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13/03/2020

Municipales 2020 : un rétroviseur avant l’isoloir

Municipales 2020 : un rétroviseur avant l’isoloir
 Institut Montaigne
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Institut Montaigne

À quelques heures du premier tour des élections municipales, l’Institut Montaigne a souhaité mettre à profit son travail d’analyse effectué depuis plusieurs mois à l’occasion de son opération de décryptage de la campagne dans les onze plus grandes villes de France - et celle qui l’a précédée, il y a six ans, à l’occasion des municipales de 2014. Sans prétendre à l’exhaustivité ni à un exercice d’analyse de données, cet article propose quelques grandes clefs de lecture et de comparaison des caractéristiques de ces deux rendez-vous électoraux : qu’est-ce qui singularise cette campagne ? Quelles répercussions locales peut-on observer suite à la mutation nationale du paysage politique ? Que peut-on apprendre des programmes des principaux candidats ?

Multipolarisation, dispersion des voix et… incertitudes ?

L’étude de la campagne des municipales dans les onze plus grandes villes de France (Bordeaux, Lille, Lyon, Marseille, Montpellier, Nantes, Nice, Paris, Rennes, Strasbourg et Toulouse) fait écho aux grandes tendances politiques nationales qui se sont dessinées ces dernières années - de l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron à l’important résultat réalisé par les Verts lors des élections européennes de mai dernier. L’analyse des enquêtes d’opinion dans ces onze villes à l’approche du scrutin est évocatrice : quand, en 2014, dans chaque grande ville ou presque, il était possible sans trop d’imprudence de parier sur la présence au deuxième tour, voire sur la victoire d’un candidat issu des deux partis majoritaires (UMP ou PS), les prévisions sont tout autres pour le scrutin qui nous attend.

À l’exception de Nice où Christian Estrosi pourrait l’emporter dès le premier tour (le maire sortant distance assez nettement ses concurrents, avec 49 % des intentions de vote, contre respectivement 14 % et 13 % pour les listes de Jean-Marc Governatori et de Philippe Vardon), ce sont quatre, cinq voire six candidats qui pourraient être en mesure d’accéder au second tour dans plusieurs villes, en rassemblant 10 % des suffrages exprimés au premier - condition du maintien entre les deux tours, prévue par les règles électorales.

En 2014, les onze plus grandes villes de France avaient connu cinq triangulaires (Lille, Strasbourg, Nantes, Nice, Marseille) et deux quadrangulaires (Montpellier, Lyon). Cette année, les derniers sondages d’intention de vote disponibles dessinent a minima la perspective de triangulaires dans toutes les villes de plus de 200 000 habitants.

À Marseille, cinq têtes de listes seraient susceptibles de se maintenir au second tour (Ifop-Fiducial-La Provence) : Martine Vassal (LR, 24 %), Stéphane Ravier (RN, 22 %), Michèle Rubirola (PS, 18 %) et Sébastien Barles (EELV, 10 %) et Bruno Gilles (10 %). À Lille, le chiffre grimpait jusqu’à six têtes de liste au mois de février, avec Martine Aubry (PS, 30 %), Stéphane Baly (EELV, 18 %), Violette Spillebout (LREM, 15 %), Marc-Philippe Daubresse (LR, 11 %), Eric Cattelin-Denu (RN, 11 %) et Julien Poix (LFI, 11 %) ; depuis, il semblerait que la maire sortante ait pris davantage d’avance avec 37 % des intentions de vote (Opinionway pour Les Républicains).

En 2014, l’écrasante majorité des maires élus avait enregistré des scores supérieurs à 30 % au premier tour.

En 2014, l’écrasante majorité des maires élus avait enregistré des scores supérieurs à 30 % au premier tour. Seul le Montpelliérain Philippe Saurel avait obtenu un score de 22,94 %. Il n’y a aujourd’hui que cinq villes, parmi les onze étudiées, dans lesquelles certains candidats pourraient recueillir un nombre de voix supérieur à 30 % au premier tour : Bordeaux (Nicolas Florian et Pierre Hurmic), Lille (Martine Aubry), Nantes (Johanna Rolland, candidate PS), Nice (Christian Estrosi, candidat LR) et Toulouse (Jean-Luc Moudenc, candidat LR).

L’éparpillement des voix, qui marquera la grande évolution de ce scrutin, pourrait avoir une incidence sur la gouvernance des villes de Paris, Lyon et Marseille entre 2020 et 2026. Dans ces trois villes, en l’absence de ralliement d’une liste à une autre, il est envisageable qu’aucune majorité absolue ne se dégage au soir du deuxième tour. Dès lors, le premier magistrat de la ville, élu à la majorité relative par les conseillers municipaux - ou conseillers de Paris dans le cas de la capitale - serait dans l’obligation de gouverner avec le soutien d’autres forces politiques.

