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30/09/2021

Quel Chancelier pour l’Allemagne ? 

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Quel Chancelier pour l’Allemagne ? 
 Alexandre Robinet-Borgomano
Auteur
Expert Associé - Allemagne

Les élections au Bundestag du 26 septembre ont permis à l’Allemagne de désigner un nouveau parlement. Alexandre Robinet-Borgomano, responsable du programme Allemagne de l’Institut Montaigne, nous livre son analyse sur les forces en présence qui formeront la future coalition et désigneront le prochain Chancelier. 

Les élections au Bundestag qui se sont tenues en Allemagne dimanche 26 septembre ont confirmé la stabilité de la démocratie allemande. Les deux partis au pouvoir, le Parti social-démocrate (SPD) et l’Union chrétienne-démocrate (CDU-CSU) arrivent en tête du scrutin, avec respectivement 25,7 % et 24,1 % des voix, confirmant la volonté de l'électorat allemand d’inscrire l’avenir de la politique allemande dans le prolongement des années Merkel. Le taux de participation des dernières élections atteint 76,6 %, un niveau comparable à celui des dernières élections (76,2 % en 2017). Si le Parti social-démocrate (SPD) et l’Union chrétienne-démocrate (CDU-CSU) arrivent en tête du scrutin, avec respectivement 25,7 et 24,1 % des voix, l’issue de ce scrutin est marqué par un net recul des extrêmes : la gauche radicale Die Linke n’atteint que 4,9 % des voix, contre 8,9 % en 2017, et le parti d’extrême droite Alternative für Deutschland (AfD) accuse un léger recul, passant de 12,6 % en 2017 des voix à 10,3 % en 2021. 

Ce scrutin ne permet cependant pas de dégager une majorité claire au Parlement. La fragmentation du paysage politique et l'essoufflement du modèle de la "Grande Coalition", unissant depuis 2013 les deux principaux Volksparteien, oblige l’Allemagne à envisager pour la première fois au niveau fédéral une coalition, unissant non plus deux, mais trois partis. Dans ce contexte les Verts, qui s’imposent comme la troisième force politique du pays en récoltant 14,8 % des voix contre 8,9 % en 2017, et les Libéraux du FDP, qui voient également leur score progresser et passer de 10,7 % en 2017 à 11,5 % s’imposent incontestablement comme les "faiseurs de rois". À l'issue du scrutin, les Verts et les Libéraux ont choisi de s’entendre pour pouvoir déterminer la forme de future coalition qui portera à la Chancellerie le candidat des sociaux-démocrates, le Vice-Chancelier Olaf Scholz, ou celui des Chrétiens démocrates, le Ministre-président de Rhénanie du Nord Westphalie, Armin Laschet. La volonté des différents partis de s'accorder et dépasser leurs différences pour donner un gouvernement à l’Allemagne apparaît à bien des égards comme une leçon de démocratie. 

La victoire des Sociaux-démocrates 

Les élections au Bundestag du 26 septembre sont marquées par la renaissance de la sociale démocratie et par un affaiblissement historique de la démocratie chrétienne allemande. Au niveau fédéral, la CDU-CSU n’était jamais tombée en dessous de la barre des 30 % et son score (24,1 %) est vécu en Allemagne comme une défaite historique, qui ne doit pas masquer un effet de normalisation. Longtemps portée par la popularité d’Angela Merkel, l’Union chrétienne démocrate retrouve avec ces élections un niveau comparable à celui des partis de droite traditionnelle en Europe : en Espagne, le parti populaire a obtenu aux élections de 2019 20,8 % des voix alors qu’en France, les Républicains obtiennent en 2017 20,1 % des voix. Le résultat de ces élections révèle à la fois la nécessité et la difficulté pour la CDU-CSU de construire "l’après-Merkel".

