Rechercher un rapport, une publication, un expert...
Etude
Décembre 2020

Santé mentale :
faire face à la crise

Auteure
Angèle Malâtre-Lansac
Ancienne directrice déléguée à la Santé

Angèle Malâtre-Lansac était directrice déléguée à la Santé de l’Institut Montaigne jusqu’en septembre 2022. Premier programme sectoriel de l’Institut Montaigne, le programme Santé qu’elle anime a pour objectif de réunir l’ensemble des parties prenantes du secteur de la santé : professionnels, patients, industriels, chercheurs, payeurs, hauts fonctionnaires, prestataires de soins… afin de décrypter, anticiper, comparer et proposer pour faire bouger les lignes de notre système de santé en s'inspirant des meilleurs exemples français et internationaux.

Angèle est lauréate du Harkness Fellowship 2018-2019. Chaque année, le Commonwealth Fund, une fondation américaine basée à New York, accorde des fellowships à de futurs leaders du monde de la santé en provenance de différents pays de l’OCDE pour leur permettre de passer un an aux Etats-Unis et de travailler avec des experts américains du secteur de la santé. Angèle  a ainsi travaillé pendant un an à la Harvard Medical School et à la Rand Corporation à Boston sur l'organisation des soins primaires et notamment leur intégration avec les soins de santé mentale.

Angèle est aujourd'hui la correspondante en France du International Health News Brief du Commonwealth Fund.

Directrice adjointe de l'Institut Montaigne de 2015 à janvier 2017, elle a notamment piloté une réflexion sur le modèle économique de l'Institut et la relation avec ses adhérents. Passionnée par les questions de santé, elle a animé le groupe de travail qui a publié Réanimer le système de santé. Propositions pour 2017. Angèle est co-auteur, aux côtés d'Olivier Duhamel, du livre Les Primaires pour les Nuls (Editions First, 2016). Directrice des études de l'Institut (2011-2015), Angèle a coordonné les divers groupes de travail relatifs à la santé, à la protection sociale et à l'emploi. Elle a également développé les dispositifs de participation citoyenne lancés par l'Institut Montaigne au cours des dernières années en coordonnant notamment la conférence de citoyens sur la santé conduite par l'Institut en 2012-2013.

Angèle est diplômée de Sciences Po Paris et a fait une partie de ses études en Grande-Bretagne (Université de Warwick) et au Mexique (ITAM). Elle a commencé sa carrière dans le secteur public (2006-2010).

La pandémie actuelle, parce qu’elle génère incertitude, peur, isolement et deuils, a et aura des conséquences fortes sur la santé mentale des Français. Entre fin septembre et début novembre 2020, la prévalence des troubles dépressifs a doublé, touchant tout particulièrement les jeunes et les plus précaires. La hausse des souffrances psychiques et les impacts psychiatriques de la pandémie vont sans aucun doute constituer l’un des grands défis des prochaines années.

En proposant une prise en charge innovante des troubles les plus fréquents (la dépression, les troubles anxieux, les troubles du stress post-traumatique), cette étude ouvre la voie à une approche centrée sur les patients, à moins de stigmatisation et à un meilleur accès aux soins. S’appuyer sur les médecins généralistes et les pédiatres pour la prise en charge des troubles fréquents, intégrer la prise en charge de la santé mentale en médecine de premiers recours, favoriser les collaborations entre professionnels et le partage d’information grâce au digital constituent autant de pistes pour améliorer de façon significative la prise en charge des patients.

Cette étude s’appuie sur les travaux scientifiques menés depuis plus de vingt ans sur ce sujet et sur de nombreux échanges avec des médecins de premiers recours, des patients, des psychiatres et des psychologues en France comme aux États-Unis.

Covid-19 : des impacts lourds sur la santé mentale

La hausse des souffrances psychiques et les impacts psychiatriques de la pandémie vont sans aucun doute constituer l’un des grands défis des prochaines années.

La dépression et les troubles anxieux, maladies fréquentes dont souffrent chaque année 17 % des Français, augmentent de façon inquiétante y compris chez ceux qui n’en souffraient pas. Ainsi, entre fin septembre et début novembre 2020, la prévalence des troubles dépressifs a doublé, touchant tout particulièrement les jeunes (29 % d’états dépressifs chez les 18-25 ans), les personnes sans emploi et celles en situation de précarité. Les enfants sont aussi très durement touchés. Depuis le début de la crise sanitaire, un Français sur cinq a sérieusement envisagé de se suicider.

La santé mentale : un sujet collectif trop souvent oublié

Les personnes qui souffrent de troubles psychiques sont confrontées à de nombreux obstacles : stigmatisation, faible accès aux soins, difficultés sociales et financières, surmortalité. Pourtant, la psychiatrie constitue le premier poste de dépense de l’Assurance maladie, loin devant le cancer ou les maladies cardiovasculaires.

