Rechercher un rapport, une publication, un expert...
L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.
07/12/2017

M. Trump et Jérusalem – un nouveau signal de désengagement américain des affaires du Proche-Orient ?

Imprimer
PARTAGER
M. Trump et Jérusalem – un nouveau signal de désengagement américain des affaires du Proche-Orient ?
 Michel Duclos
Auteur
Expert Résident principal et Conseiller spécial - Géopolitique et Diplomatie

En reconnaissant Jérusalem comme capitale de l’Etat d’Israël et en lançant le transfert de l’ambassade américaine de Tel Aviv à Jérusalem, le président Trump a donc rompu avec la politique de tous ses prédécesseurs – et s’est écarté du consensus international fixé par les résolutions du Conseil de Sécurité des Nations Unies.  

Quelles pourraient être, dans l’immédiat, à court terme et à plus longue échéance, les conséquences de cette décision ?

"La reconnaissance par Washington de Jérusalem comme capitale de l’Etat hébreu aura pour premier effet de compromettre l’entreprise de relance du processus de paix entamée par M. Trump"

Dans l’immédiat, l’attention va se porter sur les réactions populaires dans le monde arabe et sur les prises de position des gouvernements de la région. On peut craindre des manifestations, voire des attaques sur les ressortissants américains ou les implantations des Etats-Unis, en particulier dans les territoires occupés ou dans des pays plus sensibles comme la Jordanie.

Depuis plusieurs années, les experts du Proche-Orient débattent de l’importance que conserve la question palestinienne dans l’opinion des pays arabes et musulmans. Certains estiment que les esprits ont évolué et que la "cause palestinienne" a perdu auprès des générations actuelles du monde arabo-musulman, beaucoup du caractère central, presque sacré, qu’elle avait dans les générations précédentes. D’autres considèrent que, sous des formes différentes d’il y a quelques décennies, de manière sans doute moins politique, le sort de la Palestine continue à revêtir une portée très forte dans la psyché arabe et musulmane. Jérusalem se situe en tout cas au cœur de la sensibilité musulmane et donc arabe.

La décision de Donald Trump pourrait de ce point de vue constituer une sorte de "reality check", à condition toutefois d’interpréter les réactions immédiates de la "rue arabe" avec circonspection : à l’époque de la transition démographique et des réseaux sociaux, le sentiment profond des peuples du Proche-Orient peut se manifester autrement que par des mouvements de foule spectaculaires ou des actes de violences - et de manière en fait plus durable.

Au-delà des réactions immédiates, la reconnaissance par Washington de Jérusalem comme capitale de l’Etat hébreu aura pour premier effet de compromettre l’entreprise de relance du processus de paix entamée par M. Trump. On peut dire avec cynisme que c’est là un effet mineur car personne ne croyait vraiment à la possibilité de progrès dans un dossier généralement considéré comme sans espoir.

"C’est d’ailleurs le timing qui surprend le plus dans la décision de M. Trump : pourquoi maintenant, au risque de tuer dans l’œuf son "initiative de paix" ?"

Le fait est cependant que le président Trump avait été très loin dans l’affirmation qu’il allait réussir à établir la paix – le "deal ultime" dans son langage -  et avait confié une mission précise en ce sens à son gendre, Jared Kushner, et à certains de ses plus proches conseillers. Ceux-ci ont multiplié les contacts dans la région et leurs idées étaient attendues pour le début de l’année prochaine.

Le poids des symboles est plus fort que la valeur des mots. Prise au pied de la lettre, la déclaration de M. Trump n’exclut pas que Jérusalem Est puisse un jour devenir capitale de l’Etat palestinien. Elle précise que les Etats-Unis réservent leur position sur le périmètre de la souveraineté israélienne à Jérusalem et rappelle même que le statut et les limites de la ville sainte ne pourront être fixés que par les parties. Il reste que M. Trump est perçu comme donnant satisfaction à Israël, sur un sujet particulièrement sensible, au mépris des droits des Palestiniens. On ne voit pas, dans ces conditions, comment M. Abbas pourrait continuer à jouer le jeu d’une attitude constructive vis-à-vis d’une médiation américaine qui fait preuve d’une telle partialité. C’est d’ailleurs le timing qui surprend le plus dans la décision de M. Trump : pourquoi maintenant, au risque de tuer dans l’œuf son "initiative de paix" ?

"Un "accord de paix" israélo-palestinien, fût-ce au rabais, aurait ouvert la voie à une normalisation des relations entre les Etats du Golfe et l’Etat hébreu."

La vraie portée de la décision américaine pourrait toutefois n'apparaitre qu’à plus long terme.

