une période de cinq ans / nombre d’enseignants au sein de cette institution, censé refléter la qualité de la recherche au sein d’une institution. Depuis 2015, compte tenu du fait que presque la moitié des citations de recherche concernent les sciences du vivant, la méthodologie est normalisée pour refléter au mieux l’impact de la recherche des établissements. 
  • Le ratio de personnel enseignant issu de l’international (5 %)
  • Le ratio d’étudiants internationaux (5 %)

Le QS World University Rankings 2019 inclut 35 établissements français au total, dont seulement 11 dans le top 300 et trois dans le top 100. Bien qu’imparfait, il s’agit d’un classement intéressant, notamment si on le compare au classement de Shanghai, qui se distingue par son aspect plus quantitatif, mesurant par exemple la "qualité formative" par le nombre d’anciens étudiants ayant reçu un prix Nobel ou une médaille Fields. Ce dernier n’inclut que 30 universités françaises, dont 14 dans le top 300 et trois dans le top 100. Le classement du Times Higher Education – qui comprend 31 établissements français, dont seulement neuf dans le top 300 et un dans le top 100 – est quant à lui plus équilibré. Comme le QS, il utilise aussi bien des indicateurs de réputation que des critères quantitatifs. Il introduit toutefois quelques catégories notables, comme le "transfert de connaissances", qui mesure les revenus de recherche de l’établissement issus de ses apports à l’industrie (innovations, inventions et activités de conseil).

On observe un décalage saisissant entre l’excellence de certains de nos établissements, et leur positionnement au sein de ces palmarès. Pourquoi les établissements français sont-ils si mal placés dans ces classements ? Il s’agit avant tout d’un manque criant de moyens financiers, qui se manifeste par exemple par la surpopulation des classes, et de moindres fonds consacrés à la recherche. En ce qui concerne l’ouverture à l’international, la France rencontre de véritables difficultés à recruter des enseignants étrangers (ceci est principalement lié aux effets conjoints des systèmes de grilles de salaires et d’ancienneté, des concours comme l’agrégation qui peuvent jouer un rôle de verrou contre les étrangers et du CNU (Conseil National des Universités) qui exige dans certaines sections, pour obtenir la qualification aux fonctions d’enseignant-chercheur, des rapports de thèse alors que cela n’existe pas au Royaume-Uni ou des Habilitations à diriger des recherches alors qu’il n’y en a pas non plus), et à attirer des étudiants internationaux, notamment à cause d’une offre limitée de cours enseignés en anglais. De surcroît, il semblerait qu’un cercle vicieux se soit créé, puisqu’en passant inaperçues dans ces classements, les universités françaises perdent en réputation, que ce soit auprès des universitaires, des employeurs ou des étudiants internationaux. C’est le serpent qui se mord la queue : d’une année à l’autre, les classements semblent s’influencer et s’auto-confirmer…

Cependant, outre ces faiblesses, le classement QS de cette année reflète un dynamisme certain du système français, qui n’a de cesse de se remettre en cause depuis quelques années. En effet, depuis 2010, le Programme d’Investissements d’Avenir lancé dans le cadre du grand emprunt national (Initiatives d’excellence, IDEX) contribue à faire émerger des pôles universitaires d’excellence de taille mondiale en France, et la loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche a notamment introduit les Communautés d’Universités et Établissements (ComUEs). Ainsi, l’Université PSL (conglomérat Paris Sciences et Lettres) et Sorbonne Université (née le 1er janvier 2018 de la fusion de Paris-Sorbonne et de l’Université Pierre et Marie Curie) ont toutes deux fait leur entrée respectivement au 50ème et au 75ème rang. Bénéficiant toutes deux d’IDEX et de fondations propres, elles sont parvenues à améliorer leur visibilité, et se sont donné les moyens de déployer une véritable stratégie à l’international, en recrutant des enseignants étrangers et en proposant un certain nombre de cours en anglais. 

Cette petite révolution atteste de l’importance capitale de ces classements qui sont désormais la "règle du jeu", utilisés à la fois par les étudiants, les employeurs et les universitaires comme outil de prise de décision, de benchmarking et de marketing. Ces classements n’étant pas adaptés aux spécificités du système français – caractérisé par des institutions à petite échelle, et par l’éclatement de la recherche publique, menée à la fois par les organismes de recherche (EPST et EPIC), et des universités (EPSCP) – la France a pris le parti de s’aligner sur la structure des universités les plus performantes, peut-être aux dépens de son originalité… Notons qu’en 2017, trois universités françaises apparaissaient au top 10 du classement du Times Higher Education des meilleures "petites" universités du monde : l’École Normale Supérieure, l’École Polytechnique et l’École Normale Supérieure de Lyon. Tout semble donc être une question de point de vue, et d’objectifs. Créons donc notre propre classement, avec des critères de rapport coût-qualité et de mixité sociale, et nous serions premiers ! Un simple ajout de ces paramètres aux critères actuels contribuerait à rendre les établissements français plus visibles.

