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22/05/2018

Quelle réforme pour lutter contre l'échec scolaire ?

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Quelle réforme pour lutter contre l'échec scolaire ?

L’Institut Montaigne et le cabinet Roland Berger se sont intéressés, pendant plusieurs semaines, à la méthode de la réforme de l’action publique. L’élection présidentielle de 2017 a représenté un choix très clair, celui de la nécessité d’adapter la France au monde d’aujourd’hui. Pour autant, la volonté d’agir ne suffit pas : dans un contexte plus que favorable à la réforme, il est indispensable d’en définir de manière très précise et en amont la méthode, afin de sortir la France des blocages et des résistances qui favorisent l’immobilisme. A ce titre, l’Institut Montaigne et le cabinet Roland Berger ont coproduit une série d’analyses visant à mieux comprendre, mieux anticiper et in fine faciliter la réforme de l’action publique dans notre pays.
 
La complexité du système éducatif rend d’emblée problématique toute approche “radicale”. Ainsi, une conviction s'est installée dans l'opinion comme parmi les décideurs publics : nulle mesure ne peut conduire à des résultats immédiats, en lien avec un temps d’appropriation et de mise en œuvre conséquent. Pourtant des exemples contraires existent. Quelles sont les clés du succès pour lutter contre l’échec scolaire ?
 
L'école est la maison-mère du capital humain. "Si le temps moyen que chaque personne consacre à l'éducation augmente d'un an, le produit économique du pays devrait augmenter, sur le long terme, dans une fourchette comprise entre 4 et 6 %", explique l'OCDE. Dès lors, lutter contre l'échec scolaire dès les premiers âges de la vie est une priorité. Si le nombre d'élèves sans diplôme au terme de leur formation initiale a diminué entre 2010 et 2016, passant de 140 000 à 98 000 élèves, le décrochage scolaire demeure un phénomène de masse.  
 
L’échec scolaire est aussi le résultat d’une allocation insuffisante de moyens au cycle primaire : la dépense moyenne pour un élève du premier degré en France est toujours deux fois inférieure à celle pour un élève du supérieur (6 190€ vs 11 680€ en 2015). Ce choix va à rebours des autres pays de l’OCDE qui ont fait du primaire leur priorité en raison d'un "retour sur l'investissement plus important", selon la courbe de l’économiste James Heckman, dont les travaux ont été récompensés d’un prix Nobel en 2000 :

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Les choix publics de nos gouvernements successifs ont conduit à une dégradation incontestable des performances et de l’équité de notre système éducatif, au point de devenir le plus inéquitable de tous ceux des pays de l’OCDE. Ce constat, même s'il doit être nuancé en raison de débats méthodologiques, interpelle. Comment fixer les priorités de tout nouveau gouvernement souhaitant s’attaquer à cet enjeu ? Comment s’assurer que les politiques décidées atteindront bien leur objectif au moment de leur mise en oeuvre ?

1. Les prérequis : éviter le levier législatif et s'appuyer sur l'échelon régional

Pour réussir une réforme du système éducatif, deux prérequis semblent indispensables : d'abord, opter pour une approche pragmatique, sans recours à une nouvelle loi, afin d’éviter autant que possible les jeux de posture et les crispations politiques ; ensuite, agir au niveau régional, plus proche du terrain et à même de rassembler toutes les parties prenantes à la réussite d'une réforme.
 
Eviter la loi, tous les ingrédients existent déjà !
 
C’est indiscutablement la voie que le gouvernement a retenu, ce qui ne fut pas le cas du quinquennat précédent. En effet, la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’Ecole de la République votée en 2013 exposait trois grands défis de notre système scolaire : donner la priorité au primaire, former les enseignants et allouer les ressources à ceux qui ont plus besoin, sans résultat convaincant. Toute nouvelle loi provoquerait donc des crispations inutiles, puisque les ingrédients pour une refonte efficace du système éducatifs sont d'ores-et-déjà dans les mains des pouvoirs publics.
 
