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18/01/2018

Accord de coalition en Allemagne : l'Europe au centre du jeu ?

Accord de coalition en Allemagne : l'Europe au centre du jeu ?
 Edouard Husson
Auteur
Professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes

Edouard Husson, Vice-Président de l'Université Paris Sciences & Lettres et l’un des meilleurs spécialistes de l’Allemagne contemporaine décrypte pour nous le contenu de l’accord préliminaire conclu entre la CDU, la CSU et le SPD ce vendredi 12 janvier et annonçant le retour possible d’une "grande coalition" outre-Rhin. 

Il a récemment co-présidé avec Gilles Babinet le rapport de l’Institut Montaigne Enseignement supérieur et numérique : connectez-vous !, publié en juin 2017. 

120 jours se sont écoulés depuis les élections au Bundestag de la fin septembre. Aussi les gouvernements européens se sont-ils réjouis que le SPD (sociaux-démocrates), la CDU (chrétiens-démocrates) et la CSU (chrétiens-sociaux bavarois) aient signé un accord préliminaire – après seulement quelques jours de négociations entre ces trois partis qui avaient constitué l’ancien gouvernement (de 2013 à 2017) et qui sont prêts à remettre le couvert pour une nouvelle "grande coalition". 

La première tentative de signer un accord préliminaire en vue de former un gouvernement issu des élections de septembre 2017, "noir-jaune-vert" (dit "jamaïcain", qui aurait regroupé la CSU, la CDU, les libéraux du FDP et les Verts) s’était étirée sur plusieurs semaines et soldée par un échec au mois de novembre dernier. 

En réalité, la route est longue vers un accord de gouvernement. La chancelière Angela Merkel a tempéré les ardeurs des observateurs en parlant d’un gouvernement qui serait constitué éventuellement aux environs de Pâques. Le chemin est encore semé d’obstacles : le 21 janvier, un congrès extraordinaire du SPD se prononcera sur cet accord préliminaire. S’il est validé, le parti social-démocrate votera une seconde fois, au terme des négociations, sur l’accord de gouvernement. Rien n’est sûr : d’un côté les directions des partis et les grands responsables économiques appellent au sens des responsabilités. De l’autre, les adhérents du SPD (certaines fédérations régionales, les Jeunes Socialistes ou Jusos) hésitent ou manifestent quelquefois une franche hostilité. Reformer la "grande coalition" des années 2013-2017 amènera-t-il à une nouvelle érosion électorale ? Les derniers sondages donnent le SPD à 18 %, à seulement 4 points devant les populistes de l’Alternative für Deutschland (AfD). Plus fondamentalement, le parti social-démocrate est en crise d’identité depuis les lois Hartz IV. Doit-il choisir un ancrage à gauche, au risque de ne pouvoir accéder au gouvernement tout en regagnant des électeurs (abstentionnistes ou votants pour Die Linke) ? Ou bien, doit-il privilégier le sens des responsabilités et s’ancrer au centre, pour gouverner avec la CDU et la CSU ? C’est clairement le choix qu’a fait Martin Schulz, candidat du parti pour la Chancellerie fédérale lors des dernières élections, qui, après une longue hésitation, est entré en négociation. L’ancien président du Parlement européen a pensé qu’il ne pouvait pas faire autrement au moment où le président français propose au partenaire allemand un plan ambitieux de relance de l’Union européenne. 

Depuis que l’accord préliminaire a été signé par la CSU, la CDU et le SPD, les observateurs comptent les points et le bilan apparaît assez équilibré : 

  • La CSU et la CDU ont obtenu une augmentation des allocations familiales de 25 euros par mois tandis que la SPD a convaincu ses partenaires potentiels de faciliter l’aménagement du temps de travail pour les femmes. Les trois partis sont tombés d’accord pour augmenter la contribution gouvernementale aux crèches, ce qui permettra aux parents de payer moins et aux communes d’avoir des charges moins lourdes à supporter. 
     
  • La CSU et la CDU ont obtenu la fin de l’impôt appelé "supplément solidarité" qui avait été introduit dans les années 1990, en premier lieu pour financer la réunification. Le SPD s’est rangé à cette décision. Il n’a pas obtenu, pour sa part, le relèvement du taux d’imposition des revenus les plus élevés. 
     
  • Le SPD n’a pas obtenu la révision de ce que le parti appelle le "système médical à deux vitesses", (à savoir le différentiel de qualité des soins selon que vous cotisiez seulement à une caisse publique ou bien que vous souscriviez à une caisse privée). Mais, à la demande des sociaux-démocrates, la contribution des employeurs à l’assurance médicale obligatoire serait relevée en cas de "grande coalition".  
     
  • Les chrétiens-sociaux bavarois de la CSU sont satisfaits de l’accord sur l’immigration et les réfugiés. Leur nombre sera limité fortement par rapport aux années 2015 et 2016 et ramené aux chiffres de 2014, aux environs de 200 000 demandeurs d’asile et réfugiés par an, grand maximum. Le regroupement familial est limité à 1 000 individus par mois. Les nouveaux arrivants ne seront pas installés directement dans les communes mais leur dossier sera traité dans un centre d’accueil et ils pourront se voir refuser l’entrée du pays si leur dossier est refusé. 
     
