Page 30 - Institut Montaigne- Rapport d'activité 2024
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Que signifient l’engagement (politique, social) et l’intérêt général pour vous ?
Deux figures m’ont intellectuellement façonnée : Adam Smith, celui de la Théorie des sentiments moraux,
ouvrage moins célèbre que la Richesse des nations qui montre les tensions créatrices à l’oeuvre dans
chaque individu dont chacun, tout en poursuivant ses intérêts égoïstes et matériels, contribue à oeuvrer
pour l’intérêt général. Cette dialectique reste fondatrice à mes yeux, bien plus que la vision stérile
Cécile Maisonneuve et caricaturale d’une opposition systématique entre le public et le privé. Ensuite, c’est Raymond Aron
qui m’a guidée. Ce sociologue, ce grand intellectuel, a montré comment être un « spectateur engagé »
Experte associée - Énergie, territoires, en se confrontant, notamment, aux questions de politique internationale de son temps : sa pensée
développement durable est particulièrement nécessaire dans le contexte international que nous connaissons.
Pour répondre à votre question sur l’engagement, je dirais donc qu’au fond, il serait temps
que l’on sorte des fausses équivalences : œuvrer en faveur de l’intérêt général n’est pas le monopole
Pourriez-vous vous présenter brièvement, en retraçant votre parcours ? des seuls pouvoirs et entités publics. Les entreprises jouent un rôle très important dans notre
société car elles sont dépositaires, elles aussi, de l'intérêt général : pour revenir au secteur industriel,
C’est le début classique d’une sorte de Balzac au féminin : une très bonne élève de province, comment ne pas voir qu’il est aussi, par exemple, celui qui a façonné le territoire français ?
qui « monte à Paris », selon la traditionnelle trajectoire que veut permettre la méritocratie
républicaine… Passionnée par l’épigraphie et l’histoire ancienne, j’ai commencé par étudier les lettres Par rapport à vos autres types d’engagement (académique, institutionnel,
classiques rue d’Ulm mais peu à peu, j’ai eu envie d’élargir mon spectre - c’est ce qui m’a toujours personnel ou professionnel), quelle capacité d’impact pensez-vous qu'un think
aiguillonnée : comment voir à 360 ° ? D’où un virage vers l’histoire contemporaine, une scolarité
à Sciences Po en parallèle. J’ai ensuite passé le concours d’administrateur de l’Assemblée nationale, tank offre ? Pourquoi avoir choisi de rejoindre l'Institut Montaigne ?
qui m’a successivement conduite à travailler pour les Commissions de la Défense, des Lois
et des Affaires étrangères. Un think tank, c’est un endroit où les mondes académique, politique et des affaires discutent
ensemble sans formalisme, sans s’enfermer dans un cadre rigide ou une manière unique
Malgré mon attirance certaine pour les institutions politiques et administratives, la fonction publique d’approcher tel ou tel sujet. La France souffre beaucoup de ce formalisme où chacun s’enferme dans
est aussi un monde qui écrase les individualités sans compter que je ne comptais pas passer toute des postures publiques. Dans un débat public grevé de tabous, le rôle d’une structure comme
ma carrière dans la même organisation. J’ai donc rejoint l’industrie, en l’occurrence nucléaire, sujet l’Institut Montaigne est précisément de casser ces postures qui nous enferment, ces vieux réflexes.
qui, dans ses composantes militaire et civile, m’a toujours passionnée et j’ai rejoint Areva. Le temps Cela fonctionne grâce à la variété très riche des profils qu’on y croise : dans le large cercle de fellows
long de cette industrie stratégique, son rôle structurant à toutes les échelles - pour le pouvoir d’achat, aux expertises techniques pointues, mais aussi dans les interactions avec l’équipe permanente
pour la place de la France, la compétitivité, les relations internationales -, ses interactions avec l’action ou les entreprises adhérentes. Par sa méthode, faite de groupes de travail, d’auditions, de séances
politique : c’est tout cela qui me passionne. Plus largement, l’industrie offre aussi un rapport au de réflexion ouverte - “brain storming”, l’Institut Montaigne appréhende les grandes questions
monde fait de projets, très opérationnel, qui m’a séduite, moi qui venais d’un univers plus intellectuel. économiques, politiques et sociales de notre actualité dans une perspective d’action et avec la solidité
Cela m’a menée à ce que je fais aujourd'hui, qui correspond à une aspiration de longue date : d’une recherche intellectuelle rigoureuse. C’est aussi un modèle original, qui consiste à être soutenu
j’ai créé ma propre entreprise sur les questions de transition et de géopolitique de l’énergie, au niveau par de nombreuses entreprises sans dépendre de subsides publics - chose rare en France !
français, européen et international. En parallèle, je suis chroniqueuse pour la presse écrite
et je participe au travail de différents think tanks, avec un moteur : la curiosité … Je dirais aussi que Montaigne, c’est une certaine agilité, un sens du ”Kairos”, comme disaient les Grecs,
c’est-à-dire un art de s’emparer des opportunités, d’ajuster avec souplesse un calendrier de travail
S’il fallait trouver un fil de trame à tout cela, je dirais que j’ai toujours pratiqué une forme de traduction, dans un monde bousculé. C'est une banalité de le dire mais je crois que c’est tout de même vrai :
comme l’épigraphie de mes premières amours : je cherche à trouver une langue, un vocabulaire, une nous sommes face à un risque de “sidération” tant certaines évolutions du monde semblent prendre
syntaxe, afin que les gens qui parlent d’un même sujet, en l’occurrence aussi complexe que l’énergie, de court les décideurs politiques. Comment reprendre pied ? En menant une action raisonnée
mais sous des angles différents, puissent œuvrer de conserve pour faire avancer les choses. et réfléchie qui exige de saisir au vol le réel qui vrombit pour le reposer, l’analyser, s’en emparer
en quelque sorte pour mieux agir dessus. Voilà ce que fait l'Institut Montaigne.
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