"La maison est remplie de familier, et le familier capte notre attention, déstabilise la subtile danse neuronale nécessaire pour penser clairement. Lorsque nous passons devant le panier à linge à l'extérieur de notre bureau domestique (c'est-à-dire notre chambre à coucher), notre cerveau se branche sur les sujets domestiques, même si nous aimerions rester concentrés sur nos e-mails ou sur une réunion Zoom à venir" explique Newport.
Il existe au moins quatre expressions du télétravail de proximité qui illustrent cette tendance :
- Le café est un lieu de travail en croissance : avec la réouverture des terrasses en France en mai 2021 après des mois de couvre-feu et confinements successifs, de nombreux travailleurs ont exprimé leur joie de pouvoir à nouveau profiter de ce qui représente l’un des "tiers lieux" les plus appréciés. Les créatifs le savent : les capacités de concentration peuvent être aiguisées par un bruit de fond, pourvu que celui-ci émane d’inconnus. En revanche, les conversations de personnes familières (celles avec qui on partage son domicile) sont perturbantes. Le café est donc habituellement un lieu de travail pour les freelances. Cela explique pourquoi des offres hybrides (mi-coworking, mi-café) se sont multipliées dans les grandes villes. On y paye le temps qu’on y reste plutôt que le nombre de cafés consommés.
- Les cabanes et autres bureaux externes ont la cote : à l’image des écrivains, de nombreux télétravailleurs se sont aménagé une pièce à part, une cabane ou une caravane pour y travailler tranquillement. C’est loin d’être anecdotique. Un article de The Economist braquait les projecteurs sur le boom des sheds en Grande-Bretagne : "dans tous les jardins du pays, dans les villes et les banlieues, les gens construisent des cabanes [...] Les structures que l'on construit actuellement sont souvent destinées au travail [...] [leurs] ventes globales ont augmenté de 113 % entre 2019 et 2020." Quand ce n’est pas pour la construction d’une cabane, les artisans du monde entier sont accaparés de demandes concernant l’aménagement d’un bureau séparé dont les formes sont multiples.
- Les chambres d’hôtel louées à la journée sont une tendance forte pour les acteurs de l’hôtellerie : louer une chambre à la journée a longtemps été pour d’autres activités que le travail. Mais alors que toutes les études montrent une baisse de l’activité sexuelle chez les jeunes adultes, les hôtels ont compris que leur avenir commercial était aux bureaux privés. Les millennials y trouvent du plaisir à travailler en toute tranquillité sur leurs tableaux Excel et autres fichiers Google Docs. "Depuis déjà quelques années, les bureaux privés, les salles d’étude et le coworking ont fait leur entrée dans le monde de l’hôtellerie. Aujourd’hui [...] les hôtels de Paris La Défense deviennent des espaces de travail. Les hôtels transforment leurs chambres en bureaux réservables à la journée" peut-on lire sur le site de Paris-La Défense.
- La crise sanitaire ne condamnera pas pour toujours les espaces de coworking : il est indéniable que de nombreux espaces de coworking ont souffert pendant la crise sanitaire. Certains ont fermé leurs portes définitivement. Mais la popularité de ces tiers-lieux n’en a pas moins augmenté avec les nouvelles formes de travail (dont le freelancing). Grâce à ces lieux, le télétravail n’est pas une condamnation à l’isolement puisqu’il permet au contraire la valorisation de collectifs différents. L’idée qu’il y a beaucoup à gagner à côtoyer au quotidien des personnes de secteurs différents - des amis, ou même des concurrents - a fait son chemin et influencé jusqu’à la conception des bureaux des grandes entreprises. Les mutations du coworking et de la location flexible d’espaces de travail de proximité doivent être au cœur de nos réflexions sur les espaces "hybrides" de demain.
Le télétravail transforme durablement le paysage urbain et se développe sur une multitude d’espaces divers dont les usages sont souvent hybrides (cafés, hôtels, domicile). Si l’expression "travail hybride" est à la mode dans les entreprises, il ne faudrait pas la limiter à une opposition binaire entre la maison et le bureau. Elle doit interroger l’organisation du travail, la place relative du travail concentré et de la sérendipité collective, l’articulation entre le travail marchand et le travail non-marchand, ainsi que la vie de quartier.
Copyright : STEPHEN MATUREN / AFP
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