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Primaire de la gauche
Le grand décryptage

Le chiffrage ne permet pas à lui seul de comparer les propositions des candidats. Elles doivent également s'apprécier au regard de leur mise en oeuvre, de leur historique et d'une comparaison internationale.

CandidatPropositionChiffrage *Détail

Benoît
Hamon
Créer un groupe de pays pour l’approfondissement de l’intégration européenne / Réviser les accords de Dublin
Pas d'impact budgétaire / + 1,8 Md€ à l'échelle européenne Chiffrage
et faisabilité

Arnaud
Montebourg
Redéfinir le projet européen autour des pays de la zone Euro / Supprimer la directive "travailleurs détachés"
Pas d'impact budgétaire / Trop d'inconnues pour un chiffrage robuste Chiffrage
et faisabilité

Vincent
Peillon
Créer un fonds européen de sécurité et de défense Trop d'inconnues pour un chiffrage robuste Chiffrage
et faisabilité

Manuel
Valls
Doter la politique de concurrence d’une dimension externe Pas d'impact budgétaire Chiffrage
et faisabilité


*+XX Md€ correspond à une dépense supplémentaire ou une diminution des recettes
-XX Md€ correspond à des économies ou des recettes supplémentaires

Quels enjeux pour ces propositions ?

La réforme du fonctionnement des institutions européennes, dans le contexte du départ annoncé du Royaume-Uni et de la montée des partis eurosceptiques dans plusieurs États membres, vise à renforcer leur légitimité et à susciter à nouveau l’adhésion des populations. Il s’agit aussi, après une période d’élargissement de l’Union, de redonner un souffle nouveau à un mouvement d’approfondissement autour d’un nombre limité d’États membres ayant l’euro pour monnaie.

Benoît Hamon et Arnaud Montebourg proposent de créer un groupe de pays afin d’approfondir l’intégration européenne autour du noyau dur des 18 États membres de la zone euro. Cette proposition orienterait l’Union vers une "Europe à plusieurs vitesses", qui existe de fait sur certains sujets – à commencer par la monnaie unique mais aussi l’espace Schengen –, mais qui ne s’est jamais développée au-delà d’initiatives ponctuelles sur les autres sujets.

Benoît Hamon propose la fin des accords de Dublin, qui permettent à un pays membre de l’Union européenne de renvoyer un demandeur d’asile non pas vers son pays d’origine, où il est serait en danger, mais vers le premier pays de l’Union dans lequel il a déposé une demande d’asile.

Arnaud Montebourg propose, quant à lui, la suspension de la directive sur les travailleurs détachés, qui assure notamment la libre-circulation des travailleurs au sein de l’Union européenne. Par les comportements d’optimisation qu’elle permet, elle cristallise les craintes de dumping social entre États membres et a été au cœur des débats lors de nombreuses échéances électorales.

Vincent Peillon propose de créer un fonds européen de sécurité et de défense. Il reprend ainsi la proposition formulée par Thierry Breton en février 2016, reprise par le président de la République, dans son allocution du 14 juillet 2016, et qui a fait l’objet d’une communication de la part de la Commission européenne autour d’un plan européen pour la défense, le 30 novembre 2016.

Manuel Valls, enfin, propose de doter la politique de la concurrence d’une dimension externe, qui permettrait l’émergence de champions européens. Manuel Valls envisage une transformation des dispositifs d’aides d’État dans le cadre d’une refonte de la politique de concurrence européenne ; elle permettrait qu’ "à chaque fois qu’une entreprise européenne subira la concurrence déloyale d’un groupe étranger plus fort parce que soutenu par exemple par des aides d’État, l’entreprise européenne devra pouvoir être aidée publiquement à due concurrence". 

Déjà appliquées ? proposées ?

La volonté de réformer l’Union européenne et de relancer le projet européen est régulièrement avancée par les candidats à l’élection présidentielle depuis le début des années 1990. Les propositions des candidats vont, selon le positionnement de chacun, d’un approfondissement de la construction européenne vers une Europe fédérale, jusqu’au retrait de la France de l’Union européenne et de la monnaie unique afin de recouvrer une souveraineté en tous domaines : économique, sécurité, contrôle des frontières, etc. En 1995, le candidat Jacques Chirac évoque déjà un manque de légitimité du processus décisionnel européen et un processus de construction européenne « désenchanté ».
 
