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16/07/2018

Santé en Afrique : comment répondre aux nouveaux défis ?

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Santé en Afrique : comment répondre aux nouveaux défis ?
 Laure Millet
Auteur
Experte Associée - Santé

L’Institut Montaigne recevait le 19 juin dernier, le Professeur Pierre Buekens, Doyen de l’école de santé publique et de médecine tropicale de l’Université de Tulane (Nouvelle-Orléans, Etats-Unis) et le Docteur Yvonne Mburu, Docteur en immunologie, fondatrice de la plateforme Nexakili, un réseau mondial de scientifiques et de professionnels de santé africains, et membre du Conseil Présidentiel pour l’Afrique.
 
Cette rencontre a permis de soulever différentes problématiques auxquelles l’Afrique fait face aujourd’hui en termes de santé publique, d’accès aux soins et de ressources humaines. De nombreux intervenants ont participé à la discussion que nous résumons ici. 

Le double défi des pandémies et des maladies chroniques 

Les problèmes épidémiologiques du passé et ceux de demain cohabitent sur le continent africain. L’Afrique n’a pas encore achevé sa transition épidémiologique et doit relever un double défi : d’une part, éradiquer les maladies endémiques telles que le SIDA, le paludisme ou la tuberculose et, d’autre part, lutter contre le développement de maladies chroniques (diabète, cancer) et de maladies liées au vieillissement de la population, comme Alzheimer. Ces maladies non transmissibles augmentent à un rythme alarmant et représentent un enjeu majeur du point de vue de la prévention et du traitement. Si les maladies comme le SIDA ou le paludisme sévissent toujours (26 millions de personnes atteintes du virus viennent d’Afrique sur un total de 36 millions dans le monde, et 90 % des nouveaux cas de paludisme localisés en Afrique en 2016), elles sont aussi un facteur aggravant dans le développement des maladies comme le cancer. D’après Globocan, un nombre significatif des cas de cancers en Afrique sont consécutifs à des infections chroniques comme les hépatites B et C.
 
Il existe un enjeu majeur de promotion de la recherche contre le cancer et de déploiement de soins accessibles et efficaces. L'aspect inquiétant est le fait que si l'incidence dans la région africaine (bien qu'en hausse) est plus faible que sur les autres continents, son taux de mortalité est d’ores et déjà le plus élevé au monde. En effet, les études épidémiologiques prévoient 1,2 million de nouveaux cas de cancer en Afrique d'ici à 2030, et plus de 970 000 morts si des mesures adéquates de prévention ne sont pas prises rapidement. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) estime qu’en Afrique subsaharienne, le taux de progression du nombre de décès dus au cancer sera considérablement plus élevé qu’en Europe ou aux États-Unis. Mais l’Afrique a-t-elle des ressources scientifiques et médicales suffisantes pour mener à bien la recherche ?             

Des ressources médicales et scientifiques plus nombreuses

Les expertises africaines sont nombreuses mais le déséquilibre mondial des connaissances et la répartition de celles-ci se fait en faveur des pays occidentaux, où la diaspora africaine est importante, particulièrement les professionnels des domaines scientifiques et médicaux. L’Afrique abrite seulement 1,3 % des professionnels de la santé, alors qu’elle porte à elle seule 25% de la charge mondiale de maladies. Beaucoup de médecins et chercheurs africains vivent en effet à l’étranger, ce qui renforce ce phénomène de déséquilibre entre les pays. A titre d’exemple, au Kenya, plus de 15 000 personnes sont mortes du cancer en 2015 selon le ministère de la santé, alors que l’on ne compte dans le pays que 9 experts en radiothérapie et oncologie et 128 experts en radiologie. Le nombre de médecins est très bas, avec seulement 1 médecin pour 10 000 habitants dans certaines zones du pays. A titre de comparaison, la France en compte 34 pour 10 000 habitants.
 
En plus d’une pénurie de ressources humaines en santé, les chercheurs et les professionnels de santé africains qui exercent à l’étranger ne sont pas identifiables auprès de leurs homologues travaillant en Afrique. Il y a peu de liens entre la diaspora et les ressources humaines locales. La production scientifique africaine à l’échelle mondiale, estimée à 2,6 %, pourrait être revalorisée en multipliant les échanges et connexions entre les experts. Cette fuite des cerveaux pose un problème, tant du point de vue de l’avancée de la recherche que de l’expertise que ces professionnels pourraient apporter à leur pays d’origine en conseillant les gouvernements sur les politiques de santé à mener. 
 