Les défaites personnelles des proches d’Angela Merkel qui ne sont pas parvenus à l’emporter dans leur circonscription - le Ministre de l’économie Peter Altmaier, la Ministre de la défense Annegret Kramps Karrenbauer, le Ministre de la Chancellerie Helge Braun - révèlent ainsi la désorientation du parti trop longtemps dominé par la seule figure de la Chancelière. Dépourvu de contours idéologiques et d’une nouvelle génération de décideurs, l’Union chrétienne-démocrate pourrait ainsi être tentée de se régénérer dans l’opposition. 

Les élections au Bundestag du 26 septembre sont marquées par la renaissance de la sociale démocratie et par un affaiblissement historique de la démocratie chrétienne allemande. 

Paradoxalement, la victoire des sociaux-démocrates s’explique en grande partie par la capacité de leur candidat, le Vice-Chancelier et ministre des finances Olaf Scholz, à se présenter comme l'héritier naturel d’Angela Merkel. Durant ses années de règne, Angela Merkel a pratiqué avec habileté la stratégie de la "démobilisation asymétrique", qui consistait à s’approprier les projets politiques qui auraient pu servir l'ascension de ses adversaires ; en décidant la sortie de l'Allemagne du nucléaire après Fukushima, elle prive ainsi les Verts de l’un de leurs principaux arguments. En choisissant d’instaurer un salaire minimum, et en autorisant le mariage entre personnes de même sexe, elle prive les sociaux-démocrates de leurs projets de réformes.

Cette stratégie a permis à la Chancelière de se maintenir au pouvoir et, parallèlement, d'anesthésier le débat public allemand. Cette stratégie a également contribué à renforcer la sociale-démocratisation de la CDU, ce qui permet aujourd’hui au candidat du SPD de renverser cette tendance au détriment de la CDU. 

La victoire du SPD aux dernières élections est d’autant plus incontestable qu’elle se décline au niveau de différents Länder allemands. Arrivé premier au niveau fédéral, le SPD enregistre également deux victoires aux élections régionales organisées le 26 septembre, dans le Land de Poméranie occidentale, remportée par la charismatique Manuela Schleswig (39,5 % des voix) et dans la Ville-État de Berlin, remportée par Franziska Giffey avec 21,6 % des voix. Plusieurs facteurs contribuent à expliquer la victoire du SPD lors de ces élections : 

  • Le premier facteur est incontestablement lié à la personnalité d’Olaf Scholz, qui est parvenu à s’imposer durant cette campagne comme le candidat le plus crédible pour succéder à Angela Merkel à la fois du fait de son expérience politique - ancien maire de Hambourg, ancien Ministre du travail, actuel Vice-Chancelier et Ministre des finances, disposant de l'expérience nécessaire et d’une véritable stature d’homme d’état - en contraste avec les erreurs de ses principaux concurrents. 
     
  • Le deuxième facteur est lié à la campagne menée par le candidat du SPD, fondée sur la notion de "société du respect" et en mesure de donner un nouveau souffle à la sociale-démocratie allemande et européenne. 
     
  • Le troisième facteur expliquant la victoire des sociaux-démocrates est lié au nouveau débat sur la répartition des richesses qui anime la société allemande. Après 16 années attachées à renforcer les bases de la compétitivité allemande, l’Allemagne s’interroge désormais sur la possibilité d’assurer une politique plus redistributive, donnant ainsi aux propositions des sociaux-démocrates - élévation du salaire minimum et réintroduction de l'impôt sur la fortune - un écho nouveau.

La campagne sans faute d’Olaf Scholz permet désormais à l’ancien maire de Hambourg de se présenter comme le grand vainqueur de ces élections et le successeur naturel d’Angela Merkel.            

Les couleurs de la future coalition 

Pour parvenir à la Chancellerie, le candidat des sociaux-démocrates doit encore parvenir à former une coalition avec les deux partis qui lui permettront de disposer d’une majorité au Parlement. Les Verts et les Libéraux, arrivés respectivement 3ème et 4ème du scrutin, ont très vite compris le poids que leur conférerait l’issue des dernières élections. Partenaires incontournables de la coalition appelés à présider aux destinées de l’Allemagne, les Verts et les Libéraux s’imposent également comme les deux partis du changement. 