Réviser les accords de Dublin

Le règlement de Dublin, dont la première version date de 2009, fait l’objet de critiques récurrentes dans les États membres de l’Union par certains membres de la classe politique et par la société civile. Plusieurs candidats se sont exprimés en faveur d’une révision de ce texte, notamment Emmanuel Macron qui s’est dit prêt récemment à "rouvrir le sujet".

Suspendre la directive "travailleurs détachés"

Le détachement de travailleurs fait régulièrement l’objet de débats, tant en France qu’au niveau communautaire. Texte symbolique de la libre circulation des travailleurs au sein de l’Union européenne, la directive dite « travailleurs détachés » est entrée en vigueur en 1996. Cette directive a fait l’objet de nombreuses critiques, pour les abus qu’elle permettrait et les comportements d’optimisation des entreprises qui s’établissent dans des pays où les charges sociales sont faibles. Les abus ont conduit à une première évolution du droit applicable en 2014, puis en en mars 2016. La réforme de 2016 prévoit un alignement du régime des travailleurs détachés sur celui du pays d’exercice ; la limitation à deux ans par mission de la durée d’application du statut de travailleur détaché ainsi que le maintien de l’assujettissement au régime de sécurité sociale du pays d’origine.

Redéfinir le projet européen autour des pays de la zone Euro

Le principe d’une intégration différenciée a été défendu par François Hollande en tant que président de la République à l’issue du Conseil européen de février 2015. Dans le contexte de la présidentielle 2017, plusieurs candidats se sont positionnés pour une mise en retrait de la France des institutions européennes dans leur fonctionnement actuel notamment Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon.
 
Créer un fonds européen de sécurité et de défense

La création d’un fonds européen de sécurité et de défense n’est pas une proposition nouvelle. Elle revêt un intérêt tout particulier ces derniers mois, dans le contexte des attentats terroristes survenus en Europe et des conflits du sud de la Méditerranée, qui ont poussé des millions de migrants depuis 2013 aux frontières de l’Union. Thierry Breton s’est exprimé, dès février 2016, pour la création d’un tel fonds. La proposition a ensuite été portée par le président de la République François Hollande, lors de son allocution du 14 juillet 2016, et reprise par les ministres de la Défense français et allemand, Jean-Yves Le Drian et Ursula van der Leyen, dans une proposition transmise à la haute représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Federica Mogherini, en septembre 2016. Enfin, Jean-Claude Juncker a annoncé, dans son discours sur l’état de l’Union, prononcé le 14 septembre 2016, que la Commission proposerait, avant la fin de l’année 2017, la création d’un fonds européen de la défense.
 
Doter la politique de concurrence d’une dimension externe

Le traité de Rome (mars 1957) pose les fondements de la politique communautaire de la concurrence et octroie des compétences communes à la Communauté économique européenne (CEE) en la matière. L’émergence de règles communes encadrant la concurrence est envisagée comme le pendant de la libre-circulation des biens permise par le traité de Rome. Les aides publiques octroyées par les États aux entreprises ont cependant fait l’objet de nombreux débats européens, depuis le début des années 2000.

Déjà testées à l'étranger ?

Redéfinir le projet européen

La principale tentative, unilatérale, de réforme de l’Union au bénéfice d’un État-membre est celle conduite par David Cameron en 2016, accord qui a été soumis au référendum du 23 juin 2016 et rejeté par les Britanniques. Cet accord engageait le Royaume-Uni vers ce que le Premier ministre qualifiait de "statut spécial", prévoyant des dispositions particulières concernant l’immigration, la souveraineté du Royaume-Uni et sur la position particulière du pays par rapport à la monnaie unique. Cette démarche diffère fortement, dans ses motivations, des propositions faites par Benoît Hamon et Arnaud Montebourg, qui plaident pour un renforcement de l’Union, mais permet d’illustrer ce qu’un pays est en mesure d’obtenir seul en négociant avec ses partenaires européens.
 
Revoir les accords de Dublin

Le gouvernement hongrois de Viktor Orban a décidé, en juin 2015, de suspendre l’application du règlement européen dit « Dublin III ». La Hongrie étant un pays frontalier de l’Union, elle est le pays d’entrée de nombreux migrants passant par la route désignée comme étant celle des Balkans ; Viktor Orban souhaitait ainsi éviter que les pays européens, et en particulier son voisin autrichien, ne renvoient systématiquement les migrants vers la Hongrie. Plusieurs pays ont menacé la Hongrie d’engager une procédure devant la Cour de justice de l'Union européenne (l’Autriche et la Suède notamment).
 
