À Djibouti, la Chine s’installe là où les États-Unis, le Japon et la France louent aussi des terrains pour leurs opérations militaires dans la région. Elle fait valoir officiellement les fonctions de "soutien logistique" de cette installation puisque sa marine effectue des patrouilles dans le Golfe d’Aden depuis 2008, dans le cadre de la lutte internationale contre la piraterie. Début 2022, elle en est à son 40ème déploiement de flottilles de patrouille et d’escortes de navires commerciaux. Dès 2017, la base est suffisamment opérationnelle pour offrir un soutien logistique à ces déploiements, même si elle ne dispose pas encore de son propre quai. Le Commissaire politique de la base, le Senior Captain Li Chunpeng, y voit un "ajustement graduel" pour les opérations navales chinoises, qui ont désormais vocation à s’appuyer davantage sur des bases et non plus seulement sur le ravitaillement en mer et dans des ports amis.
Cette quête d’assentiment international amène l’APL à présenter Djibouti dans le discours officiel comme possible point d’appui pour des déploiements de casques bleus dans des missions de paix de l’ONU. Cela ne s’est, pour l’instant, jamais produit. En revanche, la marine chinoise a utilisé Djibouti pour une mission d’assistance humanitaire et de secours en y déployant en 2017 son navire-hôpital, le Peace Ark, qu’un article récent du PLA Daily décrit comme la "carte de visite d’une diplomatie de grande puissance" (大国外交名片). Le symbole était important, même si ses nombreuses missions autour du globe avaient déjà démontré que le Peace Ark pouvait soigner gratuitement, ancré dans les ports de commerce du monde entier, sans réseau chinois de bases militaires.
La Chine fait donc valoir à Djibouti le volet le plus coopératif de sa modernisation militaire. Il est probable que la marine chinoise utilise à l’avenir la base pour des missions humanitaires ou de paix. Des opérations de plus grande intensité ou liées à des intérêts chinois de puissance n’en sont pourtant pas moins à écarter. La construction d’installations souterraines, la présence dans la base de l’infanterie de marine, les efforts de la Chine pour éviter des survols américains, français et japonais de sa base (au point de recourir à des lasers contre des pilotes américains) soulignent les limites de la transparence du projet chinois. L’une des missions de l’APL est la défense des intérêts chinois à l’étranger, soit ceux de ses ressortissants et de ses entreprises. Des actions hostiles, qu’elles viennent de groupes terroristes ou qu’elles résultent de conflits internes à des États de la région, pourraient amener l’APL à utiliser Djibouti pour des opérations de renseignement, d’évacuation de ressortissants, de libération d’otages, d’intimidation, voire de frappes ciblées. Toutes les options sont sur la table pour la défense des intérêts chinois dans les crises - y compris le fait de laisser d’autres puissances agir. Seules les circonstances précises des crises à venir détermineront les choix que fera la Chine.
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