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06/07/2021

Revue de presse internationale #22 : Élection présidentielle en Iran : quelles conséquences au Moyen-Orient ?

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Revue de presse internationale #22 : Élection présidentielle en Iran : quelles conséquences au Moyen-Orient ?
 Bernard Chappedelaine
Auteur
Ancien conseiller des Affaires étrangères

Chaque semaine, l’Institut Montaigne propose sa revue de presse internationale avec son chroniqueur Bernard Chappedelaine, ancien conseiller des Affaires étrangères au Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, qui scrute le traitement par les experts et les médias internationaux de l’actualité géopolitique mondiale. Cette semaine, il s'intéresse aux conséquences des résultats du scrutin de l'élection présidentielle en Iran pour la région. 

L’élection du conservateur Ebrahim Raïssi n’annonce pas de bouleversement de la politique régionale de Téhéran - l’amorce de dialogue avec Riyad devrait se poursuivre - mais, plus que jamais, cette politique est au cœur de la stratégie d’influence d’un régime, très réticent à se prêter sur cette question à une discussion avec les Occidentaux. 

Faut-il s’attendre à un durcissement en politique étrangère ?

L'élection contestée (exclusion du camp réformateur de la compétition, forte abstention) d'Ebrahim Raïssi, incarnation de l’aile dure du régime, à la présidence de l'Iran conduit certains analystes à considérer que, dans la région, aucun changement n’est à attendre du successeur de Hassan Rouhani. Interrogé par Gulfnews, Alex Vatanka, expert du Middle East Institute, estime que "Raïssi n'a rien à proposer au plan régional. Cela n'est pas son terrain. Il se contentera de promouvoir la vision de l'ayatollah Khamenei et des gardiens de la révolution". Karim Sadjadpour, chercheur de la Carnegie, juge que la perspective d'une "région plus stable, tolérante et prospère demeure un rêve lointain". 

La crainte d'une déstabilisation du régime provoquée par la réintégration de l'Iran dans l'économie mondiale fait que Khamenei et les tenants d'une ligne conservatrice veulent maintenir le pays à l'écart de l'influence occidentale, affirme Juan Cole, professeur à l'Université de Michigan. La présidence Raïssi sera marquée, selon Sanam Vakil, chercheur à Chatham House, par une "résistance anti-américaine, un nationalisme économique et une répression interne, ponctués par des moments de pragmatisme", ainsi que par un resserrement des liens avec la Chine, symbolisé par la signature récente d'un accord de partenariat de 25 ans. Vladimir Sajine s'attend aussi à ce que l'Asie, en premier lieu la Chine, devienne prioritaire dans la politique iranienne. 

Les négociations de Vienne sur le programme nucléaire (JCPoA) offrent à l'Occident la seule possibilité de rendre l'Iran prévisible, l’alternative étant l'action militaire, avertit Nikita Smaguine, autre expert russe, du centre Carnegie. "Nous comprenons les raisons pour lesquelles J. Biden cherche à revenir à l'accord nucléaire (JCPoA), mais nous sommes convaincus que limiter le programme nucléaire iranien est insuffisant", affirment pour leur part James Jeffrey et Denis Ross. Les sanctions levées, le régime iranien disposera de plus de ressources pour ses actions déstabilisatrices, s’inquiètent ces deux vétérans de la diplomatie américaine. Le Guide voudra montrer que le retour au JCPoA ne signifie pas l’abandon de "l'idéologie de la résistance", aussi doit-on s'attendre, d'après eux, à une "expansion iranienne au Yémen, en Irak, en Syrie et au Liban, et à des menaces contre les pays voisins". 

La diplomatie de Téhéran va-t-elle gagner en cohérence ?

"La concentration de tous les pouvoirs dans les mains des conservateurs ne signifie pas automatiquement une radicalisation de la politique étrangère iranienne", estime Nikita Smaguine. "L'élite iranienne actuelle est d'abord pragmatique", fait-il valoir, son objectif principal est la sécurité d’un pays confronté à l'hostilité des États-Unis et des États de la région. Le programme nucléaire et balistique, le soutien aux groupes armés sont pour Téhéran des moyens de défense, estime le chercheur russe. 

Les négociations de Vienne sur le programme nucléaire (JCPoA) offrent à l'Occident la seule possibilité de rendre l'Iran prévisible, l’alternative étant l'action militaire.

"Il a toujours été plus facile pour l'aile intransigeante de prendre des décisions délicates", remarque Gulfnews, argument développé par les commentateurs proches du régime. "Certains jugent qu'Ebrahim Raïssi (…) éprouvera des difficultés dans ses relations avec la communauté internationale. L'inverse est vrai, du moins avec certains voisins de l'Iran qui, longtemps, se sont plaints que le Président Rouhani n'avait pas assez de pouvoir pour rétablir les relations avec eux", affirme Irannews. "Partageant les convictions des autres lieux du pouvoir iranien, le nouveau Président disposera d'une plus grande autonomie de décision", estime Hossein Mousavian, ancien négociateur du JCPoA. 