Suspendre la directive "Travailleurs détachés"

Les 28 États membres de l’Union appliquent aujourd’hui la directive européenne relative aux travailleurs détachés. La proposition de réforme formulée par la Commission, en mars 2016, est soutenue, outre la France, par l’Allemagne, l’Autriche, le Luxembourg, la Belgique, la Suède, les Pays-Bas. À l’inverse, onze pays (dix pays d’Europe de l’Est et le Danemark) ont enclenché, en mai 2016, une procédure dite du « carton jaune » à la Commission européenne, qui permet de bloquer l’avancée de ce projet tant que la Commission n’a pas apporté de précisions supplémentaires ou amendé son projet.
 
Créer un fonds européen de sécurité et de défense

La création d’un fonds européen de sécurité et de défense est identifiée comme une initiative franco-allemande, comme l’était en 1992 la création de l’Eurocorps, un corps d'armée regroupant des contingents de six pays européens ainsi que quatre pays associés. Les pays qui se sont joints ou, a minima, qui disposent du statut d’États associés à Eurocorps pourraient également soutenir la création de ce fonds (Belgique, Espagne, Luxembourg, Pologne, la Grèce, l'Italie et la Roumanie).
 
Doter la politique de concurrence d’une dimension externe

Si les États-Unis sont pionniers en matière de politique de la concurrence et de régulation antitrust (Sherman Act de 1890), leur approche est différente de celle de l’Union européenne. L’application américaine du droit de la concurrence est plus souple et pragmatique et favorise la promotion de champions nationaux à l’étranger.

Comment les mettre en oeuvre ?

Redéfinir le projet européen
 
Toute réforme du fonctionnement de l’Union européenne passe par la construction d’un consensus entre les États membres et les conditions de réussite sont très difficiles à définir d’un point de vue uniquement français. Ainsi, le paysage politique européen semble aujourd’hui peu favorable à une évolution visant à renforcer l’Union ou l’une de ses institutions, a fortiori à en créer de nouvelles ; l’Allemagne est ainsi opposée à un approfondissement de la zone euro.
 
Pour toute modification institutionnelle d’ampleur, impliquant un renforcement des pouvoirs du Parlement ou la possibilité de conduire des initiatives par groupe de pays, il sera en effet nécessaire de revenir sur les traités. Cela implique que les 28 États-membres se mettent d’accord sur les évolutions proposées, conformément aux dispositions de l’article 48 du traité de Maastricht.
 
Revoir les accords de Dublin
 
S’agissant de la révision des accords de Dublin, trois hypothèses sont envisageables :
- la suspension de l’application des accords Dublin III, à l’initiative de la France ;
- une suspension unilatérale, à l’instar de la Hongrie, de l’application de l’accord Dublin III, afin d’éviter que les autres pays ne lui renvoient les migrants qu’elle a initialement accueilli. La France serait en violation du droit de l’Union et s’exposerait à une procédure de sanction de la part de la Cour de justice de l’Union européenne ;
- un fort soutien exprimé à la proposition de la Commission en cours de discussion, en particulier sur le mécanisme correctif, ce qui n’est pas le cas jusqu’à présent.
 
Suspendre la directive "Travailleurs détachés"

Au regard du cadre juridique de l’Union européenne, la suspension de la directive sur les travailleurs détachés parait difficilement réalisable ; elle pourrait placer la France dans une situation d’isolement vis-à-vis de ses partenaires, dans le cas d’une suspension unilatérale de la directive.
 
Créer un fonds européen de sécurité et de défense

Les ministres français et allemand de la défense ont, en septembre 2016, déjà lancé une initiative pour la création d’un fonds européen de sécurité et de défense. La proposition est désormais portée au niveau de la Commission par son président, et un plan est en cours de discussion dans le cadre de la préparation du prochain cadre financier pluriannuel post-2020.
 
Doter la politique de concurrence d’une dimension externe

Afin de mettre en œuvre cette politique, il serait nécessaire de modifier les articles des traités sur l’interdiction des aides d’État. Le véritable travail de mise en œuvre de cette proposition est d’ordre idéologique : la Direction générale de la concurrence de la Commission européenne (DGComp), en charge de l’application du droit de la concurrence, a toujours eu une conception très stricte de la concurrence. La concurrence "libre et non faussée" fait partie des objectifs de l’Union en vertu des traités. 

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