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28/03/2018

Transports gratuits : ne pas faire l’économie d’un débat

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Transports gratuits : ne pas faire l’économie d’un débat
 Victor Poirier
Auteur
Ancien directeur des publications

Les transports publics peuvent-ils (et doivent-ils) devenir gratuits à Paris ? La question soulevée par Anne Hidalgo suscite de nombreuses réactions, entre enthousiasme, perplexité et franche hostilité. En plus de représenter un enjeu environnemental majeur, les décisions des pouvoirs publics en matière de mobilité revêtent régulièrement une dimension politique. Pour ou contre la voiture dans la ville ? Comment encourager les citoyens à délaisser leur véhicule et à prendre les transports ? 

Devant un tel débat souvent passionné (et passionnel), il convient de revenir, de façon rationnelle, sur l’historique de cette mesure, les conditions de sa mise en place, et les solutions alternatives qui pourraient être envisagées. 

Transports publics gratuits : des économies, mais pas pour tout le monde

Sur le papier, cette mesure a tout pour plaire. Après tout, comment aller à l’encontre de son objectif (réduire congestion et pollution dans le centre ville) ? Peut-on vraiment s’opposer à une politique publique offrant des déplacements gratuits aux citoyens ?

Mais la question n’est pas aussi simple. Dans le cas de Paris, rappelons que si les transports publics ne sont pas gratuits, leur coût pour le citoyen francilien demeure bien plus faible que dans les autres grandes capitales d’Europe. En 2016, 28 % du coût de fonctionnement des trains, métros, trams et bus en Ile-de-France étaient financés par les voyageurs (par l’achat de Navigo et de tickets). Cela signifie que 72 % de ce coût étaient pris en charge soit par les employeurs, soit par les collectivités : cela représente 7,2 milliards d’euros chaque année. Devant un tel coût, la Mairie a évoqué la création d’un péage urbain qui pourrait compenser le manque à gagner de la collectivité.

La question à poser est donc la suivante : cette mesure est-elle la plus efficace pour arriver au résultat souhaité, à savoir un report modal vers les transports en commun et une réduction de la pollution liée au secteur des transports ? 

La mesure : quel retour d’expérience pour les transports gratuits ?

La gratuité des transports n’est pas une idée neuve. Aucun consensus n’émerge sur ses bénéfices ou ses méfaits : si Tallinn (420 000 habitants), en Estonie, a mis en place cette mesure avec un franc succès, d’autres villes comme Denver ou Austin aux Etats-Unis l’ont mise en place dans les années 70 et 80, puis abandonnée (seuls les piétons et les cyclistes se sont tournés vers les transports en commun !). Aucun effet n’a alors été observé sur la congestion urbaine. En France, plusieurs villes de taille moyenne, comme Niort, Compiègne, ou Dunkerque (200 000 habitants) ont sauté le pas, avec un retour d’expérience globalement positif. Rien, néanmoins, qui puisse permettre d’affirmer qu’une telle mesure fonctionnerait - ou non - dans une agglomération de la taille de Paris et ses 12 millions de Franciliens. La gratuité des transports qui entrera en vigueur en juin 2018, pour les plus de 65 ans de la capitale (en fonction de leurs moyens) ne concernera que 200 000 personnes, et les effets de sa mise en place ne pourront être généralisés tant elle vise un segment particulier de la population.

Le financement : un péage urbain, oui, mais lequel ? 

Le péage urbain, évoqué par Anne Hidalgo pour financer les transports gratuits, n’est lui aussi pas une idée nouvelle. Il figurait d’ailleurs dans les propositions phares du rapport de l’Institut Montaigne, Quelle place pour la voiture demain ?. Mais ici encore, gare aux critères retenus pour la mise en place d’un tel système.

En 2017, l’Institut Montaigne recommandait de mettre en oeuvre des mécanismes incitatifs pour réguler le trafic et la pollution dans les zones urbaines les plus denses. Il détaillait ainsi le fonctionnement d’un micro-péage dynamique, sur le modèle déjà en place à Singapour, permettant de moduler le prix selon plusieurs critères (catégorie du véhicule, taux de remplissage, état du trafic en temps réel, qualité de l’air…). Ce système, dit de “smart congestion charging” (tarification intelligente), permet d’éviter les écueils de péages “statiques” comme celui de Londres, qui ne tiennent compte que de l’entrée et de la sortie des véhicules dans une zone donnée. 

Comme le préconise aujourd’hui Anne Hidalgo, l’Institut Montaigne précisait que les “recettes du [micro-]péage seraient réinvesties dans les transports publics et dans les infrastructures routières”. 

Le verdict : que comprendre de ces annonces ?

Les récentes annonces d’Anne Hidalgo peuvent donc être interprétées de différentes manières.

  • Le souhait d’encourager les citoyens à prendre les transports en commun sans engager de mesure coercitive permet de prendre en compte les usages des citoyens et leurs habitudes de mobilité. 
  • La volonté de faire contribuer les usagers de la route à l’entretien et à la rénovation des infrastructures de transports publics est louable, même si cette contribution doit être “intelligente”. 
  • Mais l’idée de rendre les transports publics gratuits, dont dépendent finalement les deux points cités ci-dessus, doit être avant tout analysée de façon objective, et non par le seul prisme politique. 

Est-ce aujourd’hui rationnel de rendre les transports publics parisiens gratuits, alors que ces derniers sont déjà parmi les moins onéreux d’Europe ? N’est-ce pas un risque de dégrader encore plus le réseau et de réduire l’investissement qui pourrait être consacré à sa rénovation, alors qu’il existe un grand nombre de mesures alternatives, moins coûteuses, permettant d’investir dans les transports publics pour en assurer la qualité et la pérennité ? L’étude sur les effets de la gratuité des transports, commandée par la Maire de Paris, devrait rendre ses résultats en 2019. Celle-ci aura au moins le mérite d’engager un véritable débat, indispensable pour repenser la mobilité dans la capitale.

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