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19/02/2020

Municipales 2020 : vers une recomposition politique locale ?

Trois questions à Bruno Cautrès

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Municipales 2020 : vers une recomposition politique locale ?
 Bruno Cautrès
Chercheur au CNRS et au CEVIPOF

Depuis les élections municipales de 2014, le paysage politique français a connu une recomposition inédite, notamment avec l’éclatement du bipartisme, l’apparition de LREM et l'arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir. Alors que les élections municipales se tiendront dans quelques semaines, que sont devenus les électeurs de 2014 à l’aune de ces bouleversements ? Décryptage par Bruno Cautrès, chercheur au CNRS et au CEVIPOF, et contributeur au Baromètre des Territoires 2019 de l’Institut Montaigne.

Les élections municipales se caractérisent par une grande dispersion des candidatures et la fin (apparente) du bipartisme. Ce qui s'observe au niveau des organisations partisanes se retrouve-t-il au niveau des électeurs ?

Les élections municipales de 2020 vont enregistrer une partie des évolutions du paysage politique national. Elles ne peuvent pas être totalement détachées des évolutions qui se sont développées depuis l’élection présidentielle de 2017. Les grandes forces politiques historiques bousculées par le résultat des élections présidentielles et législatives de 2017 ne s’en sont toujours pas remises en termes de stratégie politique ou de stratégies d’alliance mais aussi en termes d’offre programmatique. Les élections municipales vont porter en partie la trace de ces transformations du système politique et des réalignements électoraux qui s’en sont suivi.

Cependant, cet impact du séisme de 2017 va être atténué et filtré par les particularités locales des élections municipales. Dans les 35 000 communes de France, les municipales sont des élections où régulièrement, le vote ne répond qu’en partie à la proximité partisane des électeurs. L’ancrage et l’ancienneté du maire sortant, son bilan et le nombre de ses réalisations, jouent un rôle important au moment de la campagne électorale. Tout un ensemble de particularités locales font des élections municipales des élections à deux niveaux plus ou moins bien emboîtés : elles enregistrent des tendances nationales tout en conservant une importante dimension locale.

L’ancrage et l’ancienneté du maire sortant, son bilan et le nombre de ses réalisations, jouent un rôle important au moment de la campagne électorale.

Il ne faut d’ailleurs pas oublier qu’une très large majorité des communes françaises sont de petite taille (moins de 3 500 habitants), ce qui accentue cette dualité et la tire du côté local. Il n’est pas rare que des électeurs votent pour le maire sortant indépendamment de son affiliation politique, mais en prenant en considération son bilan et ses réalisations. Dans les petites communes, la dimension de proximité spatiale et sociale avec le maire ou avec une liste de candidats peut également jouer : on connaît parfois le maire ou tel candidat personnellement.

Cette dimension locale et de proximité constitue un premier filtre aux éventuelles dynamiques nationales des élections municipales. Le bilan du maire et de la majorité sortante qui se représente, constitue à cet égard un élément essentiel de la campagne municipale. Les maires en poste bénéficient d’une prime de légitimité que leur accordent leurs électeurs s'ils ont fait preuve durant leur mandat d’une bonne gestion des dossiers locaux. Ce coefficient de "bonus" joue dans les votes des citoyens, on l’appelle souvent "la prime au sortant". Ce coefficient est particulièrement fort quand le maire n’a fait qu’un seul mandat ; il s’atténue au bout du 3e ou 4e mandat.

Pour les municipales de 2020, l’une des grandes questions sera de savoir quelle est l’importance de ce facteur d’impact habituellement observé dans les élections locales : ce coefficient de bonus va-t-il jouer autant qu’avant ? Le rendement sera-t-il habituel ou euphémisé compte tenu des changements dans le système partisan et compte tenu de l’état de l’opinion ? Dans certaines villes, les logiques de soutien entre les listes des partis LR et LREM, ou alors leur concurrence, pourraient modifier et complexifier ce coefficient.
 
Cette question est centrale pour les élections de 2020. En effet, lors des élections municipales de 2014, l’UMP (devenue Les Républicains) avait gagné de nombreuses communes (plus de 160 villes de plus de 9 000 habitants) et de très nombreux nouveaux (et souvent jeunes) élus républicains sont entrés en fonction. Dans ces communes, on devrait normalement s’attendre à ce que le maire sortant l’emporte. Mais cela ne sera pas aussi simple partout compte tenu des interactions dont nous avons parlé avec la recomposition en cours du paysage politique. Normalement, en effet, un élu qui n’a fait qu’un seul mandat ne peut être sanctionné que dans certains cas : un contexte politique particulier, un bilan très décevant, un scandale municipal ou encore une vague politique nationale (un effet de swing électoral qui se répercute partout par exemple) peuvent potentiellement mettre à zéro l’effet "prime au sortant". Mais cela est assez rare. En 2020, nous ne sommes pas, par exemple, dans un contexte de fort "swing électoral". On peut donc s’attendre à un maintien des positions de 2014 suivant la logique du coefficient modérateur. Ce coefficient pourrait néanmoins voir sa valeur réduite car les forces politiques qui incarnent l’opposition ont du mal à capitaliser sur l’impopularité de la majorité ou de l’exécutif. Par ailleurs, nous aurons de nombreux cas de figure pour lesquels la lecture des résultats sera délicate compte tenu des différents scénarios d’alliance et de soutien électoral dans lesquels s’est engagé le parti présidentiel.

Que sont devenus les électeurs de 2014 ?

