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Rapport
Mars 2021

Rééquilibrer
le développement
de nos territoires

<p>Rééquilibrer<br /><strong>le développement<br />
de nos territoires</strong></p>
Auteur
Paul Hermelin
Président du conseil d’administration, Capgemini

Paul Hermelin est membre du comité directeur de l’Institut Montaigne depuis 2021. Il a notamment présidé le groupe de travail qui a produit le rapport sur le développement économique des territoires (2021).

Il a passé les quinze premières années de sa vie professionnelle dans l’administration française, principalement au ministère des Finances. Il a occupé plusieurs fonctions à la Direction du Budget et au sein de plusieurs cabinets ministériels dont celui de Jacques Delors lorsqu’il était ministre des Finances et celui d’Hubert Curien, alors ministre délégué chargé de la Recherche et de la Technologie. De 1991 à 1993, il a dirigé le cabinet de Dominique Strauss-Kahn, alors ministre de l’Industrie et du Commerce Extérieur. En 1993, il rejoint le groupe Capgemini, dont il devient directeur général en 2002, puis président-directeur général en 2012 et président du conseil d’administration en 2020.

Paul Hermelin est diplômé de l’École Polytechnique et ancien élève de l’ENA.

La photographie de la France aujourd’hui est celle d’un pays profondément déséquilibré : les quinze plus grandes métropoles concentrent 81 % de la croissance économique alors qu’elles ne représentent que 30 % de la population française. Les "territoires épars", c’est-à-dire les territoires situés en dehors des grandes métropoles, représentent - quant à eux 70 % de la population de notre pays et connaissent une croissance économique, ainsi qu’un niveau de vie en stagnation voire en déclin.

Reflet du dynamisme économique national, la mue de nos métropoles en pôles d’attractivité économique, démographique et culturelle, de rangs européen et mondial, est un atout indéniable pour notre pays. Pour autant, cette métropolisation a favorisé l’émergence d’un sentiment d’abandon dans les territoires épars qu’il convient d’interroger.

Les territoires épars

Dans cette étude, le terme "territoires épars" désigne les territoires situés en-dehors des grandes métropoles, notamment les villes moyennes et la France rurale. Cette France des territoires épars représente 98 % de la superficie du territoire national.

De manière générale, ces territoires pâtissent de moins bonnes infrastructures de réseaux et d’un faible nombre de centres décisionnaires d’entreprises importantes qui les rendent plus vulnérables aux crises.

Ces territoires renvoient néanmoins à des situations très diverses avec des désavantages structurels qui leurs sont propres.

À titre d’exemple, des villes moyennes, comme Beauvais ou Compiègne, sont satellisées par des métropoles, alors que d’autres, comme Aubenas ou Aurillac, bénéficient d’un environnement urbain faible et ont ainsi un rayonnement fort sur le territoire alentour.

Ces territoires pâtissent d’un faible maillage entrepreneurial et de moins bonnes infrastructures de réseaux, qui les rendent particulièrement vulnérables aux chocs économiques. En conséquence, la crise économique et sociale née de l’épidémie de Covid-19 risque de creuser fortement cet écart territorial.

Le plan de soutien à l’économie "France Relance" offre une rare occasion de mettre un terme à cette trajectoire préoccupante, de soutenir les filières productives qui constitueront demain des relais de croissance pour l’économie nationale, de bâtir des infrastructures qui faciliteront le rééquilibrage des territoires, et d’apporter des réponses face au sentiment de déclassement qui mine et appauvrit les ambitions individuelles et collectives.

Fruit d’une réflexion d’une année, ce rapport, présidé par Paul Hermelin, président du Conseil d'administration de Capgemini, invite à repenser l’action publique et à favoriser une politique de différenciation pour renforcer durablement la cohésion à l’échelle nationale. Seule une politique volontariste permettra de réussir ce rééquilibrage. Cette dernière doit notamment permettre un renforcement durable et structurel de l’attractivité économique des territoires épars, et offrir un avantage comparatif aux Entreprises de Taille Intermédiaire (ETI) et aux Petites et Moyennes Entreprises (PME) qui y sont implantées.

En s’appuyant sur les exemples de l’Allemagne et de l’Italie du Nord, ce rapport identifie plusieurs priorités d’action afin de renforcer l’égalité entre les territoires, et entre les Français.

Investir dans les infrastructures numériques : un levier pour l’interconnexion et l’émancipation économique des territoires

Les travaux d’élargissement de la couverture numérique du territoire (haut débit/5G) constituent une opportunité unique pour réorganiser l’activité économique en faveur des milieux épars. Dans cette perspective, la France doit consacrer davantage de moyens pour accélérer le développement de la couverture 5G dans les territoires épars, à l’instar de l’Allemagne qui consacre 5 milliards d’euros de son plan de relance à l’équipement des zones peu denses. La digitalisation est un levier pour renforcer la qualité et la densité des services publics sur le territoire, et permet également la délocalisation de certaines activités depuis les grandes métropoles, à l’heure où la pandémie de Covid-19 a accéléré le recours massif au télétravail.
 
L'extension du télétravail offre, d’une part, la possibilité d’une meilleure répartition de la population - et donc de la consommation - sur le territoire, et d’autre part, un meilleur accès aux ressources humaines pour les entreprises implantées dans les milieux épars. C’est pourquoi nous proposons qu’un travail de recensement et de rénovation des bâtiments, en particulier ceux appartenant aux collectivités publiques et pouvant accueillir de nouveaux espaces de coworking, soit engagé pour accompagner le développement du télétravail dans les territoires.

