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19/01/2018

L’hybris d’Emmanuel Macron

L’hybris d’Emmanuel Macron
 Marc Lazar
Auteur
Expert Associé - Démocratie et Populisme, Italie

Huit mois qu’il est à l’Elysée et tout ou presque tout semble lui sourire. Un alignement des astres parfaits. Des sondages plutôt bons, ce qui était devenu exceptionnel pour un dirigeant politique. Une opposition, pour le moment, tétanisée : un PS en ruines, des Républicains qui se divisent avec un Laurent Wauquiez qui dispose d’incontestables atouts, mais doit s’imposer auprès de l’opinion, un Front national qui doute des capacités de sa dirigeante et s’interroge sur sa stratégie, enfin une France insoumise à la recherche d’un nouveau souffle. En Europe, Emmanuel Macron s’affirme comme le leader par excellence, le seul ayant une autorité et un projet pour relancer l’Union. Angela Merkel a enfin trouvé un accord avec le SPD, mais sort affaiblie de ces élections et de tractations épuisantes pour former un gouvernement. L’Italie votera le 4 mars et l’incertitude règne, cependant que les forces critiques de l’Union européenne ont le vent en poupe. Teresa May a les plus grandes difficultés à négocier le Brexit. A l’international, Donald Trump se déconsidère chaque jour un peu plus et Poutine est occupé à préparer sa réélection. Seul Xi Jinping s’avère un rival d’envergure, puisque la Chine est décidée à peser sur la refonte de la gouvernance mondiale. 

Les médias français et étrangers ne cessent de s’intéresser à la politique du Président français, à son image, à sa personne ou à son couple avec un mélange de fascination et d’irritation contre sa communication efficace, mais strictement verrouillée. Quelques intellectuels cèdent à son charme, parfois sans retenue, mais l’histoire nous démontre que les clercs se laissent souvent emporter par leurs passions aveugles au détriment du raisonnement critique que l’on attend d’eux. Enfin, le président est servi par cette fortuna dont Machiavel disait qu’elle était nécessaire et même indispensable au Prince : les circonstances en effet l’ont servi durant sa campagne et continuent de lui être favorables. En outre, il maîtrise également la virtu, toujours si fondamentale selon le même Machiavel. Bref, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes pour ce jeune président. 

Attention toutefois. D’abord, parce que des tensions se font jour au sein de sa majorité parlementaire hétéroclite. Entre les députés qui viennent de la gauche et ceux issus de la droite. Entre les professionnels recyclés de la politique et les novices issus de la société civile. Entre les provinciaux et les parisiens. Entre les générations, avec les jeunes qui pensent que leur heure est venue et les plus âgés qui entendent faire parler leur expérience. L’électorat d’Emmanuel Macron aussi évolue. Les électeurs venus de la gauche ne se retrouvent plus tellement dans la politique du gouvernement qui, en revanche, attire de plus en plus l’électeurs de la droite. Un récent sondage Kantar Sofres a certes montré qu’une bonne partie des Français approuvaient les premières réformes du quinquennat. Néanmoins, des sujets sensibles qui jusque-là avaient été en quelque sorte remisés parce que porteurs de divisions, comme ceux des migrants, de l’immigration, de la laïcité, des retraites ou encore de la PMA arrivent au premier plan et risquent de faire si ce n’est voler en éclats, en tout cas secouer la "macronie". La récente tribune de Laurent Berger, Thierry Pech, Jean Pisani-Ferry, Jean-François Rial, et Lionel Zinsou, condamnant en termes vifs la circulaire de Gérard Collomb et le projet de loi sur l’asile et l’immigration, en fournit une bonne illustration. La décision de renoncer au projet d’aéroport à Notre-Dame des Landes mécontente de nombreux élus locaux et risque d’encourager d’autres mobilisations collectives, zadistes ou non. Mais surtout, le climat d’optimisme, voire d’euphorie, qui s’instaure à la fois du fait de la reprise économique et de l’indéniable performance du Président qui démontre chaque jour l’étendue de son talent, ne concerne qu’une partie de la France. Celle plutôt aisée, instruite, urbaine, ouverte au monde. Le reste de la France, politisée ou pas, reste sceptique, indifférente, dubitative. Certaines franges d’entre elle expriment une hostilité sourde qui, pour l’instant, n’a pas trouvé son moyen d’expression. Cette France-là ne se reconnaît pas dans ce président. Dans sa politique, dans sa philosophie, dans son style. Ni dans son gouvernement ni d’ailleurs, plus généralement, dans les institutions. La profonde crise de défiance politique qui caractérise notre pays depuis des années est loin d’avoir été résolue. Elle continue de travailler cette France-là. D’autant plus que la majorité ne semble pas s’adresser à elle, ne lui parle pas, ne la prend pas tellement en considération, ne lui envoie pas des signaux clairs, sauf par à-coups, par intermittences. En octobre dernier, selon l’IFOP, 57 % des Français reconnaissaient que le président tenait ses engagements de campagne mais 56 % disaient ne pas comprendre sa politique, dont 59 % des employés, 69 % des ouvriers, 70 % des personnes ayant un niveau d’instruction inférieure au baccalauréat. C’est chez ces "gens de peu", comme le disait avec beaucoup de considération pour eux le sociologue Pierre Sansot, mais pas simplement, que s’ancre la formule du "président des riches". 

Le Président, son gouvernement, sa majorité parlementaire, La République en marche, qui paraît singulièrement être en panne malgré la nomination en novembre dernier de Christophe Castaner comme délégué général, doivent mener une vraie bataille politique en se colletant avec cette partie de l’opinion tentée par l’abstention ou le vote protestataire. Et surtout ne pas se fier simplement aux sondages et au calme apparent qui règne dans le pays. La France est cet étrange pays où des explosions de colère se produisent lorsque personne ne s’y attend. 2018 n’est évidemment pas 1968, dont le cinquantième anniversaire sera l’objet de publications, de colloques, de débats et de polémiques. Mais l’imprévisibilité est l’une de nos caractéristiques nationales. 
 

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