Au niveau européen, on retient surtout la performance des établissements suisses, notamment l’École polytechnique fédérale de Zurich à la 7ème place et l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne au 22ème rang. Celle-ci s’explique notamment par des moyens financiers importants distribués à un nombre limité d’établissements, et par une forte internationalisation des institutions suisses. L’Allemagne, les Pays-Bas, la Belgique, la Suède et le Danemark sont également présents dans le top 100 du dernier classement QS. 

Comment les universités françaises peuvent-elles s'inspirer du modèle britannique pour conforter leur position dans les prochaines années ?

Comme tout système, le modèle britannique est loin d’être parfait : le tout est donc de s’inspirer des éléments qui ont fait leurs preuves, et de tirer les leçons de ce qui a moins fonctionné au Royaume-Uni.

De manière générale, il semble important de préciser que nous ne sommes pas obligés de nous aligner sur les tuition fees britanniques pour pallier le manque de financement auquel fait face le système universitaire français. Il y a de nombreuses pistes alternatives à explorer dans un premier temps, notamment en redynamisant les fondations d’universités, qui représentent un moyen important pour ces établissements de recevoir des fonds et en améliorant les partenariats de recherche avec les entreprises.

De plus, en cette période de reconfiguration du paysage universitaire français, le système britannique nous rappelle qu’il existe des alternatives aux fusions d’établissements, qui, bien qu’elles aient le mérite de créer des structures unitaires bénéficiant d’une gestion rationalisée et d’une synergie de groupe, représentent un travail de longue haleine.

En ce qui concerne les enseignants et chercheurs, la France semble vouloir s’inspirer du Research Excellence Framework (REF), un exercice d’évaluation de la recherche des établissements d’enseignement supérieur du Royaume-Uni. Or, l’expérience britannique montre qu’instaurer une évaluation systématique et individuelle de la recherche soumet les chercheurs à une pression importante, ce qui donne lieu à une recherche de moindre qualité et conduit à une vision de court terme qui fait obstacle à la recherche fondamentale ou aux projets "à risque". Par ailleurs, les chercheurs français sont évalués systématiquement à chaque fois qu’ils demandent une prime ou un congé pour recherche.

Néanmoins, il serait intéressant de s’inspirer du système britannique de "roulement", qui permet aux enseignants-chercheurs d’obtenir une année de recherche tous les trois ans, ainsi que des primes pour les directeurs de laboratoires. Ainsi, au Royaume-Uni il est très aisé pour les chercheurs d’acquérir deux, trois, voire cinq ans de recherche. Les tâches administratives sont mieux rémunérées et valorisées, de même l’enseignement est récompensé et la recherche peut être effectuée parce que le temps nécessaire est donné. La France gagnerait à mieux motiver ses chercheurs, mais il s’agit là encore d’un problème de financement.

Cependant, étonnamment, l’enseignement n’est jamais évalué en France, et à ce titre le Teaching Excellence and Student Outcomes Framework (TEF), bien que limité et controversé, pourrait être considéré comme une base conceptuelle à mûrir et à adapter au système français.

Du côté des étudiants, le système anglo-américain semble leur laisser plus de temps et leur permettre d’évoluer dans un environnement plus paisible. En effet, les sessions one to one, spécificité des universités d’Oxford et de Cambridge, ou les cours en petit groupe de quatre étudiants au maximum, permettent aux étudiants de participer activement aux séminaires et de bénéficier d’un véritable mentoring : un vrai dialogue s’instaure avec un professeur, dans le cadre d’une relation moins hiérarchique qu’en France. 

Une autre idée intéressante, issue des États-Unis cette fois-ci, est la distinction entre le choix des cours et la spécialisation professionnelle pendant les trois années du Bachelor, ce qui enlève un poids des épaules des étudiants, qui ne doivent pas "trouver leur voie" de manière prématurée.

Enfin, le modèle anglo-américain donne une importance au diplôme de licence que l’on ne retrouve pas en France. En effet, celui-ci est considéré comme un gage d’un certain niveau intellectuel – et non pas technique –, d’un potentiel qui permet aux diplômés de trouver un emploi, en adéquation ou non avec leur spécialisation, et d’être formés "sur le tas". En France, la plupart des diplômes de licence sont encore largement dévalorisés.

Les bons classements des universités britanniques et américaines pourraient-ils, à terme, être affectés à la fois par le Brexit et par la présidence Trump ?