Au cours des derniers mois, une tectonique des plaques avait commencé à se produire au Proche-Orient. Elle se caractérisait notamment par un rapprochement entre l’Arabie Saoudite et ses alliés dans le Golfe d’un côté et Israël de l’autre. On soupçonnait les Etats du Golfe – et l’Egypte, dans un rôle plus classique pour elle - de seconder fortement les efforts de l’administration Trump sur la question palestinienne, c’est à dire en pratique de pousser les Palestiniens à accepter à peu près toute formule – y compris, dit-on, sur le statut de Jérusalem - susceptible d’aboutir à un règlement. Un "accord de paix" israélo-palestinien, fût-ce au rabais, aurait ouvert la voie à une normalisation des relations entre les Etats du Golfe et l’Etat hébreu. Le but ultime était bien entendu de constituer un front commun contre l’Iran.

La décision finalement retenue par M. Trump rend plus difficile pour les gouvernements arabes d’ignorer les sentiments de leurs opinions. Elle complique la reconfiguration de la région sur la base d’une grande alliance anti-iranienne. Elle fait le jeu de l’Iran qui ne manquera pas de se parer des atours du vrai défenseur de la cause de l’Islam, comme elle donne des arguments à tous les extrémistes, que l’administration Trump entend en principe combattre par tous les moyens. La Turquie de M. Erdogan risque aussi d’y trouver un prétexte supplémentaire pour s’éloigner encore plus de l’Occident.

"Si le président Trump avait voulu démontrer qu’au fond l’Amérique ne prend plus vraiment au sérieux ses responsabilités au Proche-Orient, il ne s’y serait pas pris autrement."

Tout cela n’aura-t-il pas qu’un effet conjoncturel ? C’est possible en effet. En revanche, il est probable que l’impression d’une Amérique décidément non fiable – Trump ne rachetant finalement pas Obama - va continuer à s’imprimer dans l’esprit des dirigeants de la région. La comparaison avec la Russie, capable quant à elle de prendre des risques militaires mais qui pratique une diplomatie du no-nonsense, est cruelle. Il se trouve qu’en avril de cette année, la Russie a subrepticement reconnu Jérusalem comme capitale d'Israël, mais avec des formulations qui ménageaient la sensibilité palestinienne, et sans provoquer la moindre vague (cf. annexe ci-dessous). M. Netanyahou connaît certes une heure de gloire. Il ne serait pas surprenant cependant que les responsables israéliens comme les autres dirigeants de la région commencent à réévaluer leurs options, en comprenant qu’ils peuvent de moins en moins compter sur l’Amérique.

A cela s’ajoutent les motifs de la décision du président américain : apparemment satisfaire sa base, notamment évangéliste ou certains grands contributeurs à la campagne du candidat Trump, ou tout simplement distraire l’attention de dossiers intérieurs gênants. Rien en tout cas qui soit à la hauteur des enjeux stratégiques majeurs de la région. Si le président Trump avait voulu démontrer qu’au fond l’Amérique ne prend plus vraiment au sérieux ses responsabilités au Proche-Orient, il ne s’y serait pas pris autrement.

C’est ce qui autorise à se demander si la reconnaissance de Jérusalem comme capitale de l’Etat d’Israël ne constitue pas finalement une nouvelle étape du processus de désengagement américain de la région.

Déclaration russe, 06/04/2017

"Nous confirmons notre attachement aux décisions de l’ONU sur les principes du règlement, y compris concernant le statut de Jérusalem-Est en tant que capitale du futur Etat palestinien. Nous soulignons dans le même temps que nous considérons, dans ce contexte, Jérusalem-Ouest comme la capitale de l’Etat israélien".

Peu médiatisée, cette déclaration n’avait pas entraîné le transfert de l’ambassade russe à Jérusalem. 

Déclaration américaine, 06/12/2017

Je suis arrivé à la conclusion qu’il est temps de reconnaître officiellement Jérusalem comme la capitale d’Israël. [...] J’ai jugé qu’emprunter cette route était dans le meilleur intérêt des Etats-Unis et de la poursuite de la paix entre Israël et les Palestiniens. C’est un pas que nous aurions dû franchir il y a longtemps pour faire avancer le processus de paix et travailler vers un accord de paix durable. Israël est une nation souveraine, qui a le droit comme toutes les nations souveraines de choisir sa propre capitale. Accepter ce fait est une condition nécessaire pour arriver à la paix. [...] J'ai donné l'autorisation à l'administration pour le déplacement de l'ambassade des États-Unis de Tel-Aviv à Jérusalem [...] Nous voulons un accord de paix qui soit un bon accord pour les Israéliens mais aussi les Palestiniens. La question des frontières reste aux mains des deux parties”.
 

Recevez chaque semaine l’actualité de l’Institut Montaigne
Je m'abonne