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20/10/2016

Corps européen de garde-frontières : Frontex est mort, vive Frontex !

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Corps européen de garde-frontières : Frontex est mort, vive Frontex !
 Fanny Anor
Auteur
Ancienne chargée d'études senior

Le 6 octobre dernier, un corps européen de garde-frontières a vu le jour. Dans un contexte sécuritaire particulièrement difficile, l'objectif de l'Union européenne est double : mieux protéger ses frontières extérieures et mieux contrôler les flux migratoires tout en affichant une image d'unité. Cette mesure est-elle à la hauteur des enjeux qui se posent au continent européen ?

L’urgence d’une réponse

L’année 2015 a marqué une rupture forte pour les Européens, les attentats de Paris (en janvier et novembre 2015) et la crise des migrants leur ont fait prendre conscience de l’impréparation et du vide stratégique que l’Europe a laissé se constituer. Confrontés à la plus grande vague migratoire sur leur territoire depuis 1945, les États-membres se sont révélés incapables d'anticiper cette crise humanitaire et de gérer les flux massifs de réfugiés de manière coordonnée. La suspension de fait des accords de Schengen – huit États-membres ont rétabli le contrôle aux frontières –, et la construction de murs aux frontières des pays d’Europe centrale, ont démontré que l’Union européenne ne dispose ni de la capacité de maîtriser son territoire et sa population, ni d’un dispositif de contrôle efficace de ses frontières extérieures. L’inefficacité de l’agence Frontex, en charge de la protection des frontières externes de l’Union européenne (UE) a été largement décriée.

Quelles sont les missions de Frontex ?

L’une des trois missions de Frontex est d’assister les États-membres dans la lutte contre l’immigration irrégulière (outre la protection des frontières et le sauvetage des victimes de la traite humaine). Or, le nombre de franchissements irréguliers n’a jamais été aussi élevé (selon Frontex, 1,8 million pour 2015, soit le total cumulé des six années précédentes). L’agence n’a pas été conçue pour faire face à une telle crise. Pourtant, la pérennité d’un espace de libre-circulation des biens et des personnes en Europe dépendra beaucoup de la capacité de Frontex à mener à bien sa mission de sécurisation des quelque 14 000 kilomètres de frontières extérieures de l’Union

Un nouveau Frontex ?

Après six mois de négociations, le Parlement européen a voté, le 6 juillet 2016, le règlement transformant Frontex en Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes. Cette agence reconfigurée reprendra et amplifiera les missions de contrôle aux frontières du dispositif Frontex. La révision du dispositif et l’extension de ses compétences et de ses missions sont censées renforcer son efficacité dans les années à venir. C’est dans le cadre de cette reconfiguration qu’a été créé un corps de gardes-frontières européen, force d’action de 1 500 personnes. De surcroît, le mandat octroyé à ce nouveau Frontex est élargi : l’organisation peut désormais envoyer des agents aux frontières extérieures de l’UE et a la charge de la lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme.

Une réponse à la hauteur des enjeux ?

Le mandat de Frontex, négocié durant plusieurs mois, apparaît beaucoup moins opérationnel qu’annoncé. L’initiative, très médiatisée, de la création d’un corps de 1 500 gardes-frontières réservistes mobilisables sous 5 jours avec possibilité de déployer des agents sans l’aval des États membres concernés par l’intervention apparaît d’une utilité limitée. En effet, il ne s’agit que d’une mise à disposition de moyens, sur la base du volontariat, au sein des forces nationales concernées. Le déploiement d’équipes supplémentaires de garde-côtes à la demande de l’Agence peut, quant à lui, être évité si les États concernés par cette demande sont "confrontés à une situation exceptionnelle affectant sérieusement l’exécution de tâches nationales". On est très loin ici de la création d’un corps de garde-frontières européens permanent composé d’effectifs contractuels fixes, issus des forces nationales de l’Union, à l’instar d’Europol ou Interpol. Ce mandat s’avère extrêmement compliqué à mettre en œuvre. Dans le cas de la France, on voit mal comment un pays dont les forces de sécurité sont sous tension pourrait libérer des effectifs pour Frontex, qui plus est mobilisables sous 5 jours et sur la base du volontariat

Au-delà de la création de ce corps de garde-frontières, les effectifs humains et les moyens alloués à Frontex restent très limités. Les effectifs permanents, actuellement de 330 personnes, seront augmentés jusqu’à 640 personnes fin 2017 et 1 000 d’ici à 2020. Il s’agit d’agents temporaires contractuels, d’experts détachés, en aucun cas d’opérationnels. Ils assurent des fonctions de coordination, et non de contrôle aux frontières. Dans les faits, ces personnels permanents effectuent avant tout du reporting auprès des institutions européennes. L’analyse des risques n’occupe qu’une part résiduelle de leur activité. . Le budget actuel de Frontex, 254 millions d’euros, sera porté à 300 millions en 2017 et à 338 millions d’ici 2020. À titre de comparaison pour l’année 2015, les États-Unis ont consacré 13 Md$ à la protection des frontières, 10 Md$ pour leurs 40 000 gardes-côtes et consacrent trois milliards de dollars à leurs services d’immigration.

Transformer Frontex en une véritable police des frontières

Frontex n’a aujourd’hui ni accès aux informations essentielles pour le contrôle des frontières (accès aux fichiers européens – cartes de résidence par exemple), ni pouvoir exécutif et ne peut qu’administrer ou agréger les forces mises à dispositions par les États membres. Dans ces conditions et compte tenu du peu d’outils ou de moyens propres dont elle dispose, son échec semble inévitable. Dans son rapport ''Refonder la sécurité nationale'', l’Institut Montaigne plaide en faveur d’une Union pour la sécurité qui aurait pour missions prioritaires la lutte contre le terrorisme, la protection des infrastructures essentielles et le contrôle des frontières extérieures de l’Union, notamment par la mise en place d'un dispositif intégré de surveillance de la Méditerranée et d’une politique de développement coordonnée en direction des pays de l’Afrique et du Moyen-Orient. Frontex serait alors transformée en une police des frontières extérieures, dotée d’outils juridiques adéquats, de moyens propres et d’effectifs permanents, elle aurait pour mission prioritaire sera le contrôle des frontières extérieures de l’Union.

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