En somme, alors que la confiance des populations ultramarines dans les politiques publiques est à son point le plus bas, la promesse de l’élaboration négociée de nouveaux modèles de développement durable est le dernier horizon pour retisser le lien avec l’État et l’Hexagone. Toutefois, les tensions sociales grandissantes dévoilent le caractère éruptif de territoires qui ont vu, depuis quinze ans, les inégalités intérieures croître, après une lente et longue phase de réduction jusqu’au début des années 2000. Aussi n’est-il guère surprenant que ce soit en outre-mer, à la Réunion, que le mouvement des Gilets Jaunes ait reçu l’écho le plus profond, illustration de la défiance et de désillusions collectives, mais aussi d’attentes nouvelles.
Mayotte a été paralysée par trois mois de mouvement social début 2018. Un an plus tard, la réponse du gouvernement a-t-elle été à la hauteur du défi sécuritaire et social, alors que le quart de la population de l'île est en situation illégale ? Que retenir du récent passage du président de la République ?
Mayotte est à la fois un cas symptomatique et un cas à part. Symptomatique de la récurrence des crises qui affectent les Outre-mer et auxquelles les gouvernements apportent des réponses dans l’urgence. Mayotte est la seule entité des Comores à avoir fait en 1974 le choix, confirmé par le référendum de 1976, de rester au sein de la République française. À la différence des autres territoires ultramarins, Mayotte a une population présentant peu de différences, à 95 % musulmane. Défendue par les élus, la départementalisation qui implique des transformations juridiques et culturelles profondes, a été reçue comme une promesse par la population qui l’a plébiscitée à 95 % lors du référendum de 2009. Mais la désillusion et les tensions se traduisent jusque dