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04/03/2021

Quel avenir pour les relations entre les États-Unis et Israël ?

Entretien avec Dominique Moïsi

Quel avenir pour les relations entre les États-Unis et Israël ?
 Dominique Moïsi
Conseiller Spécial - Géopolitique

L’arrivée au pouvoir d’une nouvelle administration américaine pose la question de l’avenir des relations États-Unis-Israël. Il apparaît que l’approche de l’administration Biden envers l’État hébreu sera caractérisée par le réalisme et le pragmatisme. Alors que de nouvelles élections se tiendront le 23 mars prochain en Israël - les quatrièmes en moins de deux ans -, Benyamin Netanyahu, qui a fait de son entente avec Donald Trump un argument de campagne majeur ces dernières années, pourrait être une nouvelle fois appelé à former un gouvernement de coalition. Dominique Moïsi, conseiller spécial géopolitique à l’Institut Montaigne, nous livre sa vision de l’avenir des relations entre Israël et son allié américain, en particulier sur la question israélo-palestinienne et le dossier iranien.

Donald Trump, que le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu a souvent appelé "le meilleur ami qu'Israël ait jamais eu à la Maison Blanche", a été le président le plus pro-israélien de l'histoire des États-Unis. Alors que Joe Biden et Benyamin Netanyahu se sont entretenus au téléphone pour la première fois mercredi 17 février, quelle relation avec Israël la nouvelle administration américaine pourrait-elle entretenir ?

La relation entre les États-Unis et Israël va demeurer étroite. Quelles que soient les positions de la nouvelle administration, Israël n’a pas d’allié plus sûr que les États-Unis, et à l’inverse, les Américains considèrent Israël comme une carte essentielle au Moyen-Orient. Bien qu'il n’y ait plus de proximité idéologique et presque "affective" comme celle qui existait entre Trump et Netanyahu - et il est évident que le gouvernement israélien souhaitait une réélection de Donald Trump -, les États-Unis et Israël feront donc preuve de pragmatisme l’un envers l’autre. Le fait qu’il ait fallu attendre trois semaines après l’investiture du nouveau président américain pour que celui-ci s’entretienne avec Benyamin Netanyahu signale tout du moins une prise de distance au sens diplomatique du terme. Cela ne signifie pas un éloignement réel, et encore moins une rupture, mais que le réalisme et le pragmatisme domineront les relations israélo-américaines dans les prochaines années.
  
Avec la nouvelle administration, un certain nombre de questions ressurgissent, notamment concernant un potentiel renouement du dialogue stratégique sur le nucléaire avec l'Iran, et le retour ou non des États-Unis dans les accords de Vienne de 2015, qui avaient été signés avec l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni, la Chine, et la Russie. Ce retour est-il envisageable ? Pour le moment, Israël a fait preuve de beaucoup de modération et de discrétion sur ce sujet, qui lui est pourtant essentiel. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce silence. Les enjeux de politique intérieure, d’abord, alors que se tiendront le 23 mars de nouvelles élections législatives, les quatrièmes en seulement deux ans. Les Israéliens s’efforcent par ailleurs de mettre en avant leurs succès dans la lutte contre le Covid-19, et notamment leur réussite exceptionnelle au niveau de la vaccination - plus de la moitié de la population est aujourd’hui vaccinée. Une troisième raison porte sur les enjeux régionaux qui se posent à Israël. Si un dialogue est relancé entre Washington et Téhéran et que les élections iraniennes qui doivent se tenir au mois de juin se traduisent par une victoire des plus radicaux des Mollahs -, ces derniers ne feront aucun compromis dans les négociations avec les États-Unis. Dans ce contexte, Israël considère que s’opposer à un sujet qui ne débouchera pas sur une percée diplomatique ne leur apportera rien de bénéfique, et n’en vaut donc pas la chandelle.

Comment l’État hébreu se prépare-t-il à ce changement de cap de la part de Washington ?

Les Israéliens semblent assez sereins concernant le changement d'administration car d’une certaine manière, Israël est déjà entré dans une ère post-américaine.

Les Israéliens semblent assez sereins concernant le changement d'administration car d’une certaine manière, Israël est déjà entré dans une ère post-américaine. L'État hébreu ressent que l'Amérique ne jouera à l’avenir plus le rôle qu’elle a tenu depuis la Guerre des Six jours de 1967, et se projette en réalité progressivement vers l’ère chinoise, pays considéré comme étant le plus intéressé par la région, comme possédant le plus de moyens, et dont l’influence est croissante au Moyen-Orient, notamment sur la question énergétique. 

Concernant la Russie, Poutine et Netanyahu entretiennent de bonnes relations. Plus d’un million de juifs russes vivent en Israël, ce qui représente environ 10 % de la population, et forment une communauté très active. Mais les Israéliens sont également conscients des limites russes. En particulier, Israël s’est davantage assimilé aux pays asiatiques qu’aux occidentaux depuis le début de la pandémie, avec des résultats similaires aux premiers.

Il s’agit néanmoins d’une évolution très longue, qui se jouera sur plusieurs décennies.

L'ambassade des États-Unis, qui a déménagé à Jérusalem sous l’impulsion de l’administration Trump, devrait y rester, selon les déclarations du nouveau Secrétaire d’État, Antony Blinken. Mais le Président Joe Biden a réaffirmé son soutien à "la solution à deux États" comme seule issue viable au conflit israélo-palestinien. Que peut-on attendre de l’administration Biden à cet égard ?

Israël sait que sur l’essentiel, Washington ne reviendra pas sur les avancées spectaculaires réalisées par l'Amérique de Trump. L’ambassade des États-Unis va demeurer à Jérusalem : c’est un acquis absolu, qui ne changera pas. Les États-Unis vont également reconnaître et soutenir les accords d’Abraham signés entre un nombre qui va aller grandissant de pays arabes et Israël, des accords reflétant l’acceptation d'Israël dans la région.
  
Concernant la question israélo-palestinienne, l’administration Biden revient en effet vers les principes de la communauté internationale, qui soutiennent que la seule solution possible est une solution à deux États indépendants et souverains. Le fait que la capitale d'Israël soit à Jérusalem n’est pas en contradiction avec cette solution. La gauche israélienne a d’ailleurs plusieurs fois mentionné que Jérusalem pouvait être la capitale de deux états : celle de l'État israélien du côté juif, et celle de l'État palestinien du côté arabe. Cependant, le point problématique est que la question palestinienne a été très largement abandonnée par les pays arabes eux-même, car ces derniers sont aujourd’hui beaucoup plus soucieux de la menace iranienne que de l’espoir palestinien d’avoir un État. Cela s’est notamment illustré avec des pays arabes aussi divers que le Soudan, les Émirats Arabes Unis, Bahreïn, le Maroc, qui ont noué des relations diplomatiques avec Israël au cours des derniers mois, avant même que des progrès soient réalisés sur la question palestinienne, ce que l’on peut en quelque sorte considérer comme une priorité donnée aux intérêts nationaux sur toute autre considération de la part de ces pays. 

À quoi peut-on s’attendre sur la question iranienne, chère à l’État hébreu ?

Le sujet de l'influence régionale de l'Iran et de son programme nucléaire a été un thème majeur de l’appel entre Joe Biden et Benyamin Netanyahu le 17 février, durant lequel les deux dirigeants ont souligné "l'importance de la poursuite d'une étroite consultation sur les questions de sécurité régionale". Lorsque Donald Trump s’est retiré unilatéralement du JCPOA en 2018, Israël - qui n’avait jamais caché son opposition à l’accord - avait soutenu la décision de son homologue américain de durcir les sanctions envers l’Iran. Aujourd’hui, les intérêts fondamentaux de la communauté internationale - qui ne se réfère pas seulement à Israël, l’Arabie saoudite, les États-Unis ou encore l’Union européenne, mais également à la Russie, la Chine et la Turquie - n’ont pas changé. Elle souhaite éviter à tout prix un Iran nucléaire, car cela entraînerait une course aux armements nucléaires dans l’ensemble de la région. Ainsi, la question iranienne est de loin la plus importante pour Israël, et plus largement pour la région du Moyen- Orient.
  
