Rechercher un rapport, une publication, un expert...
L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.
03/01/2018

Quel bilan pour les relations commerciales entre la Chine et l’Union européenne ? Analyse de François Godement

Imprimer
PARTAGER
Quel bilan pour les relations commerciales entre la Chine et l’Union européenne ? Analyse de François Godement
 Institut Montaigne
Auteur
Institut Montaigne

Si le développement de l’économie chinoise a pu susciter de nombreux espoirs en Europe au début des années 2000, le bilan est aujourd’hui mitigé. Entre investissements concrets et attentes déçues, l’Europe s’est confrontée à une puissance chinoise moins prête à s’engager que prévu. L’attitude européenne est-elle à la hauteur des enjeux ? Quels sont les axes de développements de la politique chinoise ? Les réponses de François Godement, directeur du programme Asie de l’European Council on Foreign Relations et senior associate à la Carnegie Endowment for International Peace.

Après des années d'espoir vis-à-vis du potentiel de l'économie chinoise pour l'Europe, que représentent vraiment les investissements réalisés ? Le bilan est-il plutôt satisfaisant ou décevant pour les Européens ?

Nous assistons indiscutablement à une montée en puissance des investissements chinois en Europe, mais répartis de façon inégale. Tandis que les investissements les plus importants reviennent à l’Europe de l’Ouest, l’Europe de l’Est se contente de prêts, liés à des projets d’infrastructures de nature plutôt commerciale. Dans sa stratégie d’investissement, la Chine s’est souvent tournée vers des acquisitions de montants parfois très élevés, qui ne sont pas forcément le fait d’une stratégie d'État mais de grands groupes hybrides. Il est néanmoins probable que nous assistions à une diminution des financements de cette nature en 2017 et 2018, en raison d’un coup de frein imposé par Pékin. En revanche, on peut s’attendre à voir augmenter des investissements moins importants en volume mais portés vers des secteurs ciblés. Parmi eux on retrouve en priorité les technologies sensibles, notamment dites “d’avenir” qui donneront naissance à l’industrie 4.0, ou les technologies duales, réutilisables dans le domaine militaire, pour lesquelles la Chine a des plans extrêmement élaborés.

Du point de vue des pays d’Europe centrale et orientale, les investissements réalisés ne sont pas à la hauteur des attentes. Alors que ces pays espéraient beaucoup des sommets 16+1, ils voient venir davantage de prêts qui leur coûteront cher que de fusions et acquisitions ou lancement de projets, supposés créer les usines et emplois attendus. Ce n’est de toute façon pas vers l’Europe que la Chine se tournerait pour ses contrats les plus ambitieux en termes de matières premières. Pour cela, elle regarde de plus en plus du côté de ses partenaires régionaux (route de la soie mais aussi Laos, Malaisie, Sri Lanka…).

Cependant, il ne faut pas oublier l’effet positif des investissements chinois dans l’ensemble de l’Europe, que personne ne nie. Reste à savoir dans quelle mesure ces investissements risquent de se retourner contre les européens, notamment dans le domaine des plans d’acquisition de technologies sensibles par la Chine, qui ne seraient pas incapables de mettre en difficulté l’avenir de l’industrie européenne et éventuellement de notre sécurité.

"Pick and choose", sommets des 16+1... Quels sont désormais les grands axes de la stratégie bilatérale chinoise vis-à-vis de l'Union européenne ?

Dans notre nouveau rapport “La Chine aux portes de l’Europe” (ECFR), nous mettons en avant le problème suivant : la Chine n’a réellement mis en oeuvre qu’une petite partie de la coopération euro-chinoise telle que fixée en 2013. Certes, des affaires de coopération anti-terroriste, de facilité d’obtention de visas diplomatiques et d’extension d’accords de coopération scientifique et technologique ont été conclues, mais elles reposent uniquement sur les objectifs chinois… De plus, nous observons un blocage depuis quelques années sur les questions de commerce et d’accords d’investissements bilatéraux, censés remplacer les nombreux accords qui existent entre chaque pays membres et la Chine.

L’Europe s’est également vu remettre une fin de non recevoir concernant les affaires liées aux droits de l’Homme, à la participation chinoise à l’aide humanitaire et aux questions concernant les réfugiés. Sur ces problématiques, entre les maigres efforts chinois et l’implication européenne, le rapport est de 1 pour 50. En matière de sécurité régionale, la coopération chinoise ne se fait également qu’en pointillés et seules quelques conversations dans le domaine de la prolifération nucléaire ont pu être tenues, mais en aucun cas un dialogue soutenu.

De même, alors qu’un accord pour une action conjointe sur le climat avait été longuement préparé entre les deux parties et que le texte était prêt, la Chine a finalement refusé de s’engager au dernier moment lors du sommet UE-Chine de Juin 2017, prétextant des différends commerciaux. Ce revirement manifeste une attitude chinoise nouvelle, capable de lier deux sujets séparés pour appuyer ses intérêts, là où l’Europe espérait un progrès dans le domaine de la coopération multilatérale.  

Diriez-vous en retour que les États qui la composent et l'Union européenne, prise comme un bloc, ont développé une stratégie chinoise crédible et efficace ?

J’observe la question depuis plus de dix ans et ce que je vois actuellement me rend plus optimiste que par le passé. D’une part, je souligne la rapidité d’action de la Commission européenne dans deux domaines très sensibles que sont :

  • La nécessité de maintenir une action anti-dumping efficace contre les biais indus dans l’économie dirigée chinoise, tout en se conformant à la fin de la période de transition de 15 ans qui avait été fixée lors de l’entrée de la Chine à l'Organisation Mondiale du Commerce en 2001.
  • Le projet de “filtrage des investissements”, qui n’attend plus que l’approbation du Conseil Européen pour être mis en fonction, et doit protéger entre autres les technologies critiques européennes.

Dans les deux cas, ces projets ne désignent pas la Chine, et ont donc l’avantage d’être compatibles avec les institutions multilatérales. Mettre de telles mesures sur pied est un véritable exploit européen. Bien sûr, des divergences d’intérêts persistent entre les pays membres, mais elles se sont davantage réduites qu’agrandies au cours des dernières années. C’est moins vrai des questions politiques (ex : Mer de Chine du Sud, droits de l’Homme…), hélas ces thématiques sont largement considérées comme secondaires par les diplomaties européennes. Par conséquent, le manque de coordination européenne engendre beaucoup plus de facilité à rompre les rangs.

Les évolutions politiques chinoises sont assez peu discutées en France, vous soutenez pourtant que la dérive autoritaire de Xi Jinping est un élément crucial de la Chine contemporaine, pouvez-vous nous en dire davantage ?

Il s’agit davantage d’une restauration que d’une dérive. L’Etat-parti affiche et affirme son idéologie comme il l’a longtemps fait, mais avec une nouveauté cependant qui est l’utilisation massive d’outils technologiques pour le contrôle des individus. Dans cette nouvelle ère, la primauté est donnée à l’autorité et aux paroles de Xi Jinping, qui a en outre mis fin à la direction collégiale. Il est effectivement possible de parler d’une forme de retour en arrière de la part du pouvoir chinois, qui cherche ainsi à assurer cohérence et continuité contre la contamination des idées libérales et démocratiques. Il restaure aussi la gestion autoritaire des problèmes de société et de l’économie – elles aussi rendues possibles par ce qu’on peut appeler “l’autoritarisme digital”. Ces politiques rompent avec un schéma d’évolution de la société chinoise vers l’individualisme et la société de marché

Recevez chaque semaine l’actualité de l’Institut Montaigne
Je m'abonne