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27/04/2021

Reconstruire le système de santé quoi qu’il en coûte ?

Reconstruire le système de santé quoi qu’il en coûte ?
 Angèle Malâtre-Lansac
Auteur
Ancienne directrice déléguée à la Santé
 Laure Millet
Auteur
Experte Associée - Santé

Le Ségur de la santé, consultation historique entre le gouvernement et les acteurs du système de soins qui s’est déroulée du 25 mai au 10 juillet 2020, a suscité de nombreuses attentes après une première vague épidémique qui avait fortement éprouvé les soignants. Cette concertation portait sur quatre piliers que nous avions analysé dans un précédent article : transformer les métiers et revaloriser ceux qui soignent, définir une nouvelle politique d’investissement et de financement au service des soins, simplifier radicalement les organisations et le quotidien des équipes et fédérer les acteurs de la santé dans les territoires.

Ségur de la Santé : un accord à 30 milliards d’euros 

Le 10 juillet dernier, le premier ministre Jean Castex, le ministre de la santé Olivier Véran et les syndicats de professionnels sont parvenus à s'entendre sur le premier volet concernant les carrières, les métiers et les rémunérations. 8,25 milliards d'euros seront débloqués chaque année pour revaloriser les salaires et renforcer l’attractivité des métiers. La quasi-totalité de cette enveloppe (7,6 milliards d’euros) ira vers les personnels paramédicaux (infirmiers, aides-soignants, etc.) de l'hôpital public comme privé, et autres personnels non médicaux (agents techniques, administratifs, etc.). Les médecins hospitaliers du secteur public percevront 450 millions, et les internes et étudiants en médecine se partageront les 200 millions d’euros restants. 

Le deuxième volet de l’accord, dédié à la transformation du système de soins, prévoit 19,3 milliards d’euros pour le secteur hospitalier et le médico-social. 9 milliards d’euros, étalés sur 10 ans, seront dédiés au financement direct de nouveaux investissements dans les établissements de santé et en ville. 6,5 milliards d’euros, également mobilisés sur 10 ans, seront dédiés au désendettement des établissements de santé assurant le service public hospitalier. Enfin, 2 milliards d'euros seront directement consacrés au numérique à travers la modernisation, l’interopérabilité, la réversibilité, la convergence et la sécurité des systèmes d’information en santé et dans le médico-social. 
 
Cet effort considérable intervient alors que la situation financière de la sécurité sociale, et surtout de la branche maladie, s’est considérablement dégradée avec un solde à -38,6 milliards d’euros (en dégradation de plus de 36 milliards d’euros par rapport à 2019). Ce déficit est le plus élevé jamais enregistré dans l’histoire de la sécurité sociale. Il n’est donc pas difficile d’imaginer que ces efforts financiers ne seront pas de nouveau possible avant longtemps, surtout dans un hypothétique monde post-pandémie dans lequel la santé ne pèsera pas aussi lourd dans le débat public qu’aujourd’hui. 

La dissonance entre les capacités financières limitées du gouvernement et les attentes des soignants serait donc probablement amené à s’aggraver. 

Si l’effort financier consenti par le gouvernement lors du Ségur de la santé est historique, il a cependant été jugé insuffisant par plusieurs syndicats de médecins, qui avaient appelé à la grève nationale à l’issue de la conférence en juillet 2020. Effectivement, la forte insatisfaction des professionnels de santé et l’inquiétude des Français vis-à-vis du système de soin ne semblent pas avoir été remis en cause par les promesses du Ségur. Le problème de la dissonance entre les capacités financières limitées du gouvernement et les attentes des soignants serait donc probablement amené à s’aggraver. 

Repenser la régulation du système de santé

Pour faire face à ces défis, la maîtrise budgétaire du système de santé doit changer de logiciel. L’Objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM), qui fut initialement conçu pour maîtriser les dépenses de l’Assurance maladie, s’il s’est montré efficace dans une certaine mesure, a fait la preuve de sa trop grande rigidité et de son caractère court termiste. Il devrait être remplacé par un outil pluriannuel qui prendrait en compte la dimension de l’investissement et du retour sur investissement, notamment dans le champ de la prévention et des innovations thérapeutiques. 

