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26/06/2017

La descente aux enfers du Venezuela

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La descente aux enfers du Venezuela
 Dominique Moïsi
Auteur
Conseiller Spécial - Géopolitique

 

Moyen-Orient, Europe, Amérique, Asie,... Dominique Moïsi, conseiller spécial de l'Institut Montaigne, analyse chaque semaine l'actualité internationale pour les Echos.

Le Venezuela de Nicolás Maduro est devenu l'enfant terrible de l'Amérique latine. Trois quarts de la population a perdu en moyenne plus de neuf kilos par habitant. Au regard de l'histoire, le régime chaviste est condamné.

Les décès liés à l'obésité sont de nos jours trois fois plus nombreux que ceux causés par les famines. C'est tout du moins la conclusion à laquelle est arrivé l'historien israélien Yuval Noah Harari. Il est pourtant un pays d'Amérique latine qui fut autrefois riche et prospère, dont les réserves pétrolières sont parmi les plus importantes au monde, dont les habitants ne sont pas menacés par l'obésité. Au Venezuela, trois quarts de la population a perdu en moyenne plus de 9 kilos par habitant. Ce régime amaigrissant forcé est l'illustration plus concrète de la descente aux enfers qui frappe le pays depuis l'arrivée au pouvoir du successeur d'Hugo Chávez, Nicolás Maduro. La violence dans la rue - soixante-quinze morts en trois mois lors des manifestations de l'opposition -, les femmes qui partent accoucher en nombre toujours plus grand dans les pays voisins que sont le Brésil et la Colombie, la diminution de plus de 70 % des importations alimentaires depuis 2014 sont autant de signes de la gravité de la crise.

Pour comprendre le Venezuela, faut-il faire référence à la malédiction du pétrole ou à celle de l'Amérique latine, sinon aux deux à la fois ? Le Venezuela, c'est Cuba, la qualité des soins en moins, le pétrole en plus. Le régime peut-il effectuer les réformes nécessaires à sa survie ou est-il condamné à disparaître ? A travers le Venezuela se pose la question de l'Amérique latine dans son ensemble. D'un côté, des pays qui ont tout pour réussir, de l'autre, des élites trop souvent corrompues et légères.

Le Venezuela a une population presque équivalente à celle du Canada (près de 32 millions d'habitants) et ses réserves en pétrole sont deux fois supérieures à celles de ce pays. Mais là s'arrête la comparaison. Le Canada est le bon élève de la classe nord-américaine. Le Venezuela est, actuellement, l'antimodèle le plus parfait de la classe sud-américaine. Le Premier ministre du Canada, Justin Trudeau, est la face souriante et charismatique d'un pays qui apparaît d'autant plus humain que son grand voisin l'est toujours moins. Nicolás Maduro est de manière caricaturale le leader d'un " Etat failli ", qui, victime de ses dysfonctionnements structurels, en particulier de l'absence d'équilibre entre les pouvoirs, sombre dans la misère, la violence et le désespoir. Au moment où le Brésil semble paralysé par une crise politique, qui ne cesse de s'approfondir, avec la révélation de nouvelles strates de corruption, la crise que traverse le Venezuela est-elle une simple aberration ou le miroir grossissant des maux d'un continent tout entier ? Cette dernière interprétation est sans doute excessive et simplificatrice, et ne tient pas compte des progrès réalisés par la Colombie et même l'Argentine, ou de la stabilité du Chili.

De fait, le continent sud-américain évolue selon des cycles. Ainsi, au XXe siècle, lorsque les régimes militaires des années 1960 et 1970 s'avérèrent incapables de résoudre la crise économique, ils furent suivis, dans les années 1980 et 1990, par le retour de la démocratie et de civils au gouvernement. Plus récemment, avec l'émergence d'un nouveau type de dirigeants nationaux, tels le Bolivien Evo Morales ou le Vénézuélien Hugo Chávez, l'Amérique latine a connu un cycle " populiste ", faisant suite à une décennie de libéralisme économique extrême, ayant par exemple poussé l 'Argentine au bord de la ruine . Dans les années 2000, les pétrodollars de Chávez semblaient presque équilibrer en termes d'influence le modèle réformiste et raisonnable du Brésil, Lula ayant inscrit sa démarche dans les pas éclairés de Cardoso. Peut-on parler aujourd'hui d'un double échec, même si celui des populismes est plus spectaculaire encore que celui des réformistes, alors que les deux sont unis, par une même malédiction, celle de la corruption ?

Comment expliquer la relative indifférence de l'opinion publique internationale face à la descente aux enfers du Venezuela ? Sur un plan régional, l'Amérique de Trump a certes tourné le dos à l'Amérique latine dans son ensemble et ne pense qu'à bâtir des murs pour se protéger de ses habitants. De plus, comment se soucierait-elle des dérapages d'un régime dont elle a toujours dénoncé les dérives idéologiques ? Elle a déjà fort à faire à remettre en cause le rapprochement effectué par le président Obama avec Cuba. Le Brésil et la Colombie ouvrent leurs frontières aux milliers de citoyens vénézuéliens qui viennent chercher un réconfort alimentaire et médical face à un régime qui constitue pour eux la principale cause d'insécurité, sinon de chaos. Mais, en Europe, tout se passe comme si notre capacité d'indignation s'était tarie ou s'était concentrée plus près de nous au Moyen-Orient ou sur le continent africain. Des Latinos souffrent, qu'y a-t-il de nouveau à cela ? Les uns dénoncent justement les dérives populistes, d'autres, victimes de leur vision idéologique, défendent, en dépit du bon sens, un régime dont ils refusent de reconnaître l'absurde et catastrophique logique.

S'il existait, face au régime Maduro, une opposition unifiée et forte, si les tenants du pouvoir, avec le temps qui passe et la situation économique et sociale qui s'aggrave, ne défendaient pas désormais leur vie tout autant que leur survie au pouvoir, la transition serait plus facile. Craignant de connaître le sort de Ceausescu en Roumanie, Maduro - soutenu par des groupes armés qui lui sont fidèles et qui confondent les intérêts de la nation avec leurs intérêts personnels, sans parler de ceux des cartels de la drogue - s'accroche de toutes ses forces au pouvoir pour prolonger les " lumières du chavisme ". L'expression de " Corée du Nord latine " commence à être utilisée pour décrire le Venezuela, qui a certes le pétrole en plus et l'arme nucléaire en moins. L'expression est excessive, mais le seul fait qu'elle puisse être employée en dit long sur l'état du pays. Le régime est condamné, mais, faute d'alternative claire, le calendrier de sa chute reste un mystère.

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