Il est néanmoins clair que les ressources existent maintenant en Afrique pour que les projets y soient conçus et gérés par des experts africains. Il est donc crucial de redéfinir le rôle des experts occidentaux dans ce nouveau contexte.

Une stratégie de long terme pour bâtir des systèmes de santé pérennes

L’absence d’infrastructures pérennes, qu’elles soient financières, sanitaires ou informatiques, constitue un frein à la mise en place d’une vraie stratégie de santé publique en Afrique. La plupart des pays africains n’ont toujours pas atteint les objectifs fixés dans la Déclaration d’Abuja (2001), dans laquelle les gouvernements se sont mis d’accord sur l’allocation de 15 % de leur budget national à la santé.
 
Au Kenya, 9ème pays plus riche d’Afrique (1 455 $USD par habitant), le niveau de couverture universelle n’est que de 20 % et la part du PIB destinée aux dépenses de santé ne dépasse pas les 4,48 %. A l’inverse, d’autres pays d’Afrique comme le Rwanda, 33ème pays d’Afrique (sur 54) en termes de PIB (703 $USD par habitant), ont su mettre en place un système de soins accessible grâce à des politiques publiques efficaces. Le pays consacre plus de 8,62 % de son PIB aux dépenses de santé et aujourd’hui, près de 90 % des citoyens bénéficient de la couverture de santé universelle.
 
Un des principaux obstacles au déploiement de la Couverture Santé Universelle en Afrique est certes l’absence de moyens financiers, mais également les inégalités d’accès aux structures de soins. Selon la Banque mondiale, 400 millions de personnes dans le monde n’ont pas accès aux services de santé les plus élémentaires. Comment réduire de tels écarts dans des pays qui manquent de moyens afin de développer l’offre de soins à destination des populations les plus enclavées ?

Les NTIC : une opportunité pour les systèmes de santé africains

Le numérique et l’intelligence artificielle permettent de déployer des solutions efficaces et peu onéreuses pour lutter contre les disparités d’accès aux soins médicaux. En parallèle, le nombre d’abonnés africains à la téléphonie mobile a augmenté de 70 % depuis 2010, et 80 % du territoire habité est désormais couvert par les réseaux de téléphonie portable. Ainsi, de nombreuses solutions mobiles en santé se développent. Par exemple, l’application Ubenwa (Nigeria) vise à prévenir l’asphyxie des nouveaux-nés (900 000 décès chaque année selon l’OMS) grâce à l’intelligence artificielle. Sur un continent où la majorité des naissances ne se font pas dans un environnement médicalisé, cette application, dont l’efficacité clinique n’a pas encore été vérifiée, permet d’alerter les personnes présentes lors de l’accouchement en cas de problème. Grâce à un smartphone, les sons émis par un nourrisson sont analysés à partir d’une base de données de 1 300 pleurs. Ces pleurs, préalablement enregistrés, correspondent tous à un symptôme particulier. Une autre application, Vula (Afrique du Sud), s’appuie elle sur la télé-consultation pour permettre aux spécialistes et aux personnels paramédicaux exerçant dans les zones reculées de transmettre des photos de patients à des confrères et d’échanger en ligne avec un spécialiste. Initialement conçue pour les ophtalmologues, l’application est désormais utilisée dans d’autres spécialités. L’objectif est double : former les para-médicaux et aider les praticiens dans leur diagnostic tout en constituant une base de données importante.
 
La collecte de données est un élément clé pour proposer des solutions ciblées. En 2014, en pleine crise Ebola, le Nigeria a eu recours à l’application eHealth afin de faire remonter rapidement les informations sur des nouveaux cas. Le temps de recensement a été réduit de 75 %, participant ainsi à la mise en place d’une réponse sanitaire ciblée géographiquement, et à l’éradication du virus au Nigeria.
 
Les NTIC, par leur utilisation massive et leur présence dans les zones reculées, permettront d’apporter une meilleure réponse aux épidémies. Elles aideront aussi à accompagner les patients et les professionnels de santé au quotidien, afin d’améliorer la prise en charge et la prévention, dans un contexte où les ressources sont limitées.

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