À la publication des résultats du QS World University Rankings en septembre 2016, le directeur de recherche de QS Ben Sowter avait déjà affirmé que "l’incertitude à l’égard du financement de la recherche, du régime d’immigration et de la capacité du Royaume-Uni à recruter et fidéliser les plus grands talents de la planète semble nuire à la réputation du secteur de l’enseignement supérieur britannique". Cette année-là, près des trois quarts des universités britanniques du top 400 avaient vu leur score chuter pour les indicateurs de réputation académique et professionnelle, et 58 % avaient observé une réduction du nombre d’universitaires étrangers. L’Université de Cambridge était sortie du top 3 mondial pour devenir quatrième, Imperial College London était passé de la huitième à la neuvième place et King’s College London du 19e au 21e rang. Pour autant, d’autres universités comme Oxford et UCL sont restées stables, et certaines ont même progressé, comme les universités d’Edimbourg et de Manchester.

Depuis, si l’on ne peut clairement distinguer de tendance à la baisse, ni de causalité directe entre le Brexit et la trajectoire des universités britanniques, on peut tout de même observer une relative fragilisation des établissements britanniques au sein du classement, particulièrement les plus prestigieux, comme les universités de Cambridge, UCL, Bristol et Glasgow, ainsi que King’s College London.

Cependant, à terme, le secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche britannique sera sans doute pénalisé par le Brexit, non seulement en termes financiers, mais également en termes de capital humain et de réseau de collaborations. En effet, le Royaume-Uni est l’un des plus grands bénéficiaires du financement de la recherche de l’UE, notamment à travers des programmes comme Horizon 2020, et tout particulièrement les bourses du Conseil européen de la recherche (CER). En moyenne, 12 % du total des fonds dont disposent les universités britanniques pour la recherche sont issus de l’UE, et cette proportion peut atteindre jusqu’à 60 % pour certains établissements. De plus, 17 % du total des personnels universitaires employés au Royaume-Uni sont issus de l’UE, et la plupart travaillent dans les domaines pour lesquels le bassin local de candidats est insuffisant, et décisifs pour la stratégie industrielle du Royaume-Uni. Enfin, il existe un réseau solide de partenariats entre les universités britanniques et les entreprises actives en recherche situées dans des pays membres de l’UE : ces dernières contribuent à hauteur de 24 % à ces liens universités-entreprises au Royaume-Uni.

Lors d’une audition sur la science et la recherche organisée par le Comité sur la sortie de l’UE de la Chambre des communes le 16 mai 2018, Michael Arthur, doyen (Provost) et président de UCL et spécialiste des affaires liées au Brexit au sein du Russell Group, a mis en garde les députés sur le fait qu’après le Brexit, le Royaume-Uni pourrait passer du deuxième au vingtième rang mondial dans le domaine de l’enseignement supérieur et de la recherche, si l’afflux de talents académiques est restreint et si le pays sort des programmes-cadres de recherche et d’innovation de l’UE.

En ce qui concerne la présidence Trump, si elle nuit certainement à l’attractivité des États-Unis auprès des étrangers, elle ne semble pas déstabiliser les établissements américains les plus prestigieux : les quatre premières places du dernier classement QS sont occupées par le MIT, Stanford, Harvard, et le California Institute of Technology.  

De manière générale, il semble que tant que le Royaume-Uni sera à l’origine de ces classements, les établissements anglo-américains maintiendront leur position dominante... Les petites universités britanniques sont peut-être celles qui souffriront le plus, mais à grande échelle, les membres du Russell Group par exemple pourront s’appuyer sur leurs accords bilatéraux et sur leur attractivité auprès des pays extérieurs à l’Union européenne, même si l’idée que le Royaume-Uni est devenu moins accueillant pour les étrangers se répand au-delà du Continent.

Des initiatives comme l’appel aux chercheurs, aux enseignants, aux entrepreneurs et à toute la société civile "Make our planet great again" ont clairement montré que de nombreux chercheurs, notamment aux Etats-Unis et au Royaume-Uni sont prêts à venir s’installer en France, et à accepter des conditions salariales moins favorables. Toutefois, malheureusement, la France a une capacité d’accueil très limitée au sein des universités et des instituts de recherche, et n’a ainsi pu accepter que 32 chercheurs, dont 19 issus des États-Unis, et deux du Royaume-Uni, grâce à des subventions d’État importantes. Si les universités françaises disposaient de davantage de moyens financiers, si elles disposaient de fondations dynamiques et la capacité de s’en servir pour faire des levées de fonds, et parvenaient à créer un environnement plus international et bilingue, elles pourraient sans doute attirer les plus grands talents de la planète. La recherche qu’elles produisent avec le peu de moyens qu’elles ont est tout à fait remarquable.

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