Dans l’immédiat c’est le prix du pétrole qui représente la denrée stratégique et c’est l’Arabie saoudite qui se trouve sous pression pour augmenter sa production. Or Riyad et Moscou coordonnent depuis six ans leur politique de production et régulent à eux deux le marché mondial dans le cadre du partenariat dit OPEP+. Celui-ci a fait les preuves de son efficacité durant la pandémie et Riyad a tout intérêt à le préserver aussi longtemps qu’il le pourra, peut-être en augmentant sa production de quelques centaines de milliers de barils par jour, mais évitera de faire cavalier seul aux dépens de la Russie. Les Émirats, qui aimeraient jouer le rôle neutre d’une Suisse moyen-orientale, sont soucieux surtout de protéger les avoirs russes massifs placés dans leurs institutions financières et leur économie. Ils se sont abstenus de condamner la Russie au Conseil de sécurité avant de constater que la Suisse elle-même s’est jointe aux Occidentaux pour barrer l’accès des Russes au système financier. Cette posture sera difficile à maintenir si le conflit venait à durer ou s’aggraver. Les monarchies du Golfe dépendent en définitive de la protection américaine pour leur sécurité et seraient sans doute contraintes de rentrer dans le rang si Washington décidait de peser de tout son poids.
Pour la Turquie, enfin, c’est le moment de vérité. Erdogan aura tout essayé pour éviter le conflit. Avec le déclenchement de la guerre, il se trouve sur la corde raide. Pourra-t-il sauver la relation construite avec la Russie au cours de la dernière décennie ? Comment concilier ses obligations au sein de l’OTAN, d’une part, et sa dépendance accrue à l’égard de la Russie, notamment au plan énergétique, d’autre part ? Comment éviter qu’en interdisant le passage du Bosphore et des Dardanelles aux navires militaires russes se dirigeant vers les côtes sud de l’Ukraine il ne mette à risque sa position en Syrie construite depuis dix ans ? Provoquer Poutine c’est courir le risque que celui-ci donne un feu vert à Assad pour lancer une offensive dans le nord du pays qui résulterait en un exode massif vers la Turquie de nouveaux réfugiés.
Face à la guerre en Ukraine, les enjeux globaux sont entrés soudain en collision avec les stratégies des différents acteurs du Moyen Orient, sommés chacun de choisir son camp tandis qu’ils voient leurs arrangements respectifs avec la Russie compromis pour un conflit qui ne les concerne pas directement. Il reste que Moscou n’a pas d’alliés réels dans cette région sur lesquels compter pour affaiblir la stratégie occidentale de sa mise au ban de la communauté internationale. Le Président français a d’ores et déjà rappelé aux princes du Golfe les intérêts qui les lient à la France et à l’Europe. Joe Biden, lui, n’a pas encore mis tout son poids pour obtenir un alignement de tous les alliés et protégés de l’Amérique.
Copyright : DELIL SOULEIMAN : AFP
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