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Note
Février 2022

Xi Jinping, un ordolibéral :
les marges de croissance
de la Chine en 2022

Auteur
François Godement
Expert Résident principal et Conseiller spécial - Asie et États-Unis

François Godement est Conseiller spécial et Resident Senior Fellow - Asie et États-Unis à l’Institut Montaigne. Il est également Nonresident Senior Fellow du Carnegie Endowment for International Peace, et consultant externe au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères français.

Depuis le déclenchement de la pandémie de coronavirus début 2020, et plus encore depuis début 2021, la Chine applique des politiques restrictives en matière de budget public, de crédit et de taux d’intérêt. Elle dispose peut-être, grâce à cela, de marges d’action gouvernementale et de soutien à l’économie supérieures à ce que l’on veut bien admettre. Cette étude analyse le raisonnement à l'œuvre derrière cette politique d’austérité prolongée et pose la question de la possibilité de son inflexion en 2022. 

La reprise économique de 2021 et la tendance de ralentissement de long terme

Les estimations pour 2022 s’accordent sur un taux de croissance bien en-deçà de la tendance économique passée. Goldman Sachs a revu ses prévisions pour 2022 à la baisse, entrevoyant un taux de croissance de 4,3 % et non plus de 4,8 %. Le Fonds monétaire international (FMI), qui tablait sur 5,5 % de croissance, envisage désormais un taux de 4,8 %. Or entre 1978 et 2018, la croissance annuelle du PIB chinois s’est élevée à 9,44 % en moyenne. L’indice des prix à la consommation chinois n’a augmenté que de 0,9 % en 2021, suggérant ainsi des problèmes de croissance profonds.

Tous les indicateurs ne vont cependant pas dans ce sens. Depuis le début de la pandémie, les économistes ont voulu voir dans le rebond de l’excédent commercial chinois un phénomène provisoire. Pourtant ce phénomène se poursuit aujourd’hui et même s’accélère. Les IDE et autres flux de capitaux à destination de la Chine se portent eux aussi à merveille, d’autant que les taux d’intérêt à court terme y demeurent attractifs. 

Les marges disponibles en 2022

Où nous situons-nous aujourd’hui dans le cycle actuel d’expansion et de contraction des dépenses publiques, de la politique monétaire et de crédit ? C’est là que réside peut-être la réponse quant à l’ampleur des marges de soutien à l’économie dont dispose la Chine à l’aube de 2022. 

Depuis le début de la pandémie, la Chine a été plus conservatrice que toutes les autres grandes économies du monde. Le budget général chinois avait, de plus, toujours été à la traîne de la croissance économique depuis 2014. Il a davantage décéléré encore en 2021, les dépenses chutant plus vite que les recettes. 

Depuis 2014, la part des dépenses sociales liées à la protection sociale, à la santé, à l’éducation et au chômage dans le budget chinois global n’a cessé de se réduire. Sous l’effet de la baisse des recettes des gouvernements locaux en 2020, inhérente à la pandémie, et plus encore sous l’effet de la diminution des ventes de terrains en 2021, les dépenses des gouvernements locaux ont dû être contenues en dépit de besoins croissants. 

C’est là aussi une conséquence d’un choix politique visant à prémunir le pays contre le risque de chocs géopolitiques. La combinaison d’un conservatisme économique pluriel - monétaire, fiscal et de crédit - avec un excédent d’exportations important dote la direction chinoise d’un sentiment d’invulnérabilité. Cela explique aussi que Pékin se concentre sur l’offre de production lorsque les autres grandes économies du monde assument la charge du soutien à la demande.

La structure et l’équilibre du budget public chinois 

Le budget chinois a quatre composantes :

  • le "budget général", lui-même composé du budget central et des budgets locaux, avec des transferts allant de l’un aux autres dans les deux sens ;
  • le budget des fonds gouvernementaux, majoritairement locaux (financés par des taxes diverses et surtout par les ventes de terrains) ; 
  • le budget alimenté par les versements de bénéfices de la part des entreprises d’État (les state-owned enterprises ou SOE) ;
  • le budget de la sécurité sociale, qui inclut les dépenses de protection sociale (santé, retraite, indemnités de chômage). 

Enfin, dans la course aux recettes du budget local, existent des dépenses extra-budgétaires couvertes par les véhicules de financement des collectivités locales (local government financing vehicle ou LGFV), où apparaît le shadow banking. 

Ce millefeuille des finances publiques et parapubliques, ici présenté de manière simplifiée, résulte dans de nombreuses opacités. Comme souvent, c’est souvent une défaillance locale majeure qui permet ponctuellement de donner un coup de projecteur. 

Politique budgétaire et relation entre les niveaux central et local 

L’habileté du gouvernement chinois à éviter des situations de faillite ouverte et à diluer le déficit qui en résulte pour les finances locales n’est pas seulement à mettre sur le compte de tours de passe-passe financiers : elle est aussi le fruit d’un contrôle accru à partir de l'État central et d’une ouverture parcimonieuse de transferts budgétaires vers les budgets locaux.

