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Rencontres
September 2014

La petite enfance, clé de l’égalité des chances

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Vendredi 12 septembre 2014, la CNAF, l’Institut Montaigne et Terra Nova ont organisé le colloque "La petite enfance, clé de l'égalité des chances".
Retour sur cette journée.

Dans leurs propos liminaires, Jean-Marie Attard (vice-président du conseil d’administration de la CNAF), Thierry Pech (directeur général de Terra Nova) et Laurent Bigorgne (directeur de l’Institut Montaigne) ont rappelé la nécessité d’ériger la petite enfance au rang de priorité de nos politiques éducatives. Ils sont revenus sur le processus de formation très précoce des inégalités et donc sur l’impératif – dans un esprit de justice sociale mais aussi de compétitivité économique – de contrecarrer très tôt ce processus. Enfin, ils ont plaidé pour que les politiques publiques se nourrissent davantage des avancées de la recherche, tout particulièrement celles à destination de la petite enfance.
 

Table Ronde 1 : "Des inégalités très précoces que ne corrigent pas nos politiques familiales et éducatives"



- Dr. Marie Bonnafé, psychiatre et psychanalyste, présidente de l'association ACCES
- Marc Gurgand, directeur de recherche en économie de l’éducation (École d’économie de Paris – CNRS)
- Frédéric Marinacce, directeur des politiques familiales et sociales à la CNAF
- Olivier Noblecourt, ancien vice-président du CCAS de Grenoble, président du groupe de travail Petite enfance de Terra Nova
Il y a aujourd’hui en France 380 000 places pour l’accueil des jeunes enfants et 310 000 assistants maternels en activité ; cependant, l’écart – en termes de places d’accueil – demeure de 1 à 7 entre la métropole et l’outre-mer.

Les intervenants de cette première table rondes ont rappelé que notre système éducatif était le plus déterministe au plan social de l'OCDE et qu’il y avait donc une urgence et une nécessité à agir ; et ce d’autant plus que l’on dispose des outils de recherche et de politiques publiques pour agir. Alors que les inégalités se creusent entre les enfants selon leur milieu social d’origine, la petite enfance est un moment crucial car elle constitue la période durant laquelle les apprentissages sont les plus intenses. La lutte contre la pauvreté commence donc dans les crèches.

Tous les intervenants ont souscrit à l’impératif d’une intervention précoce. La capacité à apprendre étant plus grande durant la petite enfance : il y a donc une plus grande efficacité d’action à ce moment-là et, par conséquent, il s’agit du meilleur moment pour tenter de compenser les écarts sociaux. De plus, les écarts et les inégalités s'amplifiant mécaniquement, avec le temps, il y a un réel intérêt à concentrer l'effort le plus tôt possible ; pour l'efficacité des dépenses mais aussi pour éviter de placer des centaines de milliers d'enfants dans des situations de difficultés prolongées.

Plusieurs expérimentations susceptibles de réduire ces inégalités ont été évoquées : le projet "Livres-petite enfance", initié en 1980 puis repris en Amérique latine et au Royaume-Uni, le Perry preschool project et l’Adecedarian. Les résultats de ces deux dernières expérimentations sont impressionnants : à quarante ans, les destins sociaux des enfants qui ont suivi les programmes expérimentaux ont divergé ; ils ont fait plus d'études, sont moins au chômage et présentent de plus faibles taux d'incarcération.

Plusieurs intervenants ont rappelé que les programmes expérimentaux ne pouvaient fonctionner que s’ils étaient portés localement par les professionnels de la petite enfance et qu’ils associaient les parents. La question du taux d'encadrement dans les crèches a aussi été abordée – ainsi que l’abrogation du décret Morano –, envisagée comme un prérequis pour une politique éducative efficace.

Cette table-ronde a également été l’occasion de soulever la question des critères d’attribution pour les places de crèche : bi-activité des parents, mono-parentalité, niveau de richesse des ménages, etc. Au cours de la journée, plusieurs élus ont indiqué privilégier désormais le niveau de richesse des familles.

L’absence de politique et de vision pour la petite enfance a conduit l’un des intervenants à envisager la création d'un Conseil national de la petite enfance.

Dans la salle, certaines personnes présentes ont posé la question de l’effet grossissant du Perry Preschool project et de l’Abecedarian, émettant l’hypothèse que les résultats pouvaient être davantage liés au surcroit d’attention donnée à ces enfants qu’au travail sur le langage.

