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07/02/2018

Ne pas battre en retraite(s)

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Ne pas battre en retraite(s)
 Victor Poirier
Auteur
Ancien directeur des publications

Les retraites, une réforme pour 2018 ? Pas tout à fait, à en croire les récentes déclarations du chef de l’Etat sur la question. L’un des dossiers les plus complexes et politiques du quinquennat, devrait finalement être finalisé “d’ici à l’été 2019”, le temps pour le Haut-commissaire à la réforme des retraites, Jean-Paul Delevoye, d’échanger avec l’ensemble des parties prenantes. Le calendrier révisé pour cette réforme témoigne de la complexité du dossier dont se saisit l’exécutif.

Quelles sont les pistes envisagées par le gouvernement ? Comment la réforme à venir peut-elle assurer la pérennité du système ? Comment l’agenda décidé par l’exécutif peut-il impacter grandement la réforme à venir ?

Un objectif : un euro égal les mêmes droits pour tous

Mettre fin aux injustices”. Lors de sa campagne présidentielle, Emmanuel Macron avait déjà indiqué vouloir réformer en profondeur le système de retraite, promettant une unification de tous les régimes. Il n’avait alors pas donné beaucoup de détails sur cette réforme, hormis son calendrier - révisé depuis.

Si la date a changé, le discours reste le même. Sa devise “un euro cotisé égal les mêmes droits pour tous” résume le souhait de l’exécutif pour cette réforme, mais reste à en définir les contours, ce qui n’est pas une mince affaire… Le souhait d’unifier les 37 régimes de retraite existants en un seul régime par points est une initiative louable, car elle offre lisibilité et justice :

  • Lisibilité, car elle permet à chaque assuré de connaître, à tout instant, les droits qu’il a acquis. Le citoyen fait ainsi ses choix de carrière de façon plus éclairée, et bénéficie d’incitations plus claires à la poursuite d’activité.
     
  • Justice, car elle est un gage de convergence entre les régimes public et privé. Ces derniers diffèrent aujourd’hui du fait de la présence d’âge d’ouverture des droits à la retraite plus bas dans le secteur public (âge d’ouverture des droits (52 ans pour les « personnels roulants » de la RATP, 57 ans pour la SNCF comme pour certaines « catégories actives » de fonctionnaires) que dans le secteur privé (62 ans). Les modes de calcul des pensions diffèrent aussi entre les deux secteurs(prise en compte des 25 meilleures années pour le privé, des 6 derniers mois pour le public). Ces divergences, et la suspicion qui en découle, rendent aujourd’hui difficile l’acceptation par tous des efforts nécessaires au redressement des régimes.

Mais un troisième objectif, lui aussi primordial, apparaît moins clairement dans les priorités de l’exécutif : la santé financière du régime. La légère amélioration des prévisions financières, annoncée par le COR en novembre dernier, n’est que de façade : sans réforme, le système restera durablement en besoin de financement. Seule l’hypothèse - plus qu’improbable - d’un taux de chômage à 7 % (contre 9,2 % en décembre 2017 selon l’OCDE) et d’un taux de croissance des revenus d’activité à 1,8 % (l’OCDE prévoit un taux de 1,1 % sur la période 2010-2030)  permettrait de retrouver l’équilibre… en 2037.

Un risque : qui trop embrasse… mal étreint

Dans la note de Guillaume Autier, “Retraites : pour une réforme durable”, publiée en 2016 par l’Institut Montaigne, la question du passage à un régime à points est abordée. Ses vertus, définies plus haut, sont incontestables. Mais un point demeure en suspens : comme le rappelait le COR en 2010, une telle réforme n’a, par elle-même, aucun effet sur la réduction du déficit des régimes de retraite. L’Institut Montaigne recommandait ainsi d’assurer la viabilité du système par répartition avant d’envisager une réforme systémique. 

Devant un sujet aussi politique, la tentation est grande de ne vouloir faire aucun “perdant” en matière de niveau des pensions : le risque serait alors d’accroître les complications financières du système en calibrant le nouveau sur une base aussi déficitaire que le précédent, voire davantage. Se pose aussi la question de la traduction, dans ce nouveau système, des avantages “non-contributifs”, c’est-à-dire des mécanismes de solidarité qui prennent la forme de droits accordés gratuitement par les régimes de retraite (validation gratuite des périodes de maladie, congés maternité, minimas de pensions, majoration de durée d’assurance, etc). La conversion dans ces régimes des mécanismes de solidarité peut rapidement virer au casse-tête (et au dérapage financier).

Une échéance : l’élection européenne.

Si les enjeux financiers - plus 300 milliards d’euros de pensions versées chaque année - ne suffisaient pas à faire de cette réforme l’un des chantiers clés de l’exécutif, le calendrier retenu pour cette dernière n’est pas non plus anodin. En annonçant la mise en oeuvre d’une telle réforme quelques mois avant les élections européennes de mai 2019, le chef de l’Etat l’inscrit indirectement dans une période clé pour l’avenir du pays. La France sera observée de près par ses voisins, et tout signe de laxisme budgétaire pourrait nuire à son image au sein de l’Union.

Or, les retraites sont aujourd’hui l’une des dépenses principales de l’Etat français : elles représentent 14 % du PIB, contre 8 % en moyenne dans les pays de l’OCDE. Cela se traduit par un temps passé à la retraite de cinq ans plus élevé en France (23 ans pour les hommes, 27,2 pour les femmes) que dans la moyenne des pays développés. Il est donc indispensable d’agir sur ce système déficitaire et dispendieux, afin d’acquérir de la crédibilité sur la scène européenne. Mais il est tout autant indispensable de s’attaquer aux conséquences financières de ce régime. Ne pas en faire l’un des piliers de la future réforme sonnerait alors comme un aveu de faiblesse de l’exécutif.

Selon les choix du gouvernement pour cette réforme, deux scénarios pourraient alors survenir : 

  • Une réforme ambitieuse et répondant aux impératifs financiers du régime de retraite viendrait asseoir la place clé de la France dans la reconstruction européenne ;
     
  • Une réforme “consensuelle” et n’agissant pas sur le solde financier du régime à long-terme écornerait sérieusement l’image de la France, et la crédibilité de ses engagements financiers face à ses voisins européens.
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