Je crains que tout cela…Je crains que tout cela arrive trop tard. Il nous faut autre chose, autrement, dans un autre cadre. Le projet européen est toujours aussi moderne et nécessaire mais l'Union européenne ne peut plus le porter valablement. Voici quelques considérants: 1- En réalité, le format de l'Union européenne à 27 est de moins en moins pertinent. Trop étroit ou trop large. La frontière des 27 n'a aucun sens politique, du Royaume Uni à la Norvège et à l'Ukraine. Il faut reconsidérer le projet européen sous deux aspects clés: géopolitique et géoéconomique. Et sans doute l'étendre à une masse bcp plus large qui seule est cohérente dans le monde du XXIe siècle, un monde de 7 milliard d'habitants qui terminera le siècle à 10 milliard. La masse critique y sera au moins le milliard d'habitants. Ce qui signifie pour nous la nécessité d'explorer le contenu d'une Europe plus cohérente, de l'Atlantique à l'Oural et du Cap Nord au Sahel. Comment la constituer sans perdre les acquis stratégiques qu'a recueillis ou promus l'UE? Notamment le bon voisinage stratégique, la paix intra-européenne et l'intégration sociopolitique partielle auxquels sont parvenus les 27? C'est là le véritable chantier. Comment sortir d'un occidentalisme périmé et d'un euro-atlantisme infantilisant? Ce doit être la base d'une réflexion à qq uns, à Berlin, à Paris et à Rome d'abord. Ensuite il y a une réflexion géoéconomique et sociétale à faire sur le devenir régional (à quelques-uns seulement et autour du bassin rhénan), sur l'acquis communautaire et son utilité dans un cadre plus intégré. Cette réflexion prospective est nécessaire et plus urgente que la préservation de l'architecture d'une UE au profil illisible et à la structure illusoire. 2- De fait la CSP (PESCO) et la planification de défense coordonnée (CARD) sont de bonnes idées mais ce sont celles d'hier, celles des années 1990, à la fin de la guerre froide. C'est trop tard, c'était le temps de l'UEO dont personne n'a voulu par manque de lucidité et de courage mais aussi parce que Anglais et Américains s'y sont fermement opposés. C'était avant que les Allemands s'alignent sur Washington. Pour moi, nostalgie inutile et pas de rattrapage possible ni même souhaitable. 25 ans après la guerre froide, nous sommes sortis de cette orbite spécifique, de sa logique, de ses institutions et le "grand virage" pris en 2016 se traduit en 2017, "an I du basculement stratégique" par une autre dialectique. Il faut recomposer des logiques d'intérêts communs. Pour la France, c'est avec ses voisins les plus engagés dans des aventures et des défis communs: Européens de l'Ouest, Maghrébins et Africains de l'Ouest. Ensuite avec les Grands du monde, là où nos intérêts peuvent converger, Etats-Unis, Russie, Chine, Inde et en développant nos atouts outremers pour échapper au marécage européen. 3- Les enjeux industriels de la Défense sont un facteur puissant d'actions communes; mais là pas de coopération mais de la vraie compétition, sans merci, chacun joue sa capacité techno et donc sa peau. La démarche capacitaire a rarement été un facteur de développement politique, sauf il y a longtemps, dans les années 70. Aujourd'hui c'est le juste retour qui compte plus que la cohérence militaire collective. L'AED n'était pas une bonne idée; elle relevait de la naïveté. Trop peu, trop tard. On peut encore trouver des pistes d'intégration industrielle européenne mais sur une base d'intérêts partagés et de mutualisation de compétences, comme dans toutes les alliances industrielles dont Fiat ou Renault sont le modèle d'aujourd'hui et l'ESA ou Airbus Group le modèle intégré d'hier. Mais la question capacitaire que portent les industriels de la défense et les budgétaires des "Defense planning" masque une autre question bcp plus radicale qui est celle de la transformation de la guerre. 4- La conflictualité du monde, au moins celle qui concerne directement les Européens a profondément muté et a entrainé dans des espaces nouveaux la nature même de la guerre. Comme les Européens n'ont dans leur histoire moderne que des expériences de "grandes guerres et de vraies paix", ils sont aveugles et continuent de se focaliser sur un paradigme de défense dépassé, le leur, qui n'est pas universel, tant s'en faut. La conflictualité fluide l'emporte désormais sur la conflictualité territoriale. On pourrait là développer longuement cette réalité profonde. Ils sont incapables de faire converger leurs réflexions vers d'autres espaces où s'arbitrent les questions stratégiques du XXI e siècle, les espaces infra ou supra étatiques de la "guerre économique", du "choc des civilisations", des "défis écologiques" et des 'migrations irrépressibles", "de la criminalisation des échanges économiques" ... Tétanisés par ces tensions nées souvent hors de leur continent et qu'ils comprennent mal, et recroquevillés sur leurs égos nationaux, ils répliquent chacun avec leurs expérience historique des postures de défense du monde d'hier, en essayant de se défiler devant la responsabilité d'aujourd'hui, avec des formules d'attente, à moindre coût. Certains ronronnent à Bruxelles, d'autres s'abonnent à Washington et quelques uns rêvent encore à New York. Voilà une perception un peu radicale que beaucoup partagent, qui explique qu'il faut explorer d'autres voies, écouter d'autres partenaires.J'espère, cher Maxime Lefèvre, que notre pays va reprendre la route du large vers d'autres horizons stratégiques pour établir un nouveau point d'équilibre entre notre petit cap occidental du continent eurasiatique, bien appuyé sur des voisins sûrs, et un monde en plein développement où les atouts français de toujours pourront être associés aux talents français d'aujourd'hui.Le temps de l'Europe intégrée que porte l'Union européenne est pour moi passé et on ne peut se cogner indéfiniment sur les mêmes murs sans perdre la tête comme aujourd'hui. Il faut récupérer nos actifs, sauver les acquis décisifs, ouvrir d'autres voies pour relancer stratégiquement la France et emprunter une voie européenne vers la paix et la sécurité du monde à venir.///Reply jean Dufourcq jeandufourcq@wanadoo.fr www.lettrevigie.com