La question se focalise alors sur la méthode du changement et l'association des parties prenantes aux réflexions : enseignants, directeurs d'établissement, cadres intermédiaires, organisation syndicales, collectivités locales et parents d'élèves. Ces derniers expriment une réelle défiance à l'encontre du système éducatif alors que leur investissement est crucial dans le parcours de suivi de l'enfant. La représentativité des fédérations de parents est défaillante. Dès lors, comment impliquer davantage les familles les plus éloignées de notre système éducatif ?
 
S'appuyer sur l'échelon régional
 
La région peut jouer un rôle central dans la réorganisation du système éducatif car elle concentre à la fois les moyens et les capacités d'évaluation. L'éducation est de fait une compétence partagée entre l'Etat et les collectivités territoriales, dont le poids s'est accru depuis 1980, puisqu'elles représentent par exemple 36,2 % du financement initial pour le premier degré.
 
La redéfinition des compétences aurait pu s'opérer avec les nouvelles régions issues de la loi NOTRe votée en 2015, mais les divergences d'approches des territoires ont abouti à une carte scolaire de 17 académies au 1er janvier 2016, et ont créé in fine un échelon supplémentaire alors qu'il aurait été opportun d'aligner le nombre de rectorats sur les 13 nouvelles régions françaises.
 
C'est un acte manqué. La région académique constitue "l’échelon de mise en cohérence des politiques éducatives régionales en particulier pour les questions requérant une coordination avec la région ou le préfet de région", selon le ministère, parmi lesquelles la lutte contre le décrochage scolaire.
 
Les collectivités territoriales ont désormais la possibilité d’être intégrées dans un contrat tripartite avec l’Etat (via les autorités académiques) et les établissements publics locaux d’enseignement (EPLE). Ces trois entités pourraient contribuer au pilotage du système éducatif, car plus proches des enjeux concrets et du terrain, et plus en capacité à impliquer les différentes parties-prenantes, notamment les parents.

2. Quelques clés du succès

L'allocation des ressources
 
L'allocation disparate des ressources est l'une des causes principales des inégalités inscrites désormais au coeur de notre système éducatif et doit faire l'objet d'une réorientation à destination du cycle primaire et de l'éducation prioritaire. C’est par exemple le cas de la politique de dédoublement des classes de CP et de CE1 en REP et en REP+. Elle est déterminée selon la pertinence des projets pédagogiques construits et évalués afin d'en tirer un maximum de bénéfice. Cette identification des priorités requiert une consultation à grande échelle de l'ensemble des acteurs publics afin d'allouer les ressources à bon escient. Il en va de même des investissements digitaux, la France doit-elle privilégier des politiques d’équipements parfois périmées car aucune ne débouche plus sur la création d’une filière industrielle domestique ? Comment orienter plutôt nos investissements dans le champ du software, permettant l’émergence de clusters recherches-industrie-écosystème territoriaux ? 
 
Faire évoluer l'organisation collective du travail
 
Afin d'optimiser les moyens engagés, la définition des projets éducatifs doit résulter d'une démarche entre les différents acteurs, selon des étapes à la fois indépendantes et complémentaires :

  • La dichotomie existante entre les deux inspections académiques – l'IGEN et l'IGAENR – empêche une synergie dans l'articulation de leurs missions respectives : l’IGAENR est structurée thématiquement, tandis que l’IGEN a pour mission de protéger les disciplines ; l’IGAENR est focalisée sur les questions d’enseignement supérieur et de recherche tandis que l’IGEN traite des questions scolaires, etc. Leur rapprochement irait dans le sens d’un continuum déjà fortement engagé via la création du dispositif BAC-3 / BAC+3 ;
  • Systématiser un contrat tripartite entre l'Etat, les collectivités et les EPLE, serait l'opportunité d'installer un véritable outil de dialogue stratégique et permettrait de laisser davantage de marge de manœuvre aux équipes pédagogiques tout en reconnaissant la part importante donnée aux collectivités territoriale dans les dépenses d'éducation.

Néanmoins, l'Education nationale reste très centralisatrice dans son approche, en raison d'une volonté d'homogénéité, garante de l'égalité des chances. Cette approche, louable et historiquement fondée, pourrait être assouplie pour laisser sa place à davantage de flexibilité et d'adaptation aux conditions locales.
 
