Page 32 - Institut Montaigne- Rapport d'activité 2024

Que signifient l’engagement (politique, social) et l’intérêt général pour vous ?
Bruno Tertrais
Expert associé - Géopolitique,
relations internationales et démographie
Pourriez-vous vous présenter brièvement, en retraçant votre parcours ?
Mon intérêt pour les relations internationales et la géopolitique est né… avec la prise d’otages
des Jeux Olympiques de Munich en 1972 : alors enfant, j’avais suivi l’actualité heure par heure
à la radio. La géopolitique m’a toujours fasciné depuis, et je ne me suis jamais ennuyé dans mon
activité professionnelle. Après Sciences Po, une formation juridique, et un doctorat en sciences
politiques mené tout en travaillant dans une institution bruxelloise, j’ai passé huit ans au ministère
de la Défense, dans un poste proche de la décision politique au plus haut niveau. J’ai aussi évolué tôt
dans l’univers des think tanks. D’un côté, j’ai appris à la rigueur intellectuelle, de l’autre la connaissance
des circuits décisionnels. Le fait d’avoir abordé les relations internationales autant par expérience directe
que via la science politique et une formation de juriste fut précieux. Par ailleurs, j’ai une appétence
pour les chiffres, ce qui a nourri mon attrait pour les études démographiques, ma porte d’entrée dans
l’écosystème Montaigne.
À Bruxelles, j’ai fait l’expérience du travail en anglais et dans un milieu international, deux conditions
sine qua non pour travailler sur les questions géopolitiques. J’ai aussi séjourné aux États-Unis,
où j’ai pu apprécier les différences de culture qui existent avec l’écosystème français : l’habitude,
outre-Atlantique, des « revolving doors », qui maintiennent une porosité bénéfique entre la décision
politique et l’expertise, manque en France. Au début des années 90, l'administration et les think tanks
se regardaient encore en chiens de faïence, et même si ce n’est plus le cas aujourd’hui, l’aller-retour
ne se fait pas encore pleinement. Deuxième différence de taille avec les États-Unis : le financement.
Les think tanks américains disposent des financements de fondations et surtout, les chercheurs doivent
aller chercher eux-mêmes leurs ressources. Cela implique évidemment des vulnérabilités inexistantes
dans notre modèle, mais présente aussi des atouts. Troisième décalage avec la France : nous n’avons
pas assez investi dans l’anglais et nombre d’analyses hexagonales d’excellente qualité se privent
d’audience, donc d’impact et d’influence par rapport à d’autres pays du nord ou du centre de l’Europe
par exemple - les traductions automatisées par IA sont à cet égard une très bonne nouvelle.
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Travailler dans un think tank n’est pas un sacerdoce et reste une activité rémunérée : nous ne sommes
ni des bénévoles ni des militants. Toutefois, on ne travaille pas simplement pour soi et son employeur
mais aussi pour une communauté, qui est son propre pays, la France, et qui peut être élargie
à l’Europe. C’est une forme d’engagement. L’équilibre entre la neutralité analytique et les convictions
que l’on nourrit par ailleurs est subtil : travailler dans un think tank n’empêche pas que l’on souhaite
pousser certaines propositions qui vont dans l’intérêt général. La distanciation froide qui sied à l’expert
et la force de conviction qui permet de voir ses idées être discutées et adoptées par des décideurs
peuvent être complémentaires. C’est en cela que l’expérience de l’administration est formatrice :
on mesure le poids des contingences, on constate que les décisions politiques sont parfois prises
de façon irréfléchie ou irrationnelle… Non qu’il faille être désabusé, mais au contraire, le think tankeur
en tire les leçons : avoir de l’impact ne s’improvise pas et le pouvoir de l’analyse ou le savoir, seuls,
ne suffisent pas. La bonne tribune publiée au bon moment dans le bon média peut être dix fois plus
influente qu’un rapport écrit, et la bonne rencontre avec la bonne personne sur le bon sujet peut être
dix fois plus efficace qu’une excellente tribune. On peut être le meilleur, il faut aussi arriver au bon
moment.
Par rapport à vos autres types d’engagement (académique, institutionnel,
personnel ou professionnel), quelle capacité d’impact pensez-vous qu'un think
tank offre ? Pourquoi avoir choisi de rejoindre l'Institut Montaigne ?
J’ai une double affiliation : mon activité principale de directeur adjoint à la Fondation pour la
Recherche stratégique (FRS), où nous travaillons essentiellement sur les questions de sécurité
internationale, et mon statut d’expert associé à l’Institut Montaigne. Ce statut me permet de travailler
sur une pluralité de sujets nationaux et internationaux, dont la démographie. L’écosystème
de l’Institut me permet surtout d’être plongé dans un bain d’expertises et de compétences très
diversifiées, avec une stimulante fertilisation croisée, que l’on ne retrouve pas dans les think tanks
exclusivement spécialisés en relations internationales.
L’Institut Montaigne donne aussi l’occasion de faciliter les contacts avec le secteur privé. Je constate
avec satisfaction que depuis trois ans, la situation internationale amène de plus en plus les entreprises
à se nourrir de l’expertise des think-tanks. Ukraine, Chine, Moyen-Orient, élection de Donald Trump :
les entreprises prennent davantage en compte le risque géopolitique. L’Institut Montaigne est bien
placé pour servir de passerelle entre cette expertise et les besoins du secteur privé.
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