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12/09/2018

Afrique-Chine : un partenariat gagnant-gagnant ? Trois questions à Philippe Le Corre

Afrique-Chine : un partenariat gagnant-gagnant ? Trois questions à Philippe Le Corre
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Le 3 septembre dernier, plus de 50 dirigeants africains se sont rassemblés à Pékin pour le Forum de coopération Chine-Afrique (FOCAC). Celui-ci intervient dans un contexte où la stratégie chinoise en Afrique est de plus en plus contestée, alors que la Chine demeure le premier partenaire commercial du continent. Les pays africains occupent en effet une place grandissante dans la stratégie internationale chinoise depuis quelques années et Xi Jinping a de nouveau promis – comme en 2015 – 60 milliards de dollars pour le développement du continent. Philippe Le Corre, spécialiste de l’Asie, Senior Fellow à la Harvard Kennedy School et Non-resident Senior Fellow au Carnegie Endowment for International Peace, nous livre son analyse.

Quel est l’objectif du FOCAC ? Quelle place occupe-t-il dans la stratégie internationale chinoise ?

Le Forum de coopération Chine-Afrique qui s’est déroulé la semaine dernière à Pékin est le sixième du genre. Il est organisé tous les trois ans et est presque devenu un rituel, avec plus de 50 chefs d’Etat qui se déplacent habituellement dans la capitale chinoise – même si l’édition de 2015 s’est tenue à Johannesburg. Au fil des ans, les dirigeants chinois ont accordé une attention croissante à l'Afrique. De nombreux projets africains ont été inclus dans l'initiative des Nouvelles Routes de la Soie, qui occupe une place centrale dans la stratégie du Président Xi Jinping. A l'heure où les relations de la Chine avec les Etats-Unis et d'autres pays occidentaux sont tendues, il convient de noter que Xi a tenu à se rendre en Afrique du Sud le mois dernier pour le sommet des BRICS.
 
Les relations sino-africaines ont été principalement économiques au cours des 20 dernières années, la Chine étant initialement à la recherche de ressources naturelles et de matières premières. La Chine est le principal partenaire commercial de l'Afrique depuis neuf ans. Il a construit des infrastructures massives et a soutenu les secteurs pétrolier et minier des pays en échange d'accords commerciaux avantageux. Cette année, le Forum a permis la signature et l'adoption d’une "Déclaration de Pékin" et du "Plan d'action de Pékin" (2019-2021) qui renforcent “la communauté de destin Chine-Afrique” et donc l’influence chinoise sur le continent. L’aide économique de 60 milliards de dollars promise une nouvelle fois par Xi Jinping a également vocation à écarter les critiques concernant l’endettement africain envers la Chine, en octroyant davantage de crédits sans intérêt et de dons qu’auparavant.
 
Le FOCAC révèle aussi clairement une ambition politique que l'auteur Howard French a décrite dans son livre China's Second Continent : How a Million Migrants Are Building a New Empire in Africa publié en 2014. De nombreux dirigeants africains ont trouvé des avantages à se rapprocher de la Chine, ce qui comble en quelque sorte le vide laissé par les pays occidentaux. En même temps, la Chine gagne des alliés sur la scène internationale. Une seule petite nation africaine n'a pas de relations diplomatiques avec Pékin : malgré d'immenses pressions pour changer de camp, le Swatini (anciennement Swaziland) reconnaît toujours Taïwan. Du point de vue de Pékin, se faire des amis, où que ce soit, est devenu d'une importance capitale, et l'Afrique est l'un de ses principaux objectifs. Le prochain Forum se tiendra au Sénégal, comme l'a annoncé le président sénégalais Macky Sall.

Quel objectif servent les investissements chinois en Afrique ? Représentent-ils une opportunité ou une menace pour les pays africains ?