En dépit de ce qui pourrait sembler être un investissement fort sur la santé mentale, les résultats sont loin d’être satisfaisants. Seules 40 à 60 % des personnes souffrant de troubles psychiques sont aujourd’hui prises en charge pour plusieurs raisons : il s’agit de maladies stigmatisées dont on ne parle pas, les délais d’attente peuvent être extrêmement longs pour avoir accès à des soins spécialisés et les psychologues en ville ne sont pas remboursés. De plus, la qualité des prises en charge est extrêmement variable et les retards au diagnostic sont très fréquents (deux ans et demi pour les troubles du spectre de l’autisme, huit à dix ans pour les troubles bipolaires), entraînant une véritable perte de chance pour les malades et leurs proches.

Si la médecine du corps ("somatique") et la médecine psychiatrique sont cloisonnées, le corps et l’esprit sont pourtant liés et les deux-tiers des personnes concernées par des troubles psychiatriques souffrent aussi d’une maladie physique chronique (diabète, maladie cardio-vasculaire, etc.) pour laquelle elles sont souvent mal prises en charge. La surmortalité des personnes touchées par les troubles mentaux constitue à la fois un scandale sanitaire et un échec collectif dont peu ont conscience : ainsi, les personnes atteintes de maladies psychiatriques sévères meurent en moyenne entre 13 et 16 ans plus tôt que le reste de la population.

 

 Santé mentale : faire face à la crise. Infographie : Un lien très fort entre santé mentale et santé physique

La médecine générale au cœur de la prise en charge de la santé mentale

Comme dans la plupart des maladies, c’est l’entrée dans le parcours de soins, la première marche, qui sera déterminante pour prévenir l’aggravation des troubles, assurer un repérage précoce et des soins de qualité. Aujourd’hui, 80 % de la population française déclare voir son médecin traitant tous les ans et lorsqu’une souffrance psychique débute, c’est le plus souvent vers son médecin généraliste ou son pédiatre que l’on se tourne. Les généralistes traitent ainsi 60 % des premières consultations pour trouble psychiatrique et entre 20 et 30 % de leur patientèle présente une souffrance psychique.

 

 Santé mentale : faire face à la crise. Infographie : La médecine générale au cœur de la prise en charge des troubles mentaux

 

Pour ces médecins qui voient en moyenne plus de vingt patients par jour, la prise en charge des maladies psychiques est une réalité quotidienne et une priorité parmi d’autres. Ils se retrouvent le plus souvent démunis face à la souffrance psychique de leurs patients, avec peu de temps à leur consacrer, une formation parfois insuffisante et des liens quasi-inexistants avec la psychiatrie.

Intégrer la prise en charge de la santé mentale dans les soins de premiers recours doit donc être une priorité pour éviter les retards aux diagnostics et les pertes de chance.

Intégrer la santé mentale dans la médecine générale : apprendre des autres pays

L’intégration de la santé mentale dans la médecine de premiers recours est portée par de nombreux acteurs comme l’organisation mondiale de la santé ou l’OCDE. Ce sujet est pourtant mal connu et peu traité en France, alors même que la littérature internationale montre que cette approche intégrée représente l’une des pistes les plus prometteuses. Elle permet des soins de meilleure qualité pour les patients présentant des troubles psychiques légers à modérés, augmente l’accès aux soins et permet de lutter contre la stigmatisation en faisant des maladies psychiatriques des maladies comme les autres.

Les exemples étrangers nous montrent la voie et nous pouvons apprendre des réussites comme des difficultés des autres pays :

La Nouvelle-Zélande : un investissement fort sur la médecine de premiers recours et la coordination des acteurs.

La Nouvelle-Zélande a structuré sa médecine de premiers recours depuis une vingtaine d'années en faisant de la prise en charge de la santé mentale une priorité. Des ressources ont été déployées afin de permettre aux médecins généralistes de mieux se former et de recruter des infirmiers dédiés. De nouveaux métiers se sont créés pour assurer la coordination des parcours et faciliter la prise en charge de la santé mentale. L’accès aux psychothérapies a été facilité pour les patients ainsi que la mise en lien avec les services sociaux.

Les Pays-Bas : une approche collaborative et graduée.

Les Pays-Bas ont adopté un modèle de soins gradués pour la santé mentale, dans lequel les problèmes légers à modérés sont traités dans le cadre des soins primaires. Le métier de professionnel de santé mentale en médecine générale a été créé en 2007 pour faciliter le travail des généralistes. Des lignes directrices et des contenus pédagogiques ont été diffusés pour faciliter le diagnostic, le traitement et l'orientation des patients souffrant de problèmes de santé mentale.

Le Royaume-Uni : indicateurs de qualité et accès aux soins.