Du point de vue iranien, le régime n’est néanmoins pas prêt à abandonner l’ambition de se nucléariser, pour plusieurs raisons. D’abord, les Iraniens ont tiré les leçons du renversement du régime de Saddam Hussein en 2003. Pour dissuader les États-Unis, Israël et les autres pays de les attaquer, leur unique solution est de posséder l’arme absolue, l’arme nucléaire. Au-delà de la défense du pays, l’arme nucléaire est perçue comme une garantie de survie du régime des Mollahs, une revendication nationaliste très populaire auprès de la majorité du peuple iranien. Il faut donc à tout prix éviter que l'Iran se nucléarise, tout en évitant absolument d’entrer en guerre avec Téhéran. Qu’est ce qui est le plus dangereux, un Iran nucléaire ou la guerre avec l'Iran ? Donald Trump avait déclaré l’Iran nucléaire comme plus dangereux, tandis que Barack Obama considérait que les deux l'étaient également. Joe Biden semble plus aligné avec ce dernier.
  
Cependant, nous ne sommes plus en 2015 et les choses ont évolué, dont la position des États-Unis sur ces questions. En 2015, Barack Obama accordait une grande priorité au JCPOA par exemple, ce qui n’est pas le cas de Joe Biden aujourd’hui. Sa priorité est d’abord interne : réconcilier les Américains. Et sur le plan externe, elle est davantage tournée vers la Chine et l’Asie que vers le Moyen-Orient. 

Il y a par ailleurs un équilibre psychologique différent depuis 2015, particulièrement entre Israël et l’Iran. Israël se sent aujourd’hui psychologiquement très fort, en raison de la reconnaissance de l’État hébreu par un nombre croissant de puissances arabes, sans même que le pays n’ait eu à faire de concessions sur la question palestinienne. Le soft power d'Israël a également grandement bénéficié de l'épidémie du Covid-19 : Israël est devenu un modèle de réussite, tandis que l’Iran est le pays le plus touché par la pandémie au Moyen-Orient à ce jour.

Israël est devenu un modèle de réussite, tandis que l’Iran est le pays le plus touché par la pandémie au Moyen-Orient à ce jour.

Les Israéliens regardent donc ce qu’il se passe avec une certaine distance, tandis que les Iraniens souffrent des sanctions américaines sur un plan économique et aimeraient gagner du temps en se montrant prêts à revenir dans les négociations également, mais sans pour autant accepter les conditions américaines. Cela illustre le bras de fer entre Téhéran et Washington, avec d’un côté les États-Unis qui cherchent à imposer le retour des inspecteurs de l'AIEA en Iran pour vérifier les installations nucléaires - pour pouvoir envisager des négociations -, et à l’inverse l’Iran qui lutte pour une suppression des sanctions économiques ainsi que pour le retour des États-Unis dans le JCPOA tel qu’il était en 2015, pour pouvoir envisager une reprise des négociations. Pour le moment, les positions de Washington et Téhéran sont trop éloignées pour imaginer une percée rapide. Les Iraniens préfèrent-ils sauver l'économie du pays ou bien posséder l’arme nucléaire au risque de fragiliser encore plus le régime ? C’est la grande question qui se pose à eux.
  
Enfin, les Européens (la France tout particulièrement) considéraient que les États-Unis s’étaient trop empressés dans la signature des accords de Vienne : les Iraniens ne s’étaient alors pas engagés sur une période assez longue, et il aurait surtout fallu élargir l’accord, dans le temps, mais également dans ses thématiques. Les Iraniens auraient dû s’engager non seulement sur la question des armes nucléaires, mais également sur celle des missiles balistiques, ainsi que freiner leurs ambitions d’expansion régionale. C’est encore d’actualité aujourd’hui, alors que Téhéran joue un rôle déstabilisateur, notamment au travers d’attaques sur des positions américaines en Irak, de son rôle aux côtés du Hezbollah au Liban, dans la guerre au Yémen avec le mouvement Houthis, mais également en Syrie. Bref, une percée diplomatique sera difficile. 

Copyright : DEBBIE HILL / AFP / POOL

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