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Rencontres
March 2022

Christine Lagarde en discussion avec Henri de Castries : diriger la Banque centrale européenne en temps de crises

Alors que les questions géopolitiques cristallisent l’actualité l’internationale, et que l’économie mondiale est secouée par des prévisions d’inflation et de crise de l’énergie, l’Institut Montaigne a invité Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne (BCE), aux côtés d’Henri de Castries, président de l’Institut Montaigne, pour évoquer la conjoncture économique et ses perspectives.

Après avoir pris la tête de la BCE à la suite de Mario Draghi en 2019, Christine Lagarde s’est retrouvée dans une position dans laquelle elle était à la fois stratège et pompier. Stratège, d’une part, car sous son mandat la stratégie de la Banque centrale a été revue pour la première fois en 17 ans en réexaminant les outils et les objectifs de l’institution, en concertation avec les sphères économiques, parlementaires et académiques. Cette construction d’une stratégie s’est aussi accompagnée d’une stratégie de forward guidance, permettant d’indiquer aux marchés quelle politique monétaire est mise en place et à quelle échéance. Crise environnementale oblige, le changement climatique est désormais perçu comme l’un des éléments déterminants pour définir la politique monétaire. Ensuite, Christine Lagarde a endossé le rôle de pompier central alors que se profilait une crise économique majeure engendrée par les effets du Covid-19. Se faisant, la Présidente de la BCE a ajouté à son programme d’achat d’actifs (APP) de 10 milliards d’euros - portefeuille hérité à son arrivée - un programme d’achat d’urgence pandémique (PEPP). Aux termes de ces opérations qui avaient pour objectif de prémunir l’Union d’une crise majeure, ce sont plus de 1700 milliards d’euros qui ont été injectés dans l’économie européenne. En février 2022, enfin, la Présidente a fait face à la deuxième crise majeure de son mandant, cette fois sur le plan géopolitique, avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie. 

C’est dans ces conditions qu’à l’été 2021 s’est profilée une augmentation significative du niveau des prix au sein de la zone euro, en raison de l’augmentation des prix de l’énergie et des goulots d’étranglement rencontrés dans les chaînes d’approvisionnement. L’inflation constatée à partir de juin et juillet a été constituée durablement au deux-tiers par l’énergie et les produits alimentaires. Autre élément qui est venu soutenir une inflation plus durable : la reprise du marché du travail, avec, en zone euro, 6,8 % de taux de chômage - au plus bas depuis les années 1970. La crise du Covid a détruit 5 millions d’emplois, mais nous savons désormais que 5,5 millions d'emplois ont été créés depuis le début de la pandémie, permettant d’arriver à un niveau d’emploi supérieur à celui de février 2020. 

Les derniers travaux sur les perspectives de l’inflation du 10 mars - qui sont une tentative d’intégration des éléments de la guerre en Ukraine - indiquent un taux de hausse des prix pour la zone euro de 5,1 %, et dans des scénarios à court terme à 7 % sur l’année 2022. Toutefois, bien qu’alarmantes, ces prévisions ne devraient pas, à terme, pénaliser l’économie européenne. En effet, d’après les estimations faites par la BCE, le niveau des prix devrait reprendre une trajectoire plus stable à partir de 2023, pour s’aligner avec les objectifs tracés par l’institution monétaire (2 % de taux d’inflation). 

Mais le mandat de l’ancienne Directrice de FMI est désormais impacté par le retentissement de la guerre en Ukraine avec des conséquences majeures. Cette dernière a entraîné une incertitude économique considérable qui va contribuer à un risque d’augmentation de l’inflation dans les secteurs de l’énergie. La deuxième conséquence est illustrée avec les goulots d’étranglement issus d’une augmentation des délais de livraison dans les cycles de production en particulier. In extenso, le conflit risque de menacer les perspectives de croissance pour l’Union et la zone euro en créant un climat d’incertitude qui minerait la trajectoire économique. Ces risques économiques et financiers requièrent une concertation avec d’autres banquiers centraux, dont la FED, avec laquelle un dialogue constant existe déjà. La principale difficulté rencontrée par toutes les banques centrales reste, toutefois, de limiter l’augmentation des prix sans créer un frein à la croissance. 

En somme, les crises engendrées par le Covid puis par la guerre en Ukraine ont souligné les multiples dépendances de l’Union européenne aux pays étrangers. Cette vulnérabilité est afférente à la dépendance énergétique des 27, à l’insuffisance de défense commune et à la dépendance aux matières premières. La Commission européenne a d'ores et déjà identifié une liste de secteurs pour lesquels cette autonomie stratégique européenne doit se renforcer à l’égard d’autres pays. Autre point qui se profile en filigrane : l’UE dépend à 98 % de la Chine pour ses terres rares. Une autre stratégie à adopter est donc de renforcer nos chaînes d’approvisionnement au sein de l’Union européenne.

Il faut, de toute évidence, des politiques publiques promulguées à l’échelle nationale et européenne dans le contexte actuel. NextGenerationEU - le plan de relance européen de 750 milliards d’euros validé par les 27 chefs d’État et de gouvernement - est en train d’être mis en œuvre, au travers de premiers versements fin 2021. La Banque centrale européenne, en appui des autres institutions de l’Union, doit désormais continuer une politique de construction tournée vers l’avenir. Cette stratégie passe par une réflexion quant aux cadres actuels, en encourageant toujours plus les approfondissements du marché unique, l’union budgétaire, l’union bancaire ainsi que celle des marchés de capitaux. 

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