EELV dans la dynamique des élections européennes de 2019

La seconde évolution majeure que nous observons est celle de la bonne position, à quelques jours du scrutin, du parti Europe Écologie Les Verts (EELV). Selon les derniers sondages d’intention de vote, EELV serait en situation de se maintenir au second tour dans une majorité des onze villes alors qu’il ne l’était que dans les villes de Lille, Rennes et Nantes en 2014. La progression que pourrait enregistrer cette formation politique est importante. À titre d’illustration, à Paris, en 2014, la tête de liste EELV Christophe Najdovski obtenait 8,86 % des votes ; en 2020, le candidat David Belliard pourrait recueillir entre 11 et 14 % des suffrages. Cette progression est constatée dans chacune des villes. Elle est particulièrement importante à Lyon et à Strasbourg. À Lyon, la liste conduite par Grégory Doucet recueillerait 26 % des suffrages contre 8,9 % pour le candidat Etienne Tête au premier tour de 2014. À Strasbourg, Jeanne Barseghian grimperait jusqu’à 25 % contre 8,52 % pour Alain Jund en 2014.

Dans plusieurs villes (Bordeaux, Lyon, Strasbourg, Toulouse), EELV - parfois allié avec l’un des partis de gauche - est susceptible d’arriver en tête des listes conduites par des formations politiques de gauche au soir du premier tour. Cette situation consolidera le poids de cette formation dans le paysage politique français en raison, durant l’entre-deux-tours, du ralliement probable d’un certain nombre de listes de gauche à la liste conduite par le ou la candidate EELV.

Le cas des "sans étiquette"

Une autre particularité du scrutin qui nous attend réside dans l’affirmation de candidats sans étiquette susceptibles de se maintenir au second tour. Bien qu’il faille, à nouveau, ne pas aller trop vite en besogne, l’absence d’un rattachement partisan pour accéder au second tour pourrait être révélateur de la mutation de notre système politique partisan.

L’exemple montpelliérain en est une excellente illustration. Quatre des cinq candidats donnés en tête par les sondages se présentent sans étiquette.

Un verdissement général des programmes

Parmi les thématiques jugées prioritaires par les Français en 2014 (sondage TNS Sofres pour l’Association des maires des grandes villes de France) et en 2020, une constante est l’importance accordée aux sujets de développement économique et de sécurité. En revanche, à l’importance accordée par les Français aux enjeux de fiscalité locale s’est substituée la nécessité de préserver l’environnement et de développer des villes plus propres.

Ainsi, en 2020, selon le baromètre "La Voix des Territoires" réalisé par Odoxa-CGI en octobre 2019 ("Vague 1 : Le maire, ce politique pas comme les autres"), la sécurité arrive en tête des thématiques que les Français jugent prioritaires pour le mandat qu’ils confieront à leurs futurs élus municipaux (particulièrement mise en avant par les habitants des grandes villes au sein desquelles 46 % la jugent prioritaire). Suivent l’environnement et la lutte contre la pollution (36 %) et le développement économique local (35 %). Il y a donc un certain glissement, compris par les candidats, et qui se traduit en partie dans les programmes proposés. Notre analyse des programmes fait apparaître trois thématiques majeures qui sont au coeur de chacun des débats dans chacune des villes étudiées : l’écologie, le développement des transports et la sécurité.

À l’importance accordée par les Français aux enjeux de fiscalité locale s’est substituée la nécessité de préserver l’environnement et de développer des villes plus propres.

Le thème sécuritaire dépasse, en 2020, les clivages partisans, avec un nombre spectaculaire de candidats proposant des augmentations d’effectifs au sein de la police municipale (jusqu’au doublement proposé par Laurence Garnier - LR - à Nantes et par Georges Képénékian à Lyon, voire au triplement promis par Martine Vassal à Marseille) ou de fortes accélérations du développement des caméras de vidéoprotection (jusqu’à leur triplement, souhaité par la Rennaise Carole Gandon - EELV). En 2014, la sécurité imprégnait déjà un certain nombre de programmes, mais sans doute à un niveau moindre.

Intéressons-nous davantage aux évolutions des thématiques - et à la quasi disparition de certaines. Si, en 2014, la fiscalité et les finances locales prenaient une part importante de la campagne, notamment à Paris et à Rennes, cette thématique apparaît timide aujourd’hui. Les candidats ne brandissent l’arme du gel ou de la baisse la fiscalité locale que dans quelques villes : si Stéphane Ravier (RN) à Marseille souhaite une baisse des impôts locaux de 50 M€, si la Lilloise Violette Spillebout (LREM) promet de "ne pas augmenter les impôts", si la Parisienne Rachida Dati (LR) ambitionne de "ramener la dette de Paris à zéro", ou si le Niçois Philippe Vardon (RN) entend "supprimer la taxe métropolitaine", ailleurs, peu de candidats s’aventurent dans ce domaine pour promouvoir leur programme. De même, peu de candidats formulent des propositions à destination des seniors.