Une politique contracyclique baissière - et non procyclique pour accélérer la reprise - a été lancée dès que la pandémie a perdu du terrain à la mi-2020, avec pour conséquence un alignement - dans le meilleur des cas - des dépenses, et des prêts sur le taux de croissance du PIB attendu. Les chiffres consolidés pour 2021 indiquent même un repli plus fort des dépenses relevant du budget général : leur part dans le PIB a baissé de 2,67 % par rapport à 2020. 

Cette tendance a une conséquence inévitable : un contrecoup social. 

Après une brève période de soutien au printemps 2020 pendant la pandémie, le contrôle des transferts et du crédit est redevenu plus strict. Il est à l’origine d’un déficit accru des budgets locaux, sauf pour les provinces ou villes les plus riches, et d’un choc social qui inclut aussi une baisse des salaires des fonctionnaires locaux. 

Malgré la politique souvent citée de réduction de la pauvreté, la redistribution des revenus s’est amenuisée. Les dépenses d'indemnisation du chômage ne représentent que 0,21 % du PIB en 2020. Le dibao (allocation pour un revenu minimum de subsistance) remonte légèrement la même année, mais ne représente que 0,19 % du PIB. 

La résurgence du slogan de la "prospérité commune" à l’été 2021 a été perçue hors de Chine comme une offensive contre l’enrichissement excessif et ses manifestations. Mais cette campagne visait aussi à contrer la perception de tendances sociales défavorables. Il s’agit d’autant moins d’un mécanisme de redistribution que Xi Jinping lui-même a dénoncé les dangers du "welfarisme".

Ces politiques restrictives vont-elles durer ? 

Dans une nouvelle phase débutée au quatrième trimestre 2021, les responsables politiques chinois invoquent des mesures d’assouplissement préventif, mais limitées, avec pour objectifs d’anticiper un ralentissement économique, de susciter la confiance des acteurs économiques et ainsi d’encourager plutôt que de soutenir directement la croissance. Ce choix prudent est à l’évidence également pensé pour éviter de créer des effets boule de neige. Lors de la réponse chinoise à la crise financière mondiale de 2008, les mesures contracycliques volontaristes prises par la Chine avaient abouti à une augmentation massive de l’endettement. 

Depuis début 2020, il y a eu en Chine des débats quant à la nécessité de politiques économiques plus volontaires, y compris pour la politique monétaire. En réalité, la plupart des décisions prises depuis lors penchent pour la préservation de l’essentiel des politiques restrictives, ou pour un relâchement minimal de celles-ci. 

Globalement, la période 2019-2021 témoigne d’un nouveau tournant : le gouvernement a pris un certain nombre de mesures de manière préventive afin de refroidir différents secteurs de l’économie. Une grande partie de la crise immobilière et du krach des finances locales de 2021 n’est pas la conséquence directe de l’éclatement de la bulle du marché spéculatif, mais bien le résultat d’une action délibérée du gouvernement pour dégonfler l’économie spéculative. 

Les politiques monétaires et de crédit

La politique budgétaire n’est pas la seule corde à l’arc du gouvernement en matière de soutien à l’économie. À l’instar de la politique budgétaire, la politique monétaire a connu un cycle successif de fort durcissement et d’assouplissement limité. Le taux de croissance de la masse M2 est passé de 11,1 à 8,1 % entre avril 2020 et avril 2021. L’expansion de l’agrégat M1 s’est effondré de + 14 % en février 2021 à + 3 % en novembre de la même année. À partir de la mi-2021, l’abaissement des ratios de réserves obligatoires pour les banques constitue un assouplissement progressif. Il est destiné à donner le signal d’un soutien à l’économie tout en préservant un principe de prudence au nom de la stabilité. Tout laisse ici à penser que les tendances observées en matière de politique budgétaire ne relèvent pas du hasard. Il s’agit plutôt d’un élément d’une politique d’ensemble coordonnée - quoiqu’avec une tendance habituelle à l’exagération et à la sous-performance au niveau local. 

Xi veut prémunir la Chine contre toute crise extérieure 

La Chine dispose donc de marges plus grandes qu’on l’imagine généralement en matière d’action gouvernementale et de soutien à l’économie. Mais l’approche dominante chinoise consiste à ne recourir à ces marges que de manière très sélective et seulement lorsque ce recours devient nécessaire pour contrer une véritable contraction de l’économie. Il y a toujours eu en Chine un contraste entre la prudence du pouvoir central et ce qui apparaît comme les dépenses et les emprunts excessifs des gouvernements locaux. Mais cette fois-ci, la douleur est bien plus intense au niveau local, car jusqu’à la fin de 2021 le gouvernement central n’est pas venu au secours des budgets locaux. 

L’heure est désormais venue du soutien, mais selon les conditions du gouvernement central - et de Xi Jinping -, et dans une ampleur limitée. Il ne s’agit pas seulement de l’enjeu habituel du contrôle entre ces deux niveaux. C’est aussi fonction de la philosophie générale de Xi Jinping : juguler les risques soulevés par la dépendance de l’économie chinoise au reste du monde, et se tenir prêt en cas de crise géopolitique ou géoéconomique internationale. 

Si un accident devait se produire - et le scénario le plus plausible est en ce moment celui d’un déferlement du variant Omicron, que les autorités sont résolues à éviter à tout prix -, la posture conservatrice décrite dans cette note et les marges de manœuvre méthodiquement préservées trouveraient alors toute leur utilité.

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