Paris, le 7 décembre 2021 - La coopération accrue entre l’Europe et l’Inde est de plus en plus motivée par un impératif commun : contrer la Chine. Si ce développement récent ouvre un nouveau chapitre pour les relations internationales, il reste largement sous-estimé. 

Sur la base de 25 entretiens avec des acteurs publics et privés, Christophe Jaffrelot, directeur de recherche CNRS au Centre de recherches internationales de Sciences Po (CERI) et senior fellow à l’Institut Montaigne, et Jasmine Zérinini, consultante et ancienne diplomate, publient aujourd’hui une nouvelle note pour l’Institut Montaigne Europe-Inde : quelles ambitions face à la Chine? 

Leur constat est clair : le potentiel économique de cette relation reste inassouvi - l’Inde ne représente que 2,5 % des volumes commerciaux de l’UE, contre 16,1 % pour la Chine - et des points de discorde importants subsistent ", notamment en matière de relations commerciales et de convergences sur les valeurs. Cependant, la géopolitique et la sécurité apparaissent comme de nouveaux moteurs pour le rapprochement des deux parties.

"L’attitude de Pékin forcera-t-elle les Européens et les Indiens à choisir leur camp, contribuant, tout comme le pacte AUKUS, à faire de l’Indo-Pacifique l’épicentre d’une nouvelle forme de guerre froide ? Si l’Europe et l’Inde estiment devoir unir leurs forces, de nombreux désaccords subsistent. Nos recommandations vont en cela dans le sens de la nécessité d’envoyer des signaux positifs au service du renforcement de la confiance mutuelle entre les deux parties. " Christophe Jaffrelot, directeur de recherche CNRS au Centre de recherches internationales de Sciences Po (CERI), senior fellow à l’Institut Montaigne et auteur de cette note.

Six recommandations à l’attention de Bruxelles, New Delhi et des États membres de l’Union européenne pour une relation Europe-Inde plus solide et plus durable

Recommandation n° 1 : l'Union européenne gagnerait à répondre aux attentes de l'Inde en matière de visas à motif professionnel en optant pour une politique migratoire visant à attirer les talents. L'Inde, quant à elle, doit apaiser les inquiétudes soulevées en Europe par ses diverses tendances protectionnistes en révisant les droits de douane sur certains produits essentiels. 
 
Recommandation n° 2 : l'Union européenne et l'Inde pourraient jouer un rôle clé sur la scène numérique mondiale si New Delhi adoptait une loi sur la protection des données personnelles (son Personal Data Protection Bill) similaire au règlement général européen sur la protection des données.
 
Recommandation n° 3 : pour réduire les tensions qui s'accroissent entre l’Europe et l’Inde sur le plan des valeurs politiques et sociétales, il convient de promouvoir les relations interpersonnelles avec comme priorités le renforcement des échanges étudiants et la coopération entre acteurs de la société civile. Les ONG présentes à la fois en Europe et en Inde, comme Amnesty International, pourraient être invitées par l'UE et le gouvernement indien à entamer un dialogue avec d'autres représentants de la société civile. Ces échanges pourraient s'inscrire dans le cadre du dialogue bilatéral UE-Inde sur les droits de l'homme ou se tenir séparément.
 
Recommandation n° 4 : la préoccupation partagée qu’expriment l’Europe et l’Inde à l’égard du changement climatique doit se traduire par des efforts conjoints allant au-delà des transferts de technologie ou de l'aide financière : des experts environnementaux des deux parties pourraient être invités à sensibiliser les citoyens aux défis environnementaux et à leurs solutions. Là encore, la société civile a un rôle clé à jouer. 
 
Recommandation n° 5 : l'Union européenne et l'Inde doivent explorer différentes formes de partenariat afin d'exploiter leurs complémentarités. Si l'Inde peut être un partenaire stratégique de l'UE pour faire face à la Chine, elle peut également l’aider à diversifier ses sources d’approvisionnement et contribuer à des formes alternatives de diplomatie. L'industrie pharmaceutique est à cet égard un domaine dans lequel l'Inde et l'Europe pourraient coopérer pour réduire la dépendance de leur chaîne d'approvisionnement vis-à-vis de la Chine voire introduire une division du travail similaire à celle du Quad, dans laquelle l'Inde produirait les vaccins que les pays européens pourraient ensuite distribuer à travers les pays du Sud.
 
Recommandation n° 6 : si l'Union européenne est l’interlocuteur le plus adapté pour toute discussion sur les chaînes d'approvisionnement, pour les négociations commerciales et la diplomatie des vaccins, les États membres ont leur propre marge de manœuvre pour développer avec l’Inde des relations à géométrie variable. Ils peuvent en particulier se rapprocher des pays avec lesquels l'Inde entretient de bonnes relations dans la région Indo-Pacifique, d’autres membres du Quad et le Royaume-Uni, avec lequel la plupart des pays européens ont encore des affinités. Un format "Quad+" où des pays de l'UE seraient représentés pourrait envoyer à l’Inde un signal de convergence parmi certains de ses partenaires clés.