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28/01/2019

Quel avenir pour la transition énergétique ?

Entretien avec Patrice Geoffron

Quel avenir pour la transition énergétique ?
 Patrice Geoffron
Professeur d’Économie à Dauphine

Du 22 au 24 janvier dernier, les Assises européennes de la transition énergétique ont pris place à Dunkerque. Cette 20e édition, ouverte par François de Rugy, ministre de la transition écologique et solidaire, mettait les stratégies et enjeux territoriaux au coeur des ateliers, débats et assemblées qui la composaient. Patrice Geoffron, spécialiste des industries de réseaux, est directeur du Centre de Géopolitique de l’Energie et des Matières Premières et professeur d’économie à l’Université Paris Dauphine. Il a participé à ces Assises et revient, pour l’Institut Montaigne, sur les échanges qui s’y sont tenus.

Quels étaient les principaux enjeux des Assises européennes de l’énergie qui se tenaient à Dunkerque du 22 au 24 janvier dernier ?

Ces Assises ont, depuis les origines, un "spectre" très large : il s’agit de mélanger les acteurs de la transition (collectivités publiques, entreprises, ONG,…) et de croiser les angles (filières énergétiques bas carbone, efficacité, mobilité, ville durable…) de sorte qu’il est délicat de dégager des enjeux principaux. Toutefois, chaque édition est marquée par le territoire et l’actualité dans lesquels elle s’inscrit. Le territoire, cette année, était celui de la Communauté Urbaine de Dunkerque, espace à la fois très densément industriel et très engagé dans des démarches d’économie circulaire. Quant à l’actualité, il est évident que les conditions d’apparition du mouvement des "gilets jaunes" (en réaction, initialement, à une taxe environnementale) et l’ouverture du grand débat national (avec la "transition écologique" comme premier volet) planaient sur les échanges durant ces Assises. Avec, plus que jamais probablement, la conviction que la transition devait être inclusive, pour espérer avancer.

Dans le contexte des gilets jaunes, la fiscalité environnementale souffre de nombreuses contestations. La réglementation peut-elle s’avérer plus efficace que la taxation ?

Ma perception est qu’il ne faut rien exclure dans la boîte à outils : une réglementation plus stricte, sur le diesel, plutôt qu’une taxe aurait sans doute produit les mêmes effets. Quels que soient les outils, s’ils se traduisent par une pression sur des ménages qui n’ont pas la possibilité d’adapter leurs usages (en roulant moins, ou en changeant de véhicule), ces derniers ne peuvent produire que de l’incompréhension, a minimaPour ce qui est de la France, grand territoire peu dense dans l’Union européenne, ces tensions sur les transports personnels sont nécessairement plus vives qu’ailleurs : Allemagne, Italie et Royaume-Uni ont des densités de population de 40 à 60 % plus élevées que la France, ce qui modifie la problématique des transports (ainsi que de la proximité des services publics, autre sujet de revendication). Il me semble que nous avons perdu la vision d’ensemble : nos concitoyens seraient sans doute près à des efforts si, par exemple, en parallèle à une montée de la fiscalité carbone, un effort particulier avait été réalisé sur la rénovation dans le logement. Dans ce cas, l’effort consenti sur les carburants trouverait une contrepartie "visible". Ce qui revient à dire que, jusqu’alors (et en dépit de plus de dix années de débats inaugurées avec le premier Grenelle, en 2007), l’intérêt pour nos concitoyens de la transition énergétique est resté très "théorique". Comme, finalement, il s’agit de réduire une facture d’imports de pétrole (essentiellement) et de gaz qui pèse de l’ordre de 50 milliards d’euros (2 % du PIB environ), il me semble qu’il y a matière à convaincre : une collectivité qui importe presque 100 % de son pétrole et de son gaz a un intérêt à transformer cette dépendance en valeur ajoutée et en emplois locaux.

La coopération à l’échelle européenne est-elle réaliste ?

L’Europe n’est pas configurée pour stimuler des larges coopérations industrielles, et particulièrement en matière énergétique. "L’Airbus de l’énergie", parfois évoqué, constitue une image plaisante, mais peu réaliste : parce que, depuis le Traité de Rome, chaque État-membre garde la main sur son mix. En revanche, l’UE gagnerait sans doute à sortir les investissements bas carbone du calcul des déficits et des dettes publiques. Si l’Europe, pionnière dans la lutte contre le changement climatique et architecte de l’Accord de Paris, veut ancrer un leadership industriel, elle doit mettre en cohérence sa comptabilité publique avec ses ambitions. La concurrence avec la Chine et les Etats-Unis (même hors de l’Accord de Paris) est d’ores et déjà très vive. L’Agence Internationale de l'Énergie (dans son dernier World Energy Outlook) indiquait que, sur les 2 000 milliards d’investissements annuels, au niveau mondial, dans le champ énergétique, 70 % sont impulsés ou encadrés par les Etats (directement par des entités publiques, sous la forme de tarifs garantis, de prêts bonifiés, de subventions,…). Autrement dit, des Etats désargentés perdent leur pouvoir d’accélération de la transition et peinent à atteindre les objectifs collectifs de l’UE.

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