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Note
Janvier 2018

Réforme de la formation
professionnelle :  
allons jusqu'au bout !

Auteur
Bertrand Martinot
Expert Associé - Apprentissage, Emploi, Formation Professionnelle

Économiste, Bertrand Martinot est spécialiste français de la question du chômage, des politiques de l’emploi et du dialogue social.

57 % des Français se considèrent mal informés sur la formation professionnelle et plus d’un Français sur deux (55 %) estime que la formation qu’il a suivie ne répond que partiellement ou pas du tout à ses attentes. Dans un contexte de chômage de masse, de très grandes difficultés de recrutement et de bouleversements profonds liés à la transformation numérique, la formation professionnelle est l’une des clés pour résoudre les problèmes économiques et sociaux actuels : chômage, acquisition des nouvelles compétences, compétitivité des entreprises, difficultés de recrutement, etc.

Pourtant, notre système de formation professionnelle dysfonctionne pour différentes raisons :

  • l’accès à la formation professionnelle est complexe et inégalitaire ;
  • le système est très intermédié et déresponsabilisant ;
  • le financement est de plus en plus confus ;
  • la logique d’autonomie des actifs dans les choix de parcours de formation est inaboutie ;
  • l’évaluation et la certification des formations sont trop peu développées ;
  • le potentiel des nouvelles technologies est sous-exploité.

Les Français et la formation professionnelle

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Depuis 2009, plusieurs réformes du système de la formation professionnelle ont sensiblement amélioré son fonctionnement. Ces progrès restent néanmoins insuffisants. C’est dans ce contexte qu’intervient le projet de réforme porté actuellement par le gouvernement.

Pour que les changements opérés sur notre système de formation professionnelle aillent jusqu’au bout, l’Institut Montaigne formule 12 propositions concrètes !

Les six maux de la formation professionnelle

Les six maux de la formation professionnelle

1. Un accès à la formation professionnelle complexe et inégalitaire

59 % des actifs français déclarent avoir déjà suivi une ou plusieurs formations durant leur carrière. Toutefois, ce chiffre cache une réalité hétérogène. En effet, les cadres et professions intermédiaires ont un taux d’accès respectif à la formation de 71 % et 64 % quand celui des employés et des ouvriers est de 45 % et 39 %.Les plus qualifiés sont donc aussi les plus formés.

L’inégalité ne s’arrête pas là.La taille de l’entreprise est un facteur discriminant : quand le taux d’accès à la formation est de 15,6 % pour les petites PME (de 10 à 19 salariés), il atteint 49,8 % pour les ETI (250 à 1 999 salariés) et 55,9 % pour les grandes entreprises (plus de 2 000 salariés).

Par ailleurs, 57 % des Français estiment être mal informés au sujet de la formation professionnelle. Les multiples dispositifs existants (bilan de compétences, compte personnel de formation, compte personnel d’activité) sont peu connus et peu utilisés. Ce manque d’information nuit à la responsabilisation des salariés dans leur parcours professionnel.

2. Un système très intermédié et déresponsabilisant

Depuis la loi fondatrice de 1971, la France a fait le choix d’attribuer une place centrale aux branches professionnelles et à leurs opérateurs, les OPCA (Organismes paritaires collecteurs agréés), dans le pilotage et le financement de la formation professionnelle. Concrètement, lorsqu’une entreprise souhaite faire financer une action de formation par son OPCA, elle doit obtenir l’accord de celui-ci. Le taux de prise en charge est, quant à lui, déterminé par l’accord de la branche à laquelle appartient l’entreprise.

En outre, pour une grande partie des actifs, la formation est vécue comme une “prescription” faite par l’entreprise et non comme une véritable réponse à leurs besoins d’évolution professionnelle. 61 % des Français interrogés déclarent ne pas avoir suivi de formation professionnelle car leur employeur ne leur a pas proposée. Une majorité des Français n’utilise donc pas ses droits à la formation.

3. Un système de financement de plus en plus confus

En 1971, le financement de la formation professionnelle était relativement simple : d’un côté, l’Etat finançait un certain nombre de dispositifs de promotion sociale généralistes. De l’autre, les entreprises, soit directement soit à travers les OPCA finançaient la formation de leurs salariés. Quant à la formation des chômeurs, elle n’était pas, alors, une véritable préoccupation.

Avec l’apparition du chômage de masse, de nouveaux acteurs (les régions, Pôle emploi, l’Etat, etc.) se sont vus attribués la tâche de financer la formation des chômeurs. D’autres opérateurs comme les OPCA ont été largement mis à contribution pour le financement de la formation des chômeurs et de leur rémunération. Ce qui a contribué à complexifier le système. Cette multitude d’acteurs, en charge de la gestion et du financement des formations, est peu compatible avec la volonté d’autonomiser les actifs et la nécessité d’accompagner les potentielles reconversions professionnelles de plus en plus fréquentes.

4. Une logique d’individualisation des formations inaboutie

Les réformes menées ces dernières années ont permis de créer des comptes formations individuels. Ces derniers répondent à une volonté d’autonomiser le salarié et de le responsabiliser davantage par rapport à son choix d’évolution professionnelle.