La santé mentale a été intégrée très tôt dans les services de médecine générale du NHS. Le NICE a introduit une rémunération à la qualité pour la médecine de premiers recours dans laquelle plusieurs indicateurs de santé mentale sont intégrés. En 2010, un programme a été lancé pour accroître l'accès de la population aux psychothérapies (IAPT) pour les troubles mentaux les plus communs, ce qui a permis de suivre de manière cohérente les progrès et les résultats des patients à l'aide d'échelles validées.

L’Australie : une attention particulière portée à la santé mentale des jeunes.

L’Australie a depuis longtemps investi des ressources sur la santé mentale des jeunes et des enfants. 14 % d’entre eux souffriraient chaque année de troubles mentaux. L’initiative Better Access de 2006 a eu pour objectif de former les médecins généralistes et les pédiatres à la prise en charge de la santé mentale et de les inciter à travailler en collaboration avec des psychologues, des psychiatres, des travailleurs sociaux et des ergothérapeutes. Pour les jeunes de 12 à 25 ans, le programme Headspace propose depuis 2010 des services de santé physique et mentale de grande qualité regroupés dans plus de 100 centres à travers l'Australie.

Les soins collaboratifs : un modèle d’intégration innovant à l’efficacité largement démontrée

Développés dans les années 1990 par l’Université de Washington à Seattle, les soins collaboratifs (collaborative care) constituent une façon innovante de prendre en charge les patients souffrant de troubles psychiatriques fréquents en médecine générale.
 
Dans les soins collaboratifs, les soins s’effectuent au sein même du cabinet de médecine générale grâce à une équipe de soins intégrée et coordonnée. Un care manager (le plus souvent un infirmier) travaille aux côtés du généraliste et un psychiatre à distance fournit son expertise. Les outils digitaux occupent une place importante pour le partage d’information et le suivi des patients. Tous les patients sont dépistés pour permettre un accès aux soins le plus large possible.

À ce jour, plus de 80 études dites randomisées ont démontré l’efficacité des soins collaboratifs. Ils aident à la destigmatisation, conduisent à de meilleurs résultats cliniques, à une plus grande satisfaction des patients et des professionnels et à une réduction des coûts de santé. Ce modèle existe dans de nombreux pays mais n’a malheureusement jamais été adapté au contexte français.

Propositions

Le contexte est aujourd’hui favorable en France à une transformation de la prise en charge de la santé mentale. Des avancées dans l’organisation des soins de premiers recours, la formation de nouveaux professionnels, la numérisation du système de santé comme les réformes à venir de la psychiatrie suscitent de l’espoir et fournissent un cadre propice pour une meilleure prise en charge globale et intégrée des patients.

1
Donner à la médecine de premiers recours les moyens d’intégrer la prise en charge de la santé mentale dans une approche de proximité, collaborative et non stigmatisante.
Détails
  • Doter les médecins généralistes d’outils cliniques faciles et rapides à utiliser pour détecter les troubles psychiques et les inciter à les utiliser.
  • Favoriser le recrutement de professionnels de santé facilitant la prise en charge de la santé mentale auprès des médecins généralistes.
  • Favoriser les échanges d’expériences entre médecins généralistes et la formation continue autour de la prise en charge de la santé mentale en premiers recours.
  • Créer des liens entre les secteurs de psychiatrie et la médecine générale.
  • Expérimenter en France le modèle des soins collaboratifs.
2
Favoriser l’accès aux psychothérapies adaptées à travers leur remboursement, une meilleure formation des professionnels, ainsi que le développement des outils numériques et de la télémédecine.
Détails
  • Permettre le remboursement des psychothérapies de ville adaptées dans le cadre de parcours de soins définis avec les parties prenantes.
  • Favoriser l’usage de la télémédecine.
  • Diffuser et faciliter l’accès au soutien psychologique à travers des outils de e-santé qui permettent de faire à distance certains exercices, de rendre le patient acteur de son traitement, de renforcer les apprentissages, et d’assurer un suivi au-delà des séances prescrites.
3
Faciliter la création de nouveaux métiers dans le champ de la santé mentale : infirmiers en pratique avancée, care manager, médiateurs de santé pairs, etc...
Détails
4
Faciliter les échanges d’information et la coordination entre les professionnels de santé grâce au numérique.
Détails
  • Accompagner et inciter les fournisseurs de services numériques en santé à respecter les référentiels de sécurité et d’interopérabilité.
  • Renforcer la sécurité des systèmes numériques en santé.
  • Impliquer davantage les usagers et les professionnels de terrain dans la question de l’usage des données de santé pour favoriser un climat de confiance.
  • Former davantage les professionnels au recueil et à l’usage des données de santé et aux bonnes pratiques de l’utilisation du numérique dans leur pratique professionnelle.
  • Investir dans la numérisation et les systèmes d’information de la psychiatrie, du médico-social et de la médecine de ville.
Recevez chaque semaine l’actualité de l’Institut Montaigne
Je m'abonne