Les entreprises chinoises ont commencé à investir en Afrique il y a 20 ans, alors qu'elles cherchaient des matières premières et des ressources naturelles. Le continent fait désormais partie intégrante de la diplomatie commerciale de Xi Jinping. En 2015, Pékin s’était engagé à investir 60 milliards de dollars de fonds, y compris en prêts concessionnels, dans des secteurs comme l'agriculture, l'industrie, les services, la santé et les infrastructures. Bien qu'il soit difficile d'évaluer si la Chine a tenu sa promesse entièrement, ce montant est trois fois plus élevé que celui qui avait été engagé lors du précédent FOCAC en 2012. Reste à savoir si le montant qui a été déboursé est bien celui qui avait été promis.
 
Les entreprises chinoises diversifient également leurs activités en Afrique et sont de plus en plus présentes dans le secteur manufacturier, celui des télécommunications, et celui des services. La Chine promeut par exemple son concept de zones économiques spéciales (ZES) à travers l'Afrique pour attirer les investisseurs, et a ainsi suscité l’intérêt de nombreux gouvernements, comme ceux de l'Ethiopie (parc industriel d’Awasa) et du Kenya (Uasin Gishu). Les ZES chinoises peuvent-elles cependant s’exporter en Afrique sur le long terme ? C’est là une toute autre question. De son côté, l’Éthiopie dispose désormais d'un chemin de fer électrique de 750 km entre Addis-Abeba et Djibouti, où se situe la première base militaire chinoise à l’étranger, qui accueille plus de 5 000 soldats. Ce chemin de fer a été entièrement financé et construit par des entreprises chinoises. Un autre projet phare (qui fait également partie de la Belt and Road Initiative - BRI) est le chemin de fer de 290 milles au Kenya, reliant la capitale, Nairobi, à la ville portuaire de Mombasa. L’ensemble de ces infrastructures permettent à la Chine de promouvoir la BRI ainsi que sa propre image dans le monde entier, y compris au Moyen-Orient où Pékin a des intérêts croissants. L'Afrique est aujourd'hui un marché essentiel pour la finance et les biens chinois : les banques et les produits en yuans se propagent en effet dans l’ensemble du continent. 

La stratégie chinoise est-elle une alternative à l'aide au développement occidentale en Afrique ?

La présence de la Chine en Afrique a été très critiquée par les Occidentaux, qui remettent en cause les pratiques commerciales controversées du pays. Or certains dirigeants africains ne sont pas entièrement du même avis. Un ancien président du Sénégal, Abdoulaye Wade, a par exemple affirmé que la Chine avait une conscience bien plus aiguë de l'urgence de développer l’Afrique que de nombreux pays occidentaux. Selon le projet AidData, la Chine a financé plus de 3 000 projets d'infrastructures. Entre 2000 et 2014, elle a accordé plus de 86 milliards de dollars de prêts commerciaux à des gouvernements et à des organismes d’Etat africains, ce qui fait de Beijing l'un des plus grands créanciers du continent. De plus, les investissements chinois contribuent à la création d'emplois, au développement des compétences et au transfert de nouvelles technologies - des pratiques souvent associées aux normes commerciales occidentales.
 
Entre-temps, l'Union européenne s'efforce de rester un acteur clé. Lors du sommet Union Africaine-Union Européenne à Abidjan en 2017, l'UE a promis qu’elle mobiliserait plus de 54 milliards de dollars en investissements "durables" pour l'Afrique d'ici 2020. La France et le Royaume-Uni, anciennes puissances coloniales, ont récemment assuré qu’ils s'intéresseraient de plus près au développement de l'Afrique. Le gouvernement américain fournit également une aide au continent, via USAID et son programme Power Africa, basé sur des partenariats publics et privés (80 projets évalués à 14,5 milliards de dollars). Quant au commerce bilatéral entre les Etats-Unis et l’Afrique, il est passé de 100 milliards de dollars en 2008 à 39 milliards en 2017. L'Afrique n'est pas une priorité pour l'administration Trump, et l’organisation USAID a subi des changements administratifs importants. Même la loi BUILD Act introduite par le Congrès américain au printemps dernier pour encourager l'investissement en Afrique ne suffira pour remédier à cette lacune, que la Chine s’empresse de combler.

 

Crédit photo : news.cn

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