La formation initiale et continue
 
Formations initiale et continue sont indissociables pour le bon fonctionnement du système éducatif. La formation des enseignants doit faire davantage l'objet d'un suivi tout au long de leur carrière, à l'image des pays anglo-saxons, où ils sont accompagnés, épaulés, pilotés et évalués à la fois par des inspections mais aussi, et de manière nettement plus fréquente par les supérieurs immédiats.
 
Si 90 % des enseignants français s'estiment bien ou très bien préparés pour inculquer le savoir de leur matière (enquête TALIS 2013), seuls 40 % d'entre eux se sentent suffisamment armés sur le volet pédagogique, soit la proportion la plus élevée des 34 pays participant à l’enquête. En moyenne, dans ces pays, environ 88 % des enseignants déclarent avoir suivi une activité de formation continue au cours des 12 derniers mois. En France, la proportion est significativement inférieure (76 %). De plus, les formations des personnels de direction et des inspecteurs sont déconnectées du projet éducatif et ne sont plus adaptées à leurs responsabilités croissantes. Au contraire, elles doivent être intégrées à l’écosystème global et participer à la réflexion collective. 
 
L'articulation entre une formation initiale de qualité et une formation continue plus réactive et capable de consolider les capacités tout au long de la carrière permettent de renforcer la qualité des projets éducatifs dans une optique de co-construction entre les enseignants, l'encadrement, les inspecteurs, mais aussi les collectivités locales.  
 
L'évaluation, un atout autant qu'une nécessité  
 
Cette nouvelle approche de la formation nécessite de revoir les outils d'évaluation actuels afin de s'assurer du bon usage des moyens mobilisés. Depuis la Loi de modernisation de l'économie, promulguée en 2008, chaque enseignant devrait bénéficier d'un entretien annuel de formation, alors que nous estimons aujourd'hui qu'il a lieu tous les à 7 ans !
 
La reconnaissance des individus et de leurs compétences doit concourir à l'évaluation du système éducatif. Celle-ci oblige à un suivi régulier alors qu'aujourd'hui seules les carrières au sein de l'éducation prioritaire sont, à raison, reconnues et accélérées, tandis que le reste de la progression des enseignants relève uniquement de l'ancienneté.
 
Néanmoins, l’évaluation se place aussi au niveau collectif. L’établissement scolaire est en effet une entité collective avec pour objectif la réussite de tous et il convient de l’évaluer comme tel. Une approche globale des travaux d’un établissement pourrait ainsi être établie régulièrement, avec pour visée la reconnaissance de la valeur ajoutée engendrées par ces réalisations éducatives et pédagogiques.
 
Quelle volonté des acteurs ?
 
La question de la volonté de changement des acteurs est essentielle dans la méthode de la réforme de l'Education. La création du "Conseil école-collège" avec la loi sur la refondation de l’Ecole de 2013 n'a pas suscité d'adhésion, faute de volonté ou de connaissance de ces nouvelles instances, qui visent à réunir les personnels concernés afin de faciliter l'articulation entre le primaire et le secondaire. Les nouveaux cycles de trois ans (CP-CE2, CMA-6ème, 5ème-3ème), élaborés par le Conseil supérieur des programmes en 2015, font l’objet de programmes "circulaires", sur le modèle des systèmes éducatifs scandinaves. 
 
L’une des raisons de cet acte manqué réside dans le manque d’information et de pédagogie autour de ces nouveaux dispositifs. Les décideurs politiques ne communiquent pas suffisamment sur la méthode d'élaboration de ces mesures. Or, il est difficile d’instiller le changement au sein d’une administration de près d’un million de personnes sans un effort particulier porté à la communication.
 
L’évolution du système éducatif pour une disparition de l’échec scolaire doit ainsi résulter d’une réflexion collective, mise en valeur par les décideurs, et embrassée par l’ensemble des parties prenantes.
  
Nous remercions particulièrement Denis Duverne et Ali Saib, qui ont accepté de rencontrer nos équipes afin d’échanger sur ces questions. Le texte ci-dessus n’engage néanmoins que l’Institut Montaigne et Roland Berger.

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