Rénover l’habitat et les mobilités pour renforcer l’attractivité des territoires tout en respectant les contraintes environnementales

Un plan de rééquilibrage territorial ne doit pas s’accompagner d’une aggravation de notre empreinte environnementale. Au contraire, cela doit être l’occasion d’accélérer le verdissement de notre économie au niveau national. Pour ce faire, deux leviers sont à privilégier :

  • l’habitat ;
  • la mobilité.

D’abord, l’accélération de la rénovation énergétique du parc de bâtiments existant, dont le rapport de l’Institut Montaigne Rénovation énergétique : chantier accessible à tous (2019) a fait l’objet, est essentielle. Aujourd’hui, la multiplicité des acteurs réduit la lisibilité des dispositifs d’incitation à la rénovation énergétique. C’est pourquoi nous proposons la création d’un guichet territorial unique, qui serait porté par l’ADEME, pour faciliter le recours des citoyens à ces solutions et ainsi intensifier la campagne de rénovation énergétique.

En termes de mobilité, une politique de différenciation est nécessaire pour prendre en compte la réalité des villes moyennes et des zones éparses. Ces territoires ne disposent pas de budget d’investissement permettant d’appuyer aussi efficacement que les métropoles le déploiement d’infrastructures électriques, et notamment de bornes de recharge. Face à cette inégalité, un soutien financier de l’État est nécessaire afin que le passage à une mobilité bas carbone se fasse équitablement sur l’ensemble du pays. Par ailleurs, le développement d’une filière hydrogène structurée autour d’une mobilité favorisant les territoires épars, et notamment les liaisons inter-villes (autocars-TER), est crucial.

Enfin, à l’instar des modèles allemand et italien, il est nécessaire de bâtir un réseau ferroviaire du quotidien pour limiter les trajets en voiture. Le développement de lignes de train du quotidien, dont la vitesse n’excèderait pas 250 km/h, permettrait une meilleure répartition de l’activité économique tout en favorisant la décarbonisation du transport. Une telle orientation serait, par ailleurs, relativement peu coûteuse puisqu’elle s’appuierait largement sur le développement d’infrastructures déjà existantes.

Soutenir le développement d’une offre de formation universitaire et professionnelle d’excellence dans les territoires

Les investissements dans le capital humain définiront pour partie la capacité de nos territoires à rebondir après la crise et à soutenir les secteurs d’activité qui constitueront les relais de croissance. Or, les établissements d’enseignement supérieurs sont aujourd’hui concentrés dans les grandes métropoles françaises. Ce sont plus des deux tiers des étudiants qui sont concentrés dans 22 grandes villes et métropoles, alors que celles-ci ne regroupent que 29 % de la population française. Cette répartition emporte de fortes conséquences sociales et économiques pour les territoires épars.

Le développement, avec parcimonie, d’une offre généraliste d’accès à l’enseignement supérieur dans les territoires doit permettre un accès plus équitable à l’échelle nationale. Ensuite, le renforcement d’une offre locale d’enseignement spécialisé, source de débouchés pour les jeunes diplômés et d’attractivité du territoire, aurait un effet d'entraînement sur l’écosystème local.

Différencier l’action publique, au profit des territoires épars, pour renforcer le tissu local des PME et des ETI

Le rapport appelle à une réflexion sur la fiscalité des entreprises des territoires épars, notamment pour les PME et ETI, afin de leur offrir un avantage comparatif. En particulier, ces entreprises sont pénalisées par la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), comme souligné dans notre rapport ETI : taille intermédiaire, gros potentiel (2018).

Supprimer totalement la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), en priorité dans les territoires épars

En intégrant les investissements productifs, la CVAE défavorise les ETI de manière disproportionnée et limite leur attractivité. Plus une entreprise investit dans un capital productif, plus la CVAE dont elle est redevable augmente. C’est pourquoi nous proposons de supprimer la CVAE dans les villes moyennes et en milieux épars afin de leur donner un avantage comparatif, et ainsi y favoriser l’investissement. Cette suppression doit toutefois s’inscrire dans le respect du principe d’égalité constitutionnelle, qui permet déjà de traiter de façon différenciée des situations fiscales.

Créer un crédit d’impôt de modernisation technologique

La relocalisation d’activités industrielles dans les territoires ne pouvant advenir à court terme, il est nécessaire d'identifier des gains de productivité alternatifs. Alors que la technologie permet de compenser l’éloignement géographique des PME et des ETI situées dans les territoires épars, nous proposons qu’un crédit d’impôt de modernisation technologique (CIMT) leur soit octroyé. Ce crédit couvrirait tout investissement visant à équiper les PME et ETI de la technologie nécessaire pour développer leur production et la distribution de leurs produits. Pour qu’un tel crédit d’impôt soit constitutionnel, il faut cependant veiller à ce que tous les territoires qui enregistrent un retard de numérisation de leurs PME et ETI puissent bénéficier effectivement de ce dispositif.

Favoriser la transmission familiale des entreprises qui créent des emplois dans les territoires

Enfin, l’allégement de la fiscalité du patrimoine permettrait de favoriser à la fois la conservation de l’emploi en France et la transmission du capital productif dans les territoires. Ce dernier ne devrait toutefois concerner que les entreprises dont les emplois sont situés dans les territoires épars, et avec l'impérative nécessité que ces emplois y soient maintenus durant plusieurs années. Pour maintenir l’activité économique dans les territoires, nous préconisons de relever significativement l’abattement sur l’assiette des successions sur le patrimoine de nature professionnelle, jusqu’à 1 million d’euros. Ce dispositif pourrait être inclus dans le Pacte Dutreil, dispositif qui permet de favoriser la transmission d’une entreprise familiale sous certaines conditions, réformé et simplifié.

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(128 pages)
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