J’ai récemment décrypté pour le Journal Du Dimanche une étude qui observe l'évolution politique des électeurs de 2014 et leurs évolutions électorales entre 2014 et 2019 (aux élections européennes). À partir des statistiques électorales, l'étude a inséré les résultats des élections municipales de 2014 dans ceux des élections européennes de mai 2019 pour analyser, au niveau des communes, le comportement des électeurs sur ces cinq dernières années. Les résultats de cette étude illustrent des dynamiques électorales en France que nous pourrons probablement retrouver lors des municipales 2020.

Une première dynamique qui se dégage de cette étude est la montée du vote écologiste à gauche. L'étude révèle que dans les grandes villes conquises par la gauche en 2014, le vote en faveur d’EELV lors des élections européennes de 2019 s’exprime de manière importante. Ce glissement vers les Verts est notamment porté par les électeurs de centre gauche. Dans les bastions socialistes, cette percée écologiste entraîne une forte concurrence entre socialistes et verts. Les dynamiques qui s’exprimeront entre écologistes et socialistes dans les bastions de la gauche vont dire des choses essentielles sur la recomposition en cours à gauche.

Une partie du mécontentement des électeurs envers Emmanuel Macron s’est déjà exprimée lors des élections européennes de 2019.

Cette étude met en lumière une deuxième tendance : le déplacement, dans les grandes villes de droite, du vote de droite et centre-droit vers LREM. On observe très nettement le transfert des voix des partis UMP et UDI de 2014 vers LREM aux européennes de 2019. Cependant, cette tendance ne peut pas être totalement appliquée aux municipales 2020 à cause du filtre dont bénéficie le maire sortant, mentionné plus haut.

La troisième tendance qui s’exprime est la très forte loyauté de l'électorat du Rassemblement National envers leur parti. Les électeurs frontistes constituent la base électorale la plus fidèle à leur parti, et dans des proportions nettement plus élevées. En effet, le RN est le seul à ne pas avoir subi de vrai choc lié à 2017, ni de changements internes aussi profonds que les autres partis "historiques". À travers les élections locales, le parti d'extrême droite évolue vers une logique de fidélisation de son électorat : leur objectif est sans doute de conquérir de nouvelles villes (ce qui semble un pari possible pour le RN) mais plus encore de conquérir des électeurs plutôt que des villes. La fidélisation partisane des électeurs RN est forte et tout électeur conquis peut potentiellement devenir un électeur fidèle. Grâce au soutien important des électeurs à leur parti, le RN bénéficie d’un ancrage local nettement plus important qu’il y a dix ou quinze ans. Il ne faudra pas oublier, en analysant les résultats, que le RN a adopté une stratégie de conquête principalement concentrée dans les départements où le RN obtient de bons scores. L’offre électorale RN ne sera pas présente partout, mais là où elle est habituellement forte, elle sera sans doute forte à nouveau.

On peut, finalement, se demander si la dimension de "vote sanction" contre Emmanuel Macron sera dominante lors de ces élections municipales. Une partie du mécontentement des électeurs envers Emmanuel Macron s’est déjà exprimée lors des élections européennes de 2019. Mais l’impopularité actuelle de l’exécutif et le contexte social tendu peuvent néanmoins continuer d’alimenter le "vote sanction". Le niveau de mobilisation électorale et les motivations de vote seront à analyser avec attention.

Existe-t-il des particularités locales, des différences entre petites et grandes villes ?

Oui, il existe plusieurs différences dans les dynamiques électorales au niveau municipal entre les petites et grandes villes françaises. La première grande différence est le niveau d'abstention, plus élevé dans les grandes communes. En effet, l'électorat répond à des logiques socio-politiques, mais les élections municipales s’inscrivent dans une logique territoriale et anthropologique particulière : les électeurs ayant un capital social et un ancrage territorial fort au sein de leur commune sont plus participationnistes. Au contraire, dans les grands centres urbains, la population est plus jeune, moins stabilisée professionnellement et territorialement. Souvent de passage, ces jeunes choisissent de rester électeurs dans leur commune d’origine. Les grandes villes sont donc marquées par un abstentionnisme plus important.

Les électeurs ayant un capital social et un ancrage territorial fort au sein de leur commune sont plus participationnistes.

Au niveau de la proximité partisane des électeurs, on observe une deuxième différence entre petites et grandes villes. Le scrutin d’une élection municipale dans les grandes villes suit davantage les logiques d’appartenance politiques et partisanes. Dans les petites communes de 3 500 habitants ou moins, la dimension micro-locale prend une place beaucoup plus forte.

Les dossiers municipaux sont à portée de main des habitants, qui sont en mesure d'évaluer leur implantation et leur gestion. Le vote de ces électeurs est donc plus orienté par les dimensions locales que leur affiliation partisane.

Par ailleurs, dans toutes les communes (et plus encore les villes moyennes ou les petites communes), les élections municipales sont en partie "emboîtées" dans les autres échelons du "millefeuille territorial" français : sur le même territoire que la commune, ou sur une partie de celui-ci, d’autres élus existent, par exemple les députés, sénateurs, conseillers départementaux. L’ancienneté, l’ancrage, la visibilité de ces autres élus peuvent venir consolider ou au contraire rendre la tâche plus complexe pour les candidats aux élections municipales.

Enfin, les élections locales restent marquées, dans les petites communes en particulier, par l’influence de réseaux familiaux. Les élections municipales peuvent avoir une dimension très "anthropologique" à cet égard : on observe parfois des listes avec des candidats homonymes, liés par un capital social et familial. Cette stratégie a été utilisée par le RN (ex FN) en 2008 ou 2014. Dans les grandes communes, les accords entre partis politiques sont une dimension plus importante de la composition des listes de candidats.

 

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Copyright : JEFF PACHOUD / AFP

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