Dans sa note "Filière santé : gagnons la course à l'innovation", l’Institut Montaigne prônait deux types de mesures : 

  • intégrer les dépenses de prévention dans les objectifs de l’Assurance maladie afin que son rôle ne se limite pas à celui de payeur aveugle mais revête une véritable dimension de santé publique. Ainsi, un mode de fonctionnement comme celui du Fonds de lutte contre les addictions créé au sein de la Caisse nationale d’Assurance maladie pourrait être généralisé à d’autres enjeux de prévention, en lien avec les priorités de santé publique définies dans la loi de programmation pluriannuelle de la santé ;
  • remplacer l’ONDAM par un "ONDAS" pluriannuel (Objectif National de Dépenses d’Assurance Santé), qui serait composé de sous-objectifs transversaux à plusieurs secteurs (fongibilité des enveloppes) afin de donner une vision décloisonnée des gains d’efficience possibles, une dépense dans un secteur pouvant conduire à des économies dans un autre. Il pourrait être fixé par le vote d’une loi de programmation pluriannuelle de la santé sur la durée du quinquennat (5 ans), dont les hypothèses de construction devront être étayées et s’appuyer sur une analyse prospective des dépenses de santé, de leur évolution et un horizon scanning des innovations à venir.

Engager (enfin) le chantier de la pertinence des soins

Le système de santé de demain ne pourra répondre aux besoins des futures générations, patients comme soignants, que s’il est construit de manière ambitieuse, prévoyante et impliquant l’ensemble des parties prenantes. 

Pour ce faire, il faut reprendre de toute urgence le chantier de la pertinence et de la qualité des soins, qui doit redonner du sens aux équipes soignantes. Cela passe par la définition, la production et la publication d’indicateurs de résultats, ainsi qu’une réforme de notre système de tarification qui prend en compte les dimensions de qualité et de coordination des soins. Dans un précédent rapport sur le sujet intitulé "Système de santé, soyez consultés !", l’Institut Montaigne avait analysé que 96 % des patients étaient prêts à répondre à des questionnaires d’évaluation pour améliorer la qualité des soins et rendre le système plus transparent.

Il est nécessaire de mesurer et d’évaluer la prise en charge pour une pathologie donnée ainsi que les bonnes pratiques médicales menées par un établissement ou par un professionnel de santé.

En effet, encore aujourd’hui, 59 % des patients estiment qu’il est difficile de choisir un spécialiste ou un généraliste pour une consultation. Pour aider les patients à choisir un établissement de santé en fonction de leurs attentes, il est nécessaire de mesurer et d’évaluer la prise en charge pour une pathologie donnée ainsi que les bonnes pratiques médicales menées par un établissement ou par un professionnel de santé. Les indicateurs de qualité sont des outils pertinents pour remplir cet objectif et rendre accessible aux citoyens français l’information dont ils ont besoin. Pour les soignants, c’est un outil permettant de se comparer, d’interroger leur pratique et donc de s’améliorer, en plus des recommandations médicales actuelles.

Faire le pari de la numérisation et des territoires

Ensuite, il faut engager un effort massif dans la numérisation de notre système de santé. Dans son rapport "E-santé : augmentons la dose !", l’Institut Montaigne préconise de prioriser et d’investir dans les systèmes d’information en santé et le développement de la e-santé, afin d’aligner les montants investis sur ceux des pays les plus avancés. En effet, les gains d’efficience potentiellement réalisables par le déploiement de la e-santé sont massifs : 16 à 22 milliards d’euros pourraient être dégagés chaque année sur 5 axes majeurs que sont la télémédecine, l’automatisation des processus comme la pré-admission ou la logistique, les outils de coordination entre professionnels avec notamment les messageries instantanées et sécurisées, les logiciels d’aide à la décision et à la prescription ou encore les outils de suivi à distance des patients. Investir dans la e-santé, c’est redonner du potentiel de création de valeur aux professionnels mais également aux patients, qui deviennent de plus en plus acteurs de leur santé. 

Enfin, les décideurs nationaux doivent faire le pari des territoires en choisissant une approche et un circuit des prises de décisions qui partent des besoins du terrain et s’appuient sur les écosystèmes locaux d’innovation. La crise l’a montré, les collaborations entre les secteurs publics et privés n’auraient pu se mettre en place aussi efficacement et aussi rapidement si les décisions n’avaient pas été prises au niveau local, par des professionnels qui connaissent la réalité du terrain et leurs patients. Cet échelon territorial, c’est aussi la clé pour redonner confiance aux acteurs envers les politiques nationales et vice versa. Nos dirigeants doivent considérer les parties prenantes locales comme des partenaires de confiance. L’exemple de la campagne de vaccination a montré que pour réussir une stratégie nationale d’une telle ampleur, il était essentiel de faire de cette campagne vaccinale une aventure collective où l’ensemble des acteurs et des citoyens devait pouvoir se sentir écouté et impliqué.

 

 

Copyright : Thomas SAMSON / AFP

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