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28/10/2019

Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 : sortir de l’approche court-termiste

Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 : sortir de l’approche court-termiste
 Claude Le Pen
Auteur
Professeur d'économie de la santé à Paris-Dauphine (groupe Santé)

Il est rare qu’un PLFSS – document plutôt technique – suscite autant de remous politiques que la version 2020, y compris dans des cercles proches de la majorité. La raison, c’est bien sûr la décision gouvernementale de faire porter par la Sécurité sociale le coût de la loi portant sur les mesures d'urgence économiques et sociales (MUES) prises en décembre 2018 pour calmer la révolte des gilets jaunes (notamment l’avancement au 1er janvier de l’exonération de charges sociales sur les heures supplémentaires et le retour à un taux de CSG réduit à 6,6 % pour les retraités modestes). Comme, par ailleurs, la croissance en 2019 est plus atone que prévue (1,4 % contre 1,7 % anticipé), on assiste à un spectaculaire retour du "trou de la Sécu". Au lieu de l’excédent attendu de 700 millions d’euros pour le Régime général et le Fonds de Solidarité Vieillesse (FSV), c’est finalement un déficit de 5,4 milliards d’euros qu’il faut enregistrer pour 2019 avec une prévision de 5,1 milliards d’euros pour 2020. Le retour à l’équilibre est repoussé à 2023 :  quatre ans de perdus….   

Un pas de plus vers une étatisation de la Sécurité sociale ?

Le gouvernement soutient qu’il importe peu que l’effort financier demandé suite à la crise des Gilets jaunes soit supporté par le budget de l’État ou par celui de la Sécurité sociale : dans les deux cas, il s’agit d’argent public. Certes, mais en terme symbolique, charger la protection sociale n’est pas neutre.

Le gouvernement soutient qu’il importe peu que l’effort [...] soit supporté par le budget de l’État ou par celui de la Sécurité sociale : dans les deux cas, il s’agit d’argent public.

C’est, d’une part, lui imputer une sorte de responsabilité dans la situation actuelle et, d’autre part, la sommer de trouver en son sein les mesures d’économies adéquates pour réduire un déficit qui n’est pas de son fait. C’est aussi, comme l’ont noté certains parlementaires, un pas de plus vers l’étatisation de la Sécurité sociale au détriment du principe d’autonomie porté par un "modèle de 1945" de plus en plus démantelé.

L’article 10 du projet de loi prévoit d’ailleurs, sous couvert de simplification, de "développer les synergies" entre la Direction Générale des Finances Publiques (DGFiP) et les Unions de Recouvrement des cotisations de Sécurité Sociale et d’Allocations Familiales (URSSAF) dans la perspective d’une unification à terme (2025) des sphères fiscales et sociales. Comme tous ses prédécesseurs depuis le début des années 1990, ce gouvernement pousse à une étatisation de la Sécu, qui pourrait se justifier à certains égards, tout en refusant de l’assumer politiquement.

L’absence de "souffle réformateur" du projet de loi

Mais ce PLFSS est aussi décevant car on y cherche en vain un quelconque souffle réformateur, alors que le gouvernement a engagé, à travers le Plan "ma Santé 2022", une réforme structurelle de notre système de santé, promue en grande pompe par le Président en personne et plutôt bien accueillie par un monde de la santé facilement porté à la critique. Une seule mesure l’évoque : la "dotation de responsabilité territoriale" accordée contractuellement aux "hôpitaux de proximité" (article 24) dont le développement constitue un axe fort du Plan. Mais la dotation est modeste (100 millions d’euros) et on en reste aux 243 hôpitaux de proximité existants, loin de l’objectif de 500 à 600 labellisations. Des velléités réformatrices rattrapées par des contraintes gestionnaires, ce qui n’est malheureusement pas nouveau.

En l’absence de souffle réformateur, le PLFSS 2020 en revient à sa logique habituelle, budgétaire et court-termiste, à l’œuvre depuis plus de dix ans : il injecte cinq milliards d’euros dans le système de santé, via l’Objectif national de dépenses de santé (ONDAM), tout en lui demandant 4,2 milliards d’euros d’économies. L’année dernière (PLFSS 2019), le chiffres étaient respectivement de 5,1 milliards d’euros en plus et de 3,8 milliards d’euros en moins. L’année d’avant (PLFSS 2018) de 4,5 milliards d’euros et de 4,2 milliards d’euros. Sur les dix dernières années, à travers ce double mécanisme, la collectivité a injecté 43 milliards d’euros de ressources nouvelles dans le système d’assurance maladie tout en imposant aux acteurs 35 milliards d’euros d’économies, essentiellement à travers des "ajustements tarifaires", des mesures de restructuration et des actions visant à la "pertinence des soins".

Des économies qui reposent essentiellement sur le secteur industriel

Cette année, sans originalité, les mesures tarifaires portent essentiellement sur le médicament (920 millions d’euros), les dispositifs médicaux (200 millions d’euros), les laboratoires d’analyse biologique (205 millions d’euros) et les radiologues (60 millions d’euros) ; les "usual suspects". Les mesures structurelles visent surtout l’hôpital public, sommé de développer la chirurgie ambulatoire et d'accroître sa "performance interne" notamment en matière de politique d’achat. Aux médecins généralistes et spécialistes, il est demandé de maîtriser leurs prescriptions et de favoriser les génériques. Les industries de santé (pharmacie et technologies médicales) portent à nouveau à eux seuls près de la moitié de l’effort collectif.

Ce mécanisme – propre aux LFSS et pas simplement à la version 2020 – impose au monde de la santé une croissance contrainte pratiquement égale à la moitié de la croissance spontanée que l’on observerait à législation constante. Notons son caractère asymétrique : les cinq milliards d’euros injectés annuellement dans le système, rapidement absorbés et dilués dans les 205 milliards d’euros de dépenses totales, sont largement invisibles aux acteurs.

Les industries de santé (pharmacie et technologies médicales) portent à nouveau à eux seuls près de la moitié de l’effort collectif.

En revanche, ceux-ci perçoivent parfaitement et ressentent cruellement les milliards d’économies ciblées qui leur sont adressées, par voie tarifaire ou par voie organisationnelle. Avec une préférence pour les premières qui portent leurs effets dans l’année, horizon indépassable des LFSS. L’implacable récurrence des efforts ressentis année après année fait du PLFSS un vecteur de découragement et de tensions chez les acteurs de la santé.

Une logique annuelle remise en question

D’où la question que certains n’hésitent plus à soulever : la logique des LFSS, issues du Plan Juppé de 1996, est-elle encore pertinente ? Dès lors que les nécessaires réformes du système de santé sont bloquées par des évènements conjoncturels plus ou moins prévisibles, dès lors que la vision politique réformatrice se trouve suspendue aux aléas des 12 prochains mois, dès lors que les acteurs de santé, notamment ceux qui consentent des investissements à long terme, peuvent voir leur équilibre financier menacé par des mesures votées un 23 ou un 24 décembre avec application au 1er janvier suivant, la question doit en effet être posée de la pérennité de ce dispositif.

N’a-t-il pas atteint ses limites ? Ne peut-on pas envisager d’autres solutions, par exemple cette fameuse loi de programmation à cinq ans qui avait été évoquée durant la campagne électorale par le président de la République lui-même ? Ou la mise en place d’un ONDAM pluriannuel, comme le recommande un récent rapport Médicaments innovants : prévenir pour mieux guérir publié par l’Institut Montaigne, sur l’accès aux traitements innovants ? Ou encore l’adoption d’un Pacte Innovation Santé 2025, proposé dans le rapport Innovation en santé, soignons nos talents pour créer de la stabilité et de la prévisibilité à long terme pour l’ensemble des acteurs, côté public comme privé ? On peut espérer que les contradictions propres au PLFSS 2020 fassent avancer le débat.

Copyright : PHILIPPE HUGUEN / AFP

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