  • Le SPD a obtenu que le niveau des retraites reste stable jusqu’en 2025. Le travail de révision du système des retraites sera confié à une commission, cela signifie que la CSU et la CDU n’en font plus une priorité.  
     
  • Le SPD a obtenu une limitation de l’augmentation du budget de la défense. Plus généralement, la dominante du texte, quand il parle de politique de défense et de sécurité, est celle d’un engagement pour la paix, d’une limitation des ventes d’armes et d’un retour aux principes fondateurs de la Bundeswehr : "armée contrôlée par le Parlement". 
     
  • Les sociaux-démocrates ont aussi obtenu un engagement sur la fin des centrales au charbon
     
  • Les trois partis sont d’accord pour un effort important dans le secteur éducatif et universitaire. L’Etat fédéral sera en mesure d’intervenir plus directement dans le financement du système scolaire, jusque-là financé quasi-uniquement par les Länder

Au total, on a donc bien un accord préliminaire de compromis, que les trois partis s’efforcent de présenter comme une victoire pour leur camp. La réalité est plus prosaïque. La République fédérale d’Allemagne pourrait bien, d’ici quelques semaines ou quelques mois, reprendre le cours interrompu d’une "grande coalition" qui a laissé une impression mitigée aux électeurs (- 5 % pour le SPD ; -8 % pour la CDU et la CSU aux élections de septembre 2017) mais qui semble être la seule combinaison gouvernementale viable – à moins de provoquer de nouvelles élections. 

La réussite du processus n’intéresse pas seulement les Allemands. Les Européens sont suspendus au résultat de la négociation. Les signataires de l’accord préliminaire le savent bien. Ils ont consacré le premier chapitre de leur texte à l’avenir de l’Europe. Le résumé de l’accord ne rend pas justice à ce long chapitre qui se veut une réponse au discours sur l’Europe tenu il y a quelques mois à la Sorbonne par le président français – jusque dans la proposition de développer une recherche commune dans le domaine de l’intelligence artificielle. "L’Allemagne doit s’impliquer activement dans le débat sur l’avenir de l’Union européenne et le renforcement de l’intégration européenne" affirme le texte, qui insiste sur un trio gagnant : démocratie, transparence et solidarité. Certes, les objectifs restent vaguement formulés – sauf quand il s’agit "du principe du salaire unique pour un travail identique dans un même lieu", clair soutien à la politique française ; qu’il s’agisse de "solidarité" ou de "répartition équitable des fruits de la prospérité", on pourra trouver, à première vue, que le texte reste loin des ambitions affichées par la France ces derniers mois. Mais lorsqu’on lit : "Nous plaidons pour des moyens budgétaires spécifiques qui servent à la stabilisation économique, à la convergence sociale et au soutien de réformes structurelles dans la zone euro – un possible point de départ pour un futur budget d’investissement de l’eurozone", on peut juger que les auteurs du texte sont allés aussi loin que possible sans braquer l’aile droite de la CDU et les Bavarois de la CSU, partisans d’une interprétation stricte des critères de Maastricht, pour répondre aux propositions du président français en faveur d’un budget et d’un gouvernement renforcé de la zone euro. Et les auteurs d’ajouter, pour finir, que l’Allemagne pourrait encore augmenter sa contribution au budget européen.  

Au total, cela faisait longtemps qu’un accord (préliminaire) de gouvernement entre des partis allemands n’avait pas insisté à ce point sur ce que l’Allemagne doit à l’Europe et sur l’importance de l’Union pour stabiliser les relations internationales – référence est faite explicitement au caractère imprévisible de la politique étrangère américaine, à la réaffirmation d’une politique de puissance russe et à la forte montée en puissance de la Chine. "Nous voulons que l’Allemagne s’implique activement dans le débat sur le futur de l’UE" insistent les auteurs du texte, qui reviennent presque au vieux slogan d’Helmut Kohl : "L’Europe et l’Allemagne sont deux faces d’une même monnaie", lorsqu’ils écrivent : "La croissance et la prospérité de l’Allemagne sont au plus haut point liées à la croissance et la prospérité de l’Europe". 

Un point est pourtant frappant, quand on lit les médias allemands. A part la Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ), aucun moyen d’information ne s’est appesanti sur le premier chapitre, consacré à l’Europe, ni sur la référence explicite qui est faite, par les auteurs de l’accord préliminaire à la relance que la France propose de l’intégration européenne. Peut-être cette dimension du texte sera-t-elle mentionnée dans certains débats du Congrès du SPD, dimanche prochain. Mais force est de constater quel’enjeu fondamental de l’accord préliminaire de gouvernement, la relance de l’Union européenne, est paradoxalement le point qui comptera le moins dans la décision finale de constituer ou non un nouveau gouvernement de "grande coalition". 

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