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12/07/2017

14 Juillet : les armées sous haute tension. Trois questions à Nicolas Baverez

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14 Juillet : les armées sous haute tension. Trois questions à Nicolas Baverez
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Cette année la célébration de la fête nationale française s'inscrit dans un contexte particulier. En effet, alors que la présence de Donald Trump a pu susciter de vives réactions, Emmanuel Macron, sera de son côté attendu sur ses positions en matière de défense et de sécurité. Nicolas Baverez, essayiste et avocat, président de notre groupe de travail Refonder la sécurité nationale, partage, pour l'Institut Montaigne, sa vision sur un événement hors du commun.

 

 

 

Que pensez-vous de la venue de Donald Trump à Paris à l’occasion des festivités du 14 juillet ?

L’histoire du XXème siècle a été dominée par de grandes guerres conduites au nom des idéologies, ainsi que par la lutte à mort entre des régimes autoritaires ou totalitaires contre les démocraties. Par trois fois les États-Unis ont fait la décision en faveur des nations libres, notamment en 1917 où leur intervention rendit inéluctable la défaite de l’Allemagne wilhelmienne. Il est donc parfaitement légitime, pour le centième anniversaire de ce tournant de la Grande Guerre, d’inviter le président des États-Unis au défilé du 14 juillet où seront présentes les troupes américaines.

L’hommage rendu aux soldats américains ne vaut en aucun cas soutien de la politique étrangère et de la stratégie erratiques déployées par Donald Trump, détruisant méthodiquement ce qui reste d’ordre mondial. La remise en question du libre-échange et plus encore des alliances qui structurent la solidarité entre les démocraties - notamment l’OTAN à travers le refus persistant de reconnaître l’article 5 qui fonde la garantie de sécurité entre ses membres - rend le monde plus instable et plus dangereux tout en affaiblissant le camp occidental. Les séquelles de cette embardée populiste des États-Unis pourraient être durables.

L’Europe qui se trouve en première ligne face aux menaces djihadistes et aux démocratures russe et turque se trouve tout particulièrement déstabilisée. Angela Merkel en a tiré les conséquences en affirmant que "les temps sont révolus où nous, Européens, pouvions nous reposer totalement sur d’autres ; nous devons lutter nous-mêmes en tant qu’Européens pour notre avenir et notre destin". Il ne faut rien faire pour encourager le retrait des États-Unis du continent et la décomposition de l’OTAN. Mais il faut en même temps tout faire pour réarmer l’Europe et accélérer l’émergence d’une Union de la sécurité dont les principales missions seraient la lutte contre le terrorisme islamique, la protection des infrastructures vitales et le contrôle des frontières extérieures du continent.

Que faut-il penser de la volonté du président Macron d’instaurer un “service militaire” ?

Emmanuel Macron s’est engagé durant la campagne présidentielle à créer un service national obligatoire d’un mois pour tous les jeunes Français. Ce service serait plus “national” que militaire, l’objectif étant de contribuer à la cohésion de la nation plutôt qu’à sa sécurité. En dépit de sa courte durée, le coût de ce dispositif est très élevé puisqu’il représente une charge de 12 à 17 milliards en investissements et 2,5 à 3 milliards par an en fonctionnement, notamment en raison des 15 à 20.000 personnes requises pour son encadrement.

Or, l’efficacité de ce service national d’un mois n’est pas prouvée et les finances publiques poursuivent leur dérive, avec un déficit et une dette publics respectivement évalués à 3,2 % et 98,9 % du PIB. Pour cette raison, il est nécessaire que son financement ne soit pas assuré par le budget de la défense qui fait déjà l’objet de tensions extrêmes.

Quelles doivent être selon vous les priorités du quinquennat en matière de sécurité et de défense ?

Emmanuel Macron, qui a mis en scène son rôle de chef des armées pour s’installer dans la fonction présidentielle, a fait à juste titre de la sécurité l’une des priorités de son quinquennat. A Versailles, devant le Congrès, il a déclaré : "partout, nous devons agir pour protéger nos intérêts et au premier chef notre sécurité". Il s’est par ailleurs engagé à consacrer à l’effort de défense 2 % du PIB, hors pensions et opérations extérieures en 2025, soit 50 milliards d’euros.

Trois défis majeurs se présentent à lui dans le domaine de la défense. Le premier découle du décalage croissant entre le sur-engagement des armées et les moyens financiers dont elles disposent, à savoir 32,7 milliards en 2017. Ce décalage se traduira par la consommation de l’essentiel de leur potentiel d’ici à 2020 et le renoncement au modèle complet d’armée qui constitue l’un des points forts de notre pays. Le deuxième concerne la dissuasion nucléaire dont le rôle est vital après le Brexit et face au regain des menaces émanant de la Russie comme des risques liés à la Corée du Nord. Sa modernisation à partir de 2020 implique de porter son budget, aujourd’hui réduit à 3,5 milliards d’euros, entre 5,5 et 6 milliards par an. Enfin, le troisième enjeu est européen, l’UE et ses États membres n’ont en effet d’autres choix que de se doter d’une stratégie de sécurité et de réinvestir dans un projet commun de défense.

La France doit rétablir la cohérence entre les objectifs, les missions et les moyens de sa défense. C’est l’objet de la revue stratégique qui doit dresser d’ici à octobre le tableau de l’environnement et des menaces pour notre sécurité, définir nos ambitions en la matière et concevoir le format des forces et de la base industrielle correspondante. Mais cette revue  stratégique, tout comme l’objectif de consacrer 2 % du PIB à la défense en 2025, seront annihilés si le gel de 2,7 milliards de crédits et la prise en charge par le budget de la défense du sous-provisionnement des opérations extérieures à hauteur de 850 millions d’euros ne sont pas annulés.

En matière de défense comme de politique économique, les décisions majeures se matérialiseront d’ici à la fin de 2017. Renforcer la puissance militaire française implique de porter à 35 milliards d’euros le budget de la défense pour 2018 puis de mobiliser 2 milliards supplémentaires par an jusqu’en 2025 afin d’engager :

  • la reconstitution des stocks de munitions et de rechanges,
  • la mise à niveau de la maintenance,
  • la modernisation de la dissuasion et des matériels obsolètes, usés ou détruits en opérations,
  • la constitution d’une force cybernétique et les recherches sur la robotisation du champ de bataille.


Il serait illusoire et dangereux de prétendre que l’UE puisse supporter la charge financière de l’indispensable réarmement français. Il faudra donc couper dans les transferts sociaux pour réinvestir dans l’État régalien.

La France doit prendre conscience du fait qu’il n’existe pas de redressement économique et social sans sécurité, et qu’il n’est pas de liberté sans capacité à assumer les charges de sa défense en toutes circonstances.

Pour aller plus loin :

Etat-d'urgence : que contient le projet de loi sécurité ? Trois questions à Kami Haeri

Où va l’Europe de la défense ? Trois questions à Maxime Lefebvre

 

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