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16/11/2020

Avec Trump, la Chine perd un ennemi, mais un ennemi utile

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Avec Trump, la Chine perd un ennemi, mais un ennemi utile
 Dominique Moïsi
Auteur
Conseiller Spécial - Géopolitique

Les Chinois éprouvent une forme de soulagement à voir s'éloigner du pouvoir celui qui fut leur adversaire acharné pendant tout son mandat. Mais Donald Trump était aussi la preuve, pour le régime chinois, que le système occidental démocratique court à sa perte.

"La Chine est soulagée, mais elle demeure inquiète à très court terme et sans illusion à moyen et long terme." En quelques mots, mon interlocuteur chinois et américain à la fois, brillant analyste de la Chine aux États-Unis, vient de me résumer la position des dirigeants chinois. Ils sont soulagés par la victoire de Joe Biden. Ce n'est pas tant la politique de Trump qui les inquiétait que sa personne. Tout comme les marchés financiers, les Chinois n'aiment pas l'incertitude. L'imprévisibilité de Donald Trump les perturbait particulièrement. Et les "Mandarins Léninistes" que sont les dirigeants de Beijing ne se sont jamais fait au style du quarante-cinquième président des États-Unis. Que de familiarité, de vulgarité, d'à peu près, pour le dirigeant de ce qui est encore la première puissance mondiale, le pays que la Chine s'efforce par tous les moyens de rattraper, puis de dépasser dans les quinze, vingt ans à venir.

La Chine, la menace n° 1

Ce soulagement naturel, profondément ressenti, s'accompagne d'une inquiétude à très court terme. Dans les un peu plus de soixante jours qui nous séparent de l'investiture du président Joe Biden, que va pouvoir faire Donald Trump pour "endommager" à jamais la relation entre les États-Unis et la Chine ? Le président Trump considère que la Chine est le principal responsable de sa défaite. Sans le "virus chinois", n'entamerait-il pas une douce période de transition entre ses deux mandats ? Sa garde rapprochée composée de "super faucons" républicains, dont certains viennent à peine d'être nommés par lui, voudra créer des faits accomplis négatifs sur lesquels l'administration Biden ne pourra revenir. C'est dans ce contexte qu'il faut replacer la décision qui vient d'être prise par la Maison-Blanche d'interdire aux Américains d'investir dans le complexe militaro-industriel chinois.

Mais au-delà du soulagement et de l'inquiétude, il existe surtout du côté chinois une absence totale d'illusions quant à l'avenir des relations sino-américaines. Les Chinois connaissent l'Amérique infiniment mieux que les Américains ne connaissent la Chine. À Beijing, on sait que la marge de manœuvre de Biden, surtout en ce qui concerne sa politique chinoise, sera réduite. 67 % des Américains ne font pas confiance à la Chine. Il existe certes plus que des nuances entre républicains et démocrates sur la question chinoise. 

À Beijing, on sait que la marge de manœuvre de Biden, surtout en ce qui concerne sa politique chinoise, sera réduite.

Pour les républicains, la Chine est tout simplement la menace numéro 1, devant toutes les autres. Pour les démocrates à l'inverse, la Chine n'entre même pas dans la liste des sept premières menaces qui sont toutes d'ordre interne. Mais les Chinois savent que l'Amérique n'a jamais été aussi fracturée, que la victoire de Biden a été "sur le fil du rasoir" et qu'il demeure probable que le Sénat demeurera à majorité républicaine. 

Toute tentative de rapprochement de Washington avec Beijing sera dénoncée - par les républicains qui veulent reprendre le pouvoir en 2024 - comme une trahison "munichoise". Et elle risquera d'être perçue comme telle par une majorité d'Américains.

Trump, "l'idiot utile" de Xi Jinping

En devenant la préoccupation principale en matière de politique étrangère de l'Amérique, la Chine a-t-elle obtenu ce qu'elle désirait, a-t-elle ainsi effacé l'humiliation qui fût la sienne pendant plus d'un siècle ?

Ou bien a-t-elle plutôt perdu au change, en avançant ainsi - de Hong Kong à Taïwan - ses ambitions en pleine lumière ? L'Histoire le dira. Pour l'auteur de ces lignes, Donald Trump pourrait rester comme un cadeau empoisonné : "l'idiot utile", en dépit de sa combativité commerciale, la "carte secrète" de Xi Jinping dans son processus de centralisation toujours plus grand du pouvoir ? N'est-il pas la preuve absolue que la démocratie mène au chaos, que pour faire face à une pandémie, rien ne vaut un régime autoritaire, une gestion ultra-centralisée qui rappelle aux citoyens l'impératif collectif du civisme ? Certains commentateurs au début du virus ne disaient-ils pas que le Covid-19 serait pour la Chine l'équivalent de ce que fut Tchernobyl pour les Soviétiques, un "tsunami social" qui entraîna six ans plus tard l'effondrement de l'Empire ? De fait, c'est exactement l'inverse qui s'est produit et la Chine peut aborder avec confiance, au moins l'avenir immédiat. Et si Donald Trump et le Covid-19 n'avaient été que deux virus, l'un politique, l'autre sanitaire, dont la simultanéité avait eu pour résultat d'approfondir et d'accélérer les avantages de la Chine - ou pour le moins, ceux de Xi Jinping et du parti communiste chinois - ce qui n'est pas nécessairement la même chose.

Dialogue plus confiant

Au-delà de ces considérations, à Beijing on mesure avec pragmatisme les avantages et les inconvénients pour la Chine de la victoire de Joe Biden. Sur le plan des gains, Américains et Chinois n'apparaîtront plus seulement comme des rivaux mais comme des partenaires. "Biden voit la Chine comme un compétiteur, Trump la considérait seulement comme un adversaire. Les relations entre compétiteurs sont fondées sur des règles." Ce point de vue d'un expert chinois, rapporté par le New York Times, résume assez bien la position chinoise. 

Sur des sujets aussi divers que la lutte contre le Covid ou celle contre le réchauffement climatique, la Chine et l'Amérique pourront entretenir un dialogue plus confiant. La confrontation sur le plan commercial et technologique se poursuivra mais sur un ton plus "civilisé". Sur un plan stratégique, la balle est dans le camp de la Chine. Or il n'y a pas de raisons à ses yeux de tempérer ses ambitions ou de modifier son comportement parce qu'une administration potentiellement plus conciliatrice et modérée s'est installée au pouvoir à Washington.

La Chine ne se réjouit pas du retour possible du "soft power démocratique" de l'Amérique, mais elle ne s'en inquiète pas trop.

Beijing n'est pas prêt à "ralentir sa poussée" à Hong Kong - on vient d'en avoir la preuve - ni à prendre des précautions dans le traitement des Ouïghours au Xinjiang, parce qu'un président plus soucieux des droits de l'homme arrive à la Maison-Blanche. La Chine ne se réjouit pas du retour possible du "soft power démocratique" de l'Amérique, mais elle ne s'en inquiète pas trop. Trump ou Biden, l'Amérique continuera d'être paralysée par ses divisions.



Avec l'aimable autorisation des Echos (publié le 14/11/2020)

Copyright : JIM WATSON / AFP

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