La question de la formation du personnel de crèche ayant été évoquée dans les propos des intervenants, une personne a soulevé la question de la formation des assistantes maternelles. Il s’agit là d’un enjeu central car elles accueillent aujourd’hui près de trois enfants sur quatre et sont les seules à avoir des taux d'encadrement "valables".

Enfin, plusieurs personnes ont soulevé la question de la possible stigmatisation liée à un repérage précoce des enfants en difficultés. Ce à quoi les intervenants ont répondu que, dans leur pratique, ils n’avaient pas observé de stigmatisation liée au repérage précoce ; selon eux,  sans repérage précoce, les progrès possibles sont nécessairement repoussés dans le temps.



Table ronde 2: "Pour un accueil élargi et plus équitable, rendu plus efficace grâce à des méthodes pédagogiques innovantes"



- Pr. Antoine Guedeney, pédopsychiatre et psychanalyste, chef du service de pédopsychiatrie à l'Hôpital Bichat
- Mireille Massot, 1ère vice-présidente du conseil général d'Ille-et-Vilaine, chargée de la petite enfance
- Benoît Ménard, directeur général de l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (UNIOPSS)
- Dr. Guillemette Pouget, médecin de l’Éducation nationale dans l'Isère, chercheuse associée, Laboratoire des Sciences de l’Éducation de l'Université Pierre Mendès France de Grenoble, équipe Cognisciences (programmes PARLER et Parler bambin)
- Jean-Emmanuel Rodocanachi, président de la Fédération Française des Entreprises de Crèches (FFEC)
- Élisabeth Laithier, présidente du groupe de travail petite enfance à l’Association des maires de France (AMF)

Cette table ronde a été l’occasion de mesurer le chemin parcouru dans le domaine de la petite enfance. La formation obligatoire pour les assistantes maternelles ne date que de 1973 et, à l’origine, l’enjeu principal de l'accueil du jeune enfant était de garder les enfants en bonne santé. Aujourd'hui la crèche est conçue comme un lieu d'éveil : toute ouverture de structure étant assortie de l’obligation d’établir un projet éducatif. D’importantes avancées ont vu le jour, notamment : l’accueil en horaires atypiques, les gardes itinérantes, les relais parents-enfants ou l’accueil des enfants dont les parents sont en démarche d'insertion.

Les intervenants ont tenu à rappeler que pour eux l'école était bien le creuset de l'égalité... si les enfants y arrivaient avec les mêmes chances ;la petite enfance assume donc un rôle essentiel dans la garantie de l’égalité des chances. Par conséquent, il s’agit avant tout d’aider les enfants dont l'entourage ne permet pas un éveil optimal à être accueillis dans les structures collectives et de favoriser l'accueil en crèche des enfants en situation de vulnérabilité.

Les statistiques recueillies lors des journées défense et citoyenneté montrent que 20 % des jeunes ne parviennent pas à lire un programme de télévision et que 14 % d’entre eux ont un vocabulaire lacunaire… alors qu’ils ont passé onze ans sur les bancs de l'école. Alors que 80 % des élèves décrocheurs étaient déjà en difficultés au CP, la mise en place d'outils de diagnostic et de repérage précoces paraît essentielle.

Cette table ronde a également mis l’accent sur la nécessité de travailler en interaction étroite avec les parents. L’exemple de visites, débutant durant la grossesse et se poursuivant deux après la naissance de l’enfant, auraient un effet considérable. Cela plaiderait donc en faveur d’une action plus forte à destination des parents en difficultés.

Bien que cette journée ait permis de mesurer le chemin qu’il reste encore à parcourir, un intervenant a tenu à rappeler que le prix de nos prestations était, en moyenne, trois à cinq fois moins élevé que celui des pays européens. Cependant, la multiplication par deux en dix ans du coût de création d'une place en crèche pose question.

Lors des échanges avec les personnes présentes, les intervenants sont revenus sur la question d’une stigmatisation possible liée à un repérage précoce, ils ont tenu à indiquer que traiter de façon égale des situations inégales creusait les inégalités. Ils ont donné l’exemple du dépistage médical : si tout le monde accepte le dépistage précoce de certaines maladies, pourquoi ne l’accepterait-on pas pour des enfants placés dans des situations qui risquent de les mettre en difficulté toute leur vie ?

Enfin, un intervenant a émis l’idée de faire du vocabulaire chez les enfants une grande cause nationale et de mettre en place des conférences de consensus, qui permettraient de faire le point sur les sujets et les méthodes.

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