"La politique intérieure et étrangère va globalement rester la même", affirme l'analyste iranien Mahan Abedin. Ce qui va changer, d'après lui, c'est que le régime "sera plus sûr de lui pour affirmer ses vues, valeurs et intérêts sur la scène internationale".

Il ne faut pas s'attendre à des changements radicaux, pronostique Hamidreza Azizi, expert au German Institute for International and Security Affairs (SWP). La politique régionale de Hassan Rouhani a été marquée par des dissensions entre l’appareil diplomatique et la fraction radicale, notamment les gardiens de la révolution. Le ministre des Affaires étrangères Mohammad Zarif avait proposé un système de sécurité régionale, baptisé HOPE ("Hormuz Peace Endeavor"), il s'est heurté à une aile "réaliste" qui, sans exclure le dialogue, mise avant tout sur le hard power pour assurer la sécurité du pays. L'assaut donné à l'ambassade saoudienne à Téhéran en 2016, puis le retrait des États-Unis du JCPoA, ont affaibli la position des modérés, Mohammad Zarif a exprimé ses frustrations dans un entretien rendu public en avril dernier, rappelle le chercheur de la SWP. 

Les premières déclarations d'Ebrahim Raïssi réaffirment les axes de la politique régionale 

Le nouveau Président est un tenant de l’approche réaliste, attaché à la politique régionale comme levier d'influence, on peut dorénavant s'attendre à une convergence entre le ministère des Affaires étrangères, déjà cantonné à la mise en œuvre de la politique extérieure, et les autres instances, comme les gardiens de la révolution et Conseil de sécurité nationale, à l'initiative de la reprise du dialogue avec Riyadh, rappelle Hamidreza Azizi. Concrètement, d’après nombre d’experts, Téhéran devrait poursuivre son appui à Bachar al-Assad et à ses alliés ("proxies") dans la région, ainsi que le dialogue avec l'Arabie saoudite, mais refuser de compléter le JCPoA par un accord sur la dimension régionale, comme le demandent les Occidentaux. 

"Des décennies durant, l'Iran a construit ces relations, la plupart avec la force al-Qods commandée par le Gal Soleimani", rappelle Newsweek, cette stratégie de l’Iran, fondée sur les drones, les missiles et "l'axe de résistance" afin d’assurer sa "défense avancée" suscite de fortes inquiétudes tant en Israël qu'aux États-Unis et a un coût élevé. L’hebdomadaire se veut optimiste, estimant que, "même si les missiles et l'axe de résistance, composantes de la diplomatie, ne sont pas négociables", une baisse des tensions dans la région, consécutive à un accord sur le programme nucléaire, pourrait conduire le gouvernement iranien et la force al-Qods à investir plus le terrain économique au détriment de la dimension militaire. 

Une baisse des tensions dans la région, consécutive à un accord sur le programme nucléaire, pourrait conduire le gouvernement iranien et la force al-Qods à investir plus le terrain économique au détriment de la dimension militaire.  

Dans ses premières déclarations, Ebrahim Raïssi a fait part de sa volonté de l'Iran de coopérer avec tous les pays, en particulier ses voisins, il a appelé les États-Unis à respecter leurs engagements et exclu toute remise en cause du programme balistique iranien et du soutien de Téhéran aux milices chiites du Moyen-Orient, relève le site al-Monitor. Cette prise de position douche les espoirs de l'administration Biden de prolonger les négociations de Vienne sur le JCPoA par des discussions sur l'influence régionale de l'Iran. "L'élection de Raïssi signifie la poursuite du soutien iranien aux acteurs non-étatiques de la région, comme le Hamas, le Jihad islamique palestinien, les Houthis au Yémen, les unités de mobilisation populaires en Irak et le Hezbollah au Liban", conclut Gulfnews