Cette volonté des Verts et des libéraux d'incarner le renouveau de la vie politique allemande s'appuie sur deux données objectives. D’une part, la carte électorale révèle une répartition des votes particulière : si la CDU-CSU l’emporte très largement dans le sud et l’Ouest de l’Allemagne, en particulier en Bavière, dans le Bade-wurtemberg et en Rhénanie du Nord Westphalie, alors que l’AfD apparaît majoritaire dans deux état de l’Est, en Thuringe et en Saxe, et que le SPD domine dans le reste du pays, les grands centres urbains sont quant à eux marqués par la victoire des Verts au dernières élections. L’analyse des votes en termes de générations marque d'autre part un clivage important.

Pour parvenir à la Chancellerie, le candidat des sociaux-démocrates doit encore parvenir à former une coalition avec les deux partis qui lui permettront de disposer d’une majorité au Parlement. 

Les jeunes, qui votaient cette année pour la première fois, ont largement plébiscité les Libéraux et les Verts. À l’inverse, les catégories les plus âgées de la population ont massivement voté pour les sociaux-démocrates et la CDU-CSU.

En choisissant de se mettre d’accord avant d'entamer les négociations de coalitions, ces deux partis en apparence opposés ont montré leur détermination à engager la modernisation du pays. Dans cette constellation, deux modèles de coalition se dégagent aujourd’hui : 

  • Le premier modèle appelé "feu tricolore" appuyé sur une alliance des sociaux-démocrates, des Verts et des Libéraux, apparaît à la fois comme la coalition la plus probable, mais également la plus problématique. Cette coalition est en effet celle qui promet le plus de contradictions entre les parties prenantes puisqu’elle oppose le SPD, qui prône une taxation accrue des hauts revenus, et le FDP qui défend sa clientèle aisée ; entre les Verts qui préconisent 500 milliards d'euros d'investissements sur dix ans et un FDP attaché à la rigueur budgétaire ; et entre le SPD qui soutient le gazoduc Nord Stream II et les Verts qui y sont opposés…
     
  • Le deuxième modèle appelé "coalition jamaïque" réuniraient l’Union des chrétiens-démocrates, les Verts et le FPD. Dans la mesure où elle placerait à la Chancellerie le candidat arrivé deuxième aux élections, cette coalition conservatrice, libérale et verte permettrait au parti libéral et au parti vert d’imposer plus largement ses vues au sein de cette coalition, dominée par un Chancelier affaibli. Plébiscitée par les libéraux, cette coalition représente une ligne de fracture au sein des Verts : si les Verts du Bade Wurttemberg y sont favorable, et bien que les Verts de Hambourg ne cessent de rappeler la difficulté qu’il y a à gouverner avec Olaf Scholz, cette constellation se heurterait à l'opposition des nouveaux députés verts entrés au Parlement, issus essentiellement de l’aile gauche du parti. Cette coalition nécessiterait par ailleurs que la candidat conservateur, Armin Laschet, dispose du soutien de son parti - ce qui est loin d'être acquis aujourd'hui. 

Le nom du Chancelier appelé à succéder à Angela Merkel est encore inconnu. Pour autant, deux éléments semblent d’ores et déjà certains : le prochain Chancelier sera plus faible que ne l’était Angela Merkel, forcé de composer avec plusieurs partenaires de coalition auquel il devra sa nomination à la tête du pays ; le prochain Chancelier poursuivra une politique centriste et pro-européenne conforme à celle d’Angela Merkel, dont l’ombre continuera encore à planer sur la vie politique du pays. En Allemagne, les 16 années d’Angela Merkel ont confirmé la stabilité de la démocratie.       

 

 

Copyright : Odd ANDERSEN / AFP   

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