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30/01/2018

Paul Kagamé, "l’homme fort" de Kigali, fera-t-il de l’Union africaine une "institution forte" ?

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Paul Kagamé,
 Michaël Cheylan
Auteur
Contributeur sur les questions africaines

Des sentiments ambivalents. Voilà ce que suscite Paul Kagamé, le président du Rwanda, qui vient de prendre officiellement la tête de l’Union africaine à l’occasion de son 30ème sommet ordinaire, les 28 et 29 janvier à Addis-Abeba en Ethiopie. Deux décennies auront suffi à cet ancien chef militaire rebelle pour faire de ce pays de 12 millions d’habitants, logé au cœur de l’Afrique des Grands Lacs, l’un des parangons africains en matière de bonne gestion et de bonne gouvernance.  

En termes de liberté et de démocratie, le bilan, en revanche, est tout autre. Paul Kagamé est devenu président en 2000. Et il peut le rester, en théorie, jusqu’en 2034, lui qui a été élu pour la quatrième fois en 2017 avec 98 % des voix.  

Il reste qu’en Afrique, Paul Kagamé, demeure très populaire. "C’est le Lee Kuan Yew du continent africain", glisse un diplomate occidental en poste à Kigali. "Chez nous, les résultats sont visibles. Logiquement les membres de l’UA se sont dit que ce qui avait été fait au Rwanda, il pouvait le faire sur le continent", explique Olivier Nduhungihere, le secrétaire d’État aux Affaires étrangères rwandais. 

De fait, ceux qui se rendent à Kigali en reviennent souvent enthousiasmés et rapportent la même anecdote : la propreté des rues, sans équivalent sur le continent.Une image allégorique censée incarner à elle-seule la bonne gouvernance. C’est sans doute elle qu’avaient à l’esprit les chefs d’État et de gouvernement de l’Union africaine lorsqu’il s’est agi, en juillet 2016, de désigner un des leurs pour mener à bien la réforme de l’institution panafricaine, décriée pour son manque d’ambition, d’efficacité et ses lourdeurs bureaucratiques. 

A chaque blocage doit correspondre une solution

"Ce qui fait la différence entre Kagamé et nombre de ses pairs sur le continent ? Cela tient en deux points. La volonté de réformer et le souci de l’efficacité", glisse un membre de la commission de l’Union africaine. De fait, il existe une "méthode Kagamé" pour réformer. C’est de celle-ci dont il compte s’inspirer pour dépoussiérer l’UA

Une entreprise qui, en réalité, a déjà commencé. D’emblée, Paul Kagamé a mis sur pied un comité de pilotage composé de personnalités qualifiées issues, non du sérail politique, mais de la Banque africaine de développement (BAD), du cabinet de conseil McKinsey, etc., sans égard pour l’origine géographique et les sacro-saints équilibres qui siéent à ce genre d’institution. "Seule la compétence importe", glisse l’une d’entre elles. Chaque mois, des réunions de suivi (d’une durée de sept à huit heures parfois) sont organisées, l’occasion notamment de vérifier si les objectifs assignés la fois précédente ont été atteints. A chaque blocage doit correspondre une solution. 

Et parce que le temps compte, "plutôt que d’attendre les sommets, où sont d’abord consultés les représentants permanents, puis le conseil exécutif et enfin les chefs d’État, le président rwandais organise des séminaires avec ses pairs, au cours desquels des mesures sont symboliquement adoptées", explique le journaliste Michael Pauron. Et pour accélérer encore la prise de décision, il n’hésite pas à dépêcher sa ministre des Affaires étrangères, Louise Mushikiwabo, dans les différentes capitales africaines. 

En outre, pour assurer la continuité dans une institution où la présidence (tournante et non renouvelable) ne dure qu’un an, Paul Kagamé, dont les relations avec le président de commission de l’UA, Moussa Faki Mahamat, sont très fluides, a décidé de gouverner via une troïka, composée de l’ancien, de l’actuel et du futur président de l’Union africaine. Ainsi, le travail du président rwandais avec ses homologues guinéen Alpha Condé et égyptien Abdel Fattah Al-Sissi a débuté il y plusieurs mois déjà.

Dans son esprit, le magistère de l’action doit remplacer celui de la palabre

Enfin, le chef de l’État rwandais, qui ne veut pas d’une présidence anodine ou de routine, a une vision pour l’Union africaine. Mais pour la mettre en œuvre, il est conscient qu’il faut tout d’abord que l’UA ait les moyens de ses ambitions, d’où sa volonté de relever le taux d’auto-financement de l’institution, dont le budget dépend aujourd’hui à près de 80 % de contributions extérieures, en instaurant notamment une taxe de 0,2 % sur certains produits d’importation. Pour Paul Kagamé, c’est une question de priorité. "Vouloir sans pouvoir, cela ne sert à rien", a-t-il coutume de dire à ses visiteurs. Dans son esprit, le magistère de l’action doit remplacer celui de la palabre. 

Paul Kagamé réussira-t-il à réformer l’ex-Organisation de l’Union Africaine, devenue Union africaine en 2002 ? Quoi qu’on pense du personnage, il faut le souhaiter. Pour l’Afrique d’abord, qui a besoin d’un leadership plus incarné et resserré pour peser dans les instances internationales. Pour le monde ensuite – et l’Europe en particulier –, qui a besoin d’un interlocuteur crédible et influent à l’échelle du continent afin de régler en commun des questions qui sont de plus en plus transcontinentales (développement partagé, réchauffement climatique, migration, lutte contre le radicalisme et le terrorisme, etc.). 

Le 11 juillet 2009 à Accra, la capitale du Ghana, Barack Obama, alors président des États-Unis, avait déclaré dans un discours resté célèbre :"l’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, mais d’institutions fortes". On ne saurait en disconvenir. Il reste toutefois, qu’aujourd’hui, l’homme fort de Kigali est probablement l’un des très rares dirigeants sur le continent capables de faire de l’Union Africaine une institution forte.  

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