Le dialogue entamé entre Riyad et Téhéran devrait se poursuivre

Ebrahim Raïssi a reçu des messages de félicitations de tous ses voisins, à l'exception de l'Arabie saoudite, note Newsweek. Il s'est néanmoins voulu optimiste sur le dialogue avec Riyadh, soulignant que, "du côté de la république islamique, il n'y avait aucun obstacle à la réouverture des ambassades et à la reprise des relations". Les discussions ont été initiées par les deux parties elles-mêmes sans pression de l'extérieur, ce qui augmente leurs chances de succès, selon Gulfnews. L'illusion d'un renversement du régime de Téhéran s'est estompée, Riyadh mise sur une coexistence avec l'Iran, en proie à de grandes difficultés économiques, de nombreux contentieux séparent néanmoins les deux capitales, le Yémen étant le plus pressant, souligne Newsweek. Raïssi a appelé les Saoudiens à y cesser leur intervention, rapporte al-Monitor. Le Yémen n'a jamais été prioritaire pour l'Iran, comme il peut l'être pour l'Arabie saoudite, Téhéran a utilisé les Houthis pour accentuer la pression sur Riyadh et, en contrepartie du retrait de son soutien, attend des concessions ailleurs, au Liban par exemple sous la forme d'un nouveau partage du pouvoir, avance Gulfnews.  

Au cœur de luttes d'influence, l'Irak tente de retrouver des marges de manœuvre

En visite en Irak en février, Ebrahim Raïssi avait souligné qu'il "n'y avait pas de pays plus proche de nous que l'Irak", étroitement lié à l'Iran sur les plans économique, politique (Alliance Fatah au parlement) et militaire (milices chiites), note Juan Cole. L'Irak est aussi un terrain d'affrontement entre l'Iran et Washington, l'aviation US vient d'effectuer des frappes visant des milices pro-iraniennes à la frontière avec la Syrie en représailles à des attaques contre les forces américaines en Irak. C'est près de l'aéroport de Bagdad que le général Soleimani a été tué par un drone US, rappelle la FAZ, qui cite l'opinion de "diplomates" selon lesquels l'influence de son successeur sur les différents groupes chiites pro-iraniens est moindre. Après les manifestations anti-iraniennes de 2019 et la disparition de Qassem Soleimani en 2020, les dirigeants iraniens ont vu leur influence diminuer en Irak, analyse le National Interest

Après les manifestations anti-iraniennes de 2019 et la disparition de Qassem Soleimani en 2020, les dirigeants iraniens ont vu leur influence diminuer en Irak.

Depuis son arrivée à la tête du gouvernement irakien, il y a un an, Mustafa al-Kadhimi tente de préserver un équilibre entre ses voisins, remarque la revue. Dans ses efforts pour contrebalancer le poids de l'Iran, il bénéficie du soutien de l'influent dignitaire chiite Moqtada al-Sadr et des États du Golfe, soulignent Mehmet Alaca et Hamdullah Baycar pour le LSE Middle East Centre. Téhéran est aussi préoccupé par l'affirmation de la présence en Irak de la Turquie, dont les exportations en 2019 étaient supérieures à celles de l'Iran et dont les entreprises ont investi 25 Mds $ dans le secteur énergétique et dans les infrastructures irakiennes.

La pérennisation de la présence militaire turque dans le Sinjar sous couvert d'opérations anti-PKK inquiète Téhéran qui, selon le journal turc Sabah, voit dans la normalisation des relations d’Ankara avec l'Égypte, l'Arabie saoudite et les Émirats une stratégie pour contrer l'Iran. 

Téhéran maintient son appui à Bachar al-Assad mais se heurte à la présence turque

Historiquement, l'Iran et la Turquie, les deux puissances non-arabes de la région, se sont efforcées de délimiter leurs zones d'influence pour éviter les frictions et une rivalité directe mais, en Irak et en Syrie, leurs intérêts à long terme sont fondamentalement conflictuels, analyse le National Interest. Entre Ankara et Téhéran, une escalade est possible, en février 2020 les deux pays ont été au bord de la confrontation à Idlib, quand les milices chiites soutenues par Téhéran ont été envoyées dans le nord-ouest pour affronter les groupes armés soutenus par Ankara. Bachar al-Assad a été le premier dirigeant à féliciter Ebrahim Raïssi après son élection. L'Iran va continuer à promouvoir son agenda en Syrie, aider Damas à recouvrer le contrôle de tout son territoire et à obtenir le départ des forces étrangères, en particulier des troupes américaines de l'est du pays, souligne Mahan Abedin. 

Au terme d'une longue étude publiée par la SWP, Guido Steinberg estime que la progression de Téhéran dans son voisinage a atteint ses limites en 2018. L'influence iranienne revêt essentiellement une dimension militaire, incapable de garantir la stabilité politique et économique des États sous son emprise, Syrie et Liban notamment. En Irak, le premier ministre Kadhimi n'a pu réduire la mainmise des milices chiites, au Yémen, les Houthis ne sont pas en mesure de conquérir le sud du pays, observe le chercheur. Tout laisse penser, affirme Guido Steinberg, que la politique étrangère de l'Iran va devenir rapidement un sujet de discussion, soit comme composante de négociations, soit comme problème que les Européens vont devoir traiter autrement.

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