Autre évolution notable à la lecture des programmes, le quasi "consensus écologique". En 2014, les enjeux environnementaux n’étaient présents qu’incidemment, à travers quelques mesures à la marge. Le verdissement des programmes est frappant ; la portée environnementale d’un programme semble s’être imposée comme le gage nécessaire de la crédibilité du projet du candidat - quelle que soit sa couleur politique. Les ambitions sont nombreuses et diverses en matière de revégélatisation de la ville (des potagers chez le Marseillais Stéphane Ravier), de végétalisation des toits des bâtiments municipaux, de création de parcs et espaces verts de proximité (Georges Képénékian à Lyon), de création de "voies" ou "îlots de fraîcheur" (certains programmes évoquent aussi l’idée de "coulées vertes"), de mise en place de jardins partagés (Jean-Marc Governatori à Nice), de collectes de bio-déchets (Thomas Cazenave à Bordeaux)...

Plus marquante encore, la récurrence des promesses en matière de nombre de plantations d’arbres, avec des objectifs chiffrés qui peuvent donner le tournis : plantation d’un arbre par naissance pour Violette Spillebout à Lille, 20 000 arbres pour Martine Aubry (avec la création de "mini forêts" urbaines), 20 000 également pour Yann Cucherat (LREM), 100 000 arbres pour David Belliard (EELV), 170 000 pour sa concurrente Anne Hidalgo, 280 000 pour Jean-Philippe Vetter (LR) à Strasbourg et jusqu’à 500 000 pour Etienne Blanc (LR). Malgré les bonnes intentions avancées et les avantages d’une ville plus arborée (baisse des températures grâce à l’ombrage, absorption de CO2, cadre de vie, etc.), les chiffrages de ces mesures par l’Institut Montaigne peuvent interroger sur le surcoût qu’elles impliquent dans le budget des villes, surcoût qui aurait pu être alloué à d’autres mesures environnementales plus efficaces.

Du côté des transports, similairement, les mesures visent majoritairement à les rendre plus propres et à inciter davantage les citoyens à les utiliser. Plusieurs propositions portent sur le renouvellement du parc de transport afin de le rendre moins émetteur. L’enjeu écologique est également affirmé à travers plusieurs propositions visant à limiter la consommation énergétique de la municipalité : le Bordelais Nicolas Florian propose de remplacer toute la flotte des bennes à ordure de la ville grâce à l’hydrogène également et le Toulousain Jean-Luc Moudenc souhaite le passage à 100 % d’éclairage public en LED durant son mandat.

Traditionnellement, les élections municipales sont les deuxièmes les plus mobilisatrices, après l’élection présidentielle.

Enfin, et c’est peut-être l’une des mesures emblématiques de ce scrutin, la gratuité - partielle ou totale - des transports se retrouve dans de nombreux programmes : transports en commun et Pass Vélib gratuits pour le Parisien David Belliard, gratuité pour les mineurs et moins de 25 ans sans revenus de la Strasbourgeoise Jeanne Barseghian... Sur les cinquante-cinq candidats dont nous avons recensé les programmes, près d’une trentaine met en avant une proposition en ce sens, jusqu’à la gratuité totale (Philippe Poutou à Bordeaux ou Enora Le Pape à Rennes).

La mobilisation des électorats : la clé du scrutin

Traditionnellement, les élections municipales sont les deuxièmes les plus mobilisatrices, après l’élection présidentielle. En 2014, au niveau national, le taux de participation au premier tour s’est élevé à 63,55 % et à 62,13 % au second tour. Depuis 1983, où le taux de participation était respectivement de 78,42 % et de 79,7 % au premier et second tour des élections municipales, la volonté des citoyens de participer à ce scrutin ne s’est jamais démentie, même si l’on constate depuis cette date une baisse constante de la participation.

Étant donné la fragmentation du paysage politique français et le nombre de listes susceptibles d’accéder au second tour dans les onze plus grandes villes de France, le taux de participation et la capacité des candidats à mobiliser leurs électeurs dans les grandes villes seront plus que jamais l’une des clés de ce scrutin. Dans de nombreuses villes, les différences d’intentions de votes recueillies par les sondeurs sont infimes et la capacité de certaines listes de se maintenir au second tour se jouera à quelques milliers de voix. Les dernières heures de cette campagne auront, plus qu’en 2014, une incidence certaine sur les fusions et ralliements éventuels de l’entre-deux-tours. Il convient enfin de noter que les risques et craintes liés au coronavirus pourraient jouer à la baisse sur le taux de participation, bien qu’il soit impossible d’en évaluer l’impact à ce stade.

 

Copyright : Philippe LOPEZ / AFP & JOEL SAGET / AFP

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