Malheureusement ces systèmes ne sont pas allés au bout de la logique. Tout d’abord, le financement d’une formation par le salarié est très complexe et nécessite l’accord de l’employeur quant au contenu et au calendrier. Ensuite, le compte personnel d’activité est aujourd’hui sous-financé avec un budget de 1,3 milliard d’euros pour environ 30 millions d’actifs. Enfin, la valorisation de ces droits se fait en heures ce qui renforce les inégalités entre salariés (une heure de formation d’un cadre est généralement plus coûteuse qu’une heure de formation d’un ouvrier ou d’un employé) et conserve au système une dimension très administrée (puisque ce sont les partenaires sociaux qui valorisent, au cas par cas, l’heure de formation).

Pour être efficace et suivre une logique d’individualisation, la formation professionnelle doit être accompagnée de conseils personnalisés, d’informations en matière d’orientation et, si nécessaire, d'une aide à la construction d’un projet professionnel. Le CEP (Conseil en Evolution Professionnelle), créé en 2014 procède de cette logique, mais faute de financement spécifique, mal connu et réservé uniquement à cinq réseaux ou opérateurs nationaux définis par le code du travail (Pôle emploi, Cap Emploi, APEC, les missions locales et les Fongécif), il est un échec total dans son format actuel.

5. Une évaluation des formations insuffisante

Il est très difficile de suivre le devenir des individus formés et d’assurer la traçabilité financière des fonds du fait de la complexité du système et de ses financements ainsi que de la multiplicité et la déconnexion des systèmes d’information entre eux.

Il n’existe pas aujourd’hui de système d’évaluation et de certification des formations indépendant, comme il en existe en Allemagne par exemple. Les salariés n’ont dès lors aucun moyen de s’assurer de la qualité des formations offertes sur le marché.

6. Une sous-utilisation des nouvelles technologies

En 2016, seuls 34 % des salariés français ont bénéficié d’une formation en ligne ou à distance, contre 62 % au Royaume-Uni. Le taux d’usage du numérique dans le domaine de la formation professionnelle en France est l’un des plus bas si on le compare à l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie ou le Portugal.

Les outils numériques présentent pourtant des avantages importants : accès facilité à la formation professionnelle, possibilité de développer des offres sur mesure adaptées aux besoins individuels, intérêt économique pour les organismes de formation, etc.


Pour remédier à ces failles et mettre en place rapidement une formation professionnelle efficace pour tous, nous formulons 12 propositions concrètes.

12 propositions clés pour une véritable réforme de la formation professionnelle

1
Construire un véritable droit à la reconversion professionnelle
Détails

Proposition 1 : Transformer le CPF "Compte personnel de formation" en un "Capital emploi formation" (CEF), capital personnel, valorisé en euros, permettant à chaque actif de financer à la fois des actions de formation et de conseil en évolution professionnelle. (cf. le rapport Un Capital emploi formation pour tous, Bertrand Martinot et Estelle Sauvat, Institut Montaigne, janvier 2017 pour plus de précision).

Proposition 2 : Intégrer et financer des actions de conseil en évolution professionnelle, d’accompagnement et de placement dans l’emploi, et pas uniquement de prestations de formation stricto sensu à travers le plan d’investissement dans les compétences.

Proposition 3 : Créer un système de soutien à la rémunération de certains salariés en période de formation mobilisant leur CEF. Ce rôle reviendrait à l’Unédic, qui deviendrait une véritable caisse de rémunération des actifs en situation de transition professionnelle.

2
Repositionner les OPCA
Détails

Proposition 4 : Clarifier le rôle des OPCA autour de deux missions essentielles : pilotage et financement des dispositifs de formation professionnelle des branches (les contributions des entreprises au titre du plan de formation, quant à elles, deviendraient facultative) ; appui et conseil aux TPE/PME librement adhérentes à l’OPCA.

Proposition 5 : Instaurer un système de financement redistributif en faveur des TPE et PME.

Les OPCA se verraient affecter une partie de la cotisation professionnelle des entreprises de plus de 2 000 salariés destinée à la prise en charge par l’OCPA des actions de formation réalisées par les TPE et PME dans le cadre de leur plan de formation.

Proposition 6 : Publier les conventions d’objectifs et de moyens qui lient les OPCA et l’Etat.

La transparence des OPCA, de leur fonctionnement, et de leurs frais de gestion est une nécessité absolue. Les salariés, les entreprises et les indépendants doivent pouvoir prendre connaissance de manière précise des indicateurs d’activité et de performance des OPCA auxquels ils versent des contributions. Au-delà, des études et des évaluations indépendantes devraient pouvoir être conduites sur ces bases.

3
Renforcer les exigences de transparence et de qualité du marché
Détails

Proposition 7 : Créer un système cohérent et efficace d’accréditation des certifications par la création d’un organisme d’accréditation indépendant.

Proposition 8 : Généraliser un “TripAdvisor” de la formation sur le modèle de ce qui a été lancé en 2017 dans la région Ile-de-France.

Proposition 9 : Intégrer des critères de qualité, de transparence et d’innovation dans la commande publique de formation.

Proposition 10 : Introduire ces critères de qualité des achats publics de formation dans les critères d’attribution des fonds du PIC (Programme d'Investissement dans les Compétences).

4
Piloter et évaluer le système
Détails

Proposition 11 : Faire de l'Open data une solution à l’évaluation de la performance du système.

Proposition 12 : Créer une agence nationale de la formation professionnelle initiale et continue, sur le modèle du BiBB allemand.

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