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21/03/2017

Sortir du nucléaire : mise au point sur notre chiffrage

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Sortir du nucléaire : mise au point sur notre chiffrage
 Institut Montaigne
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Institut Montaigne

Le Monde publiait mercredi dernier un article intitulé En France, sortir du nucléaire coûterait cher, y rester aussi. Il fait suite à l'analyse que l'Institut Montaigne a présentée, dans la cadre de son opération de décryptage des programmes, de la proposition formulée par Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon de sortir du nucléaire d'ici 2035. Nous en avons estimé le coût à 217 milliards d'euros.

L'article avance que "l'Institut n'a toutefois fait le travail qu'à moitié" et qu'"au total, persévérer dans le nucléaire coûterait de 335 à 385 milliards d'euros". Ces deux affirmations appellent une mise au point.

Qu’avons-nous chiffré ?

Comme pour toutes les propositions que nous analysons dans le cadre de notre opération Présidentielle 2017 - Le Grand Décryptage, nous avons estimé le surcoût global directement lié à la mise en œuvre de la mesure.

Les candidats portant cette mesure n’ont pas apporté l’ensemble des précisions nécessaires à sa bonne compréhension. Nous avons retenu des hypothèses à partir des prises de parole des candidats ou de toutes autres données publiques, en l’occurrence les analyses de la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) préparée par le ministère de l’Environnement, de l’Énergie et de la Mer ainsi que sur celles de la Commission de régulation de l’énergie (CRE). Ces hypothèses ont clairement été énoncées en introduction de notre fiche de chiffrage.

Comme nous le précisons dans notre chiffrage, la sortie totale du nucléaire d’ici 2035 engendrerait plusieurs types de coûts et d’effets économiques, parmi lesquels :

  • les surcoûts de coûts de production induits par le remplacement des capacités électriques existantes par des énergies renouvelables (EnR), évalués à 179 milliards d’euros ;
  • les surcoûts de renforcement des réseaux rendus nécessaires pour les adapter aux capacités déployées en substitution, environ 13 milliards d’euros ;
  • les coûts d’indemnisation d’EDF liés à l’arrêt anticipé de centrales, comme c’est le cas pour Fessenheim, estimés sur la base de cet unique précédent à 25 milliards d’euros au total.

 
S'agissant du premier type de coût, la sortie du nucléaire nécessitera en effet un investissement dans de nouvelles capacités de production d'électricité d'origine renouvelable, qui en l'état des technologies et des mécanismes de soutiens induiront des coûts supérieurs au kWh. En matière d'énergie, la notion de coûts d'investissements initiaux n'a que peu d'intérêt. C’est pourquoi notre raisonnement s'est basé sur les différentiels de coûts de production qui intègrent l'investissement initial amorti sur la durée de vie de l'installation. Le coût de 179 milliards d’euros a ainsi été calculé à partir de la part EnR de la contribution au service public de l’électricité (CSPE), soit une différence entre le tarif d’achat des EnR et un coût évité, qui est lui-même calculé à partir des prix de marché et donne une indication fiable du coût de production du mix actuel. De cette manière, notre chiffrage correspond ainsi au surcoût du scénario de sortie du nucléaire par rapport à la solution actuellement retenue et ne prend pas en compte le coût total du développement des capacités renouvelables de substitution.

En somme, fidèles au principe qui guide l’ensemble de nos analyses, nous avons simplement chiffré la sortie du nucléaire à horizon 2035. Ce que n’ont pas fait les candidats à ce stade.
 

Avons-nous chiffré le maintien du nucléaire ?

Pour prolonger la production d’électricité nucléaire avec le parc actuel, il sera effectivement nécessaire d’investir dans la maintenance des centrales. C’est ce qu’on appelle le "grand carénage". Ces dépenses d’investissement sont estimées à 100 milliards d’euros par la Cour des comptes dans un rapport daté de février 2016, qui fait référence sur le sujet.

Cependant, ce montant ne peut être comparé avec notre chiffrage. En effet, comme expliqué plus haut au sujet des investissements initiaux, il faut rapporter ce montant à la production sur la durée de vie restante de l'installation (soit dans le cas présent entre 10 et 20 ans). Ainsi, la Cour des comptes avait estimé dans son rapport sur les coûts de production du nucléaire de 2014 que ces dépenses d'investissements de grand carénage n'impacteraient à la hausse le coût du mégawatt heure que de quelques euros (2€ environ, soit 0,8 Md€ par an si la production nucléaire est maintenue à son niveau actuel de 410 TWh par an). C’est ce montant de 0,8 Md€ qui peut être comparé à notre surcoût de 8 Md€ par an jusqu'en 2025 puis de 11,5 Md€ par an de 2025 à 2035.

Cette augmentation reste donc marginale par rapport à un scénario de sortie rapide du nucléaire et ne remet ainsi pas en cause la crédibilité du scénario médian aboutissant à 217 milliards d’euros que nous avons retenu.

Ces ordres de grandeur sont logiques. En effet, le grand carénage permet de poursuivre l’usage pendant 10 ou 20 ans d’un outil de production déjà très largement amorti et constitue donc une solution plus économique à court terme que le remplacement d'ici 2035 de toutes les capacités nucléaires par des énergies renouvelables, alors même que toutes les technologies renouvelables n'ont pas encore atteint leur niveau de maturité. La logique économique sera probablement différente dans 20 ans quand les premières centrales auront atteint 60 ans : la question se posera de les remplacer par des EPR ou des EnR qui auront alors gagné en maturité.

Comparer le surcoût de sortie du nucléaire, c’est-à-dire le cumul des surcoûts de production par unité de production (217 milliards), avec des coûts bruts d’investissements dans le nucléaire (100 milliards d’euros de maintenance) n’a donc aucun sens !
 

Que n’avons-nous pas chiffré ?

Nous n’avons effectivement pas chiffré les dépenses d’investissement dans le programme de renouvellement du parc nucléaire de 2030 à 2050 par la construction de 30 à 40 réacteurs de type EPR. Cette dépense est estimée dans l'article entre 150 et 200 milliards d’euros. Encore une fois, il s’agit là de dépenses d’investissement et non de surcoûts de production, les chiffres avancés dans l'article ne sont donc pas comparables avec ceux de notre chiffrage ! Faut-il également rappeler que les investissements initiaux ne sauraient être évalués que sur l’ensemble de leur période de production, en l’occurrence jusqu’en 2090 au minimum ? Faut-il en outre préciser qu’on ne saurait prendre le coût d’un prototype, nécessairement plus élevé que celui des modèles qui lui succéderont ensuite en série, pour référence du coût d’une centrale, tel que semble le faire l’article du Monde ?

Par ailleurs, les horizons temporels sont différents : notre chiffrage s'arrête en 2035. Or, les capacités de production d'EnR ont une durée de vie de 20 ans environ. Il faudra donc renouveler un certain nombre d'installations (celles mises en service entre 2018 et 2030) entre 2035 et 2050 dans le cas d'un scénario de sortie du nucléaire ; de plus, les installations mises en service avant 2035 continueront à induire un surcoût de production annuel pendant toute la durée restante de vie. Tous ces coûts ne sont pas pris en compte dans le montant de 217 milliards d’euros. On ne saurait donc comparer des coûts sur deux périodes de temps différentes.
 
Cependant, nous avouons bien volontiers n’avoir fait le travail qu’à moitié, mais dans un sens exactement contraire à celui qui nous est reproché. Comme nous le précisons dans le détail de la méthodologie retenue, nous n’avons pas estimé de très nombreux coûts indirects et autant de dégâts collatéraux liés à la sortie du nucléaire d’ici 2035, dont la survenue est certaine mais qui sont trop difficiles à estimer précisément, dont notamment :

  • le coût social de la reconversion des quelque 200 000 emplois liés à cette filière et les risques que cette reconversion fait courir à la sûreté de la gestion du parc ;
  • les coûts liés à l’avancement des opérations de démantèlement ;
  • les pertes d’opportunité à l’export et la contribution qui deviendrait alors négative de l’électricité dans la balance commerciale de notre pays, alors que c’est aujourd’hui la seule forme d’énergie qui y contribue positivement.

 
Chiffrer une mesure aussi ambitieuse est un exercice extrêmement délicat. Nous l’avons entrepris et nous l’avons fait sans oublier l’essentiel. Nous espérons, en tous les cas, qu’il aura éveillé la curiosité des citoyens quant à la faisabilité technique et financière de ce projet. Mais si les prévisions ne peuvent naturellement dissiper toute forme d’incertitude quant à l’avenir, l’évaluation du passé peut également nous éclairer.
 
Le cas de l’Energiewende¸ le "tournant énergétique" allemand, constitue à cet égard un élément de comparaison intéressant. Après la catastrophe de Fukushima en 2011, le choix a été fait outre-Rhin d’abandonner l’atome. Si la production d’électricité d’origine nucléaire y était près de trois fois inférieure à la nôtre, le coût de la transition donné par le Ministre de l’Énergie allemand avoisine les 1 000 milliards d’euros. Les 217 milliards d’euros que nous avons calculés pour la sortie du nucléaire à horizon 2035 pourraient donc constituer un scénario plutôt optimiste…
 

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