De ce point de vue, la "Delivery Unit" de Tony Blair n’est pas un précédent très encourageant : créée en 2001, elle n’a pas survécu à l’alternance politique de 2010, et ses recréations sous de multiples formes, de l’"Implementation Unit" de Cameron en 2010, aux "Single Departmental Plans" créés en 2015, en passant par les "Permanent secretary objectives" de 2012. Les plans ministériels publiés sur le site du gouvernement britannique offrent certes une vue exhaustive des objectifs assignés aux différents ministères, mais n’offrent guère la possibilité d’une mobilisation collective au service de priorités partagées.
C’est plus au nord, en Écosse, que s’est structurée une autre manière de piloter l’action publique : le "National Performance Framework", mis en place en 2007, et modifié en 2018 à la suite d’une consultation nationale de grande ampleur associant le parlement et la société civile, permet de suivre dans la durée 81 indicateurs construits par un dialogue national, déterminés par des enquêtes statistiques de grande qualité, dont les données sont publiées en open data par l’office écossais des statistiques. Répartis en dix grandes catégories (enfants, communautés locales, économie, éducation, environnement, travail, santé, droits de l’homme, international, pauvreté), ils offrent une radiographie en profondeur de la société, une boussole collective pour tous les acteurs de l’action publique, et un instrument permettant de structurer une analyse partagée. Aurions-nous été pris par surprise par le mouvement des Gilets jaunes, si un pareil tableau de bord avait existé ? En passant en revue tous ces indicateurs, on est saisi par le sentiment de l’urgence à mettre en place un tel instrument pour guider, et surtout expliciter nos choix collectifs.
Prendre modèle sur l’Écosse serait à coup sûr une révolution culturelle pour une élite politico-administrative française habituée à l’idée de sa centralité. Mais la dernière enquête sur les attitudes sociales des Écossais, réalisée en 2019-2020, peut nous faire réfléchir : depuis 2004, la proportion de personnes considérant que les gouvernement écossais sait écouter les gens avant de prendre des décisions a augmenté de 19 %, passant de 32 à 51 %, tandis que le pourcentage de ceux qui estiment qu’il est important de voter pour les élections au parlement écossais est passé de 78 à 94 %. Volonté de s’affirmer face au gouvernement de Londres, sans doute, mais certainement aussi sentiment de participer à l’élaboration et à la mise en œuvre d’une action collective dont les règles et les objectifs sont exposés pour être partagés.
Alors, "Delivery Unit" ou "National Performance Framework" ? Les deux sont en réalités indispensables et complémentaires : une équipe œuvrant au sein du gouvernement pour animer une action interministérielle au service des grandes priorités politiques de l’exécutif, et une plate-forme partagée par tous les acteurs de l’action publique pour élaborer un tableau de bord permettant d’élaborer une vision de long terme de notre société et de notre économie. C’est dans la rencontre de ces deux démarches que peut se reconstruire la confiance dans l’efficacité d’une action publique démocratique. On commence quand ?
Copyright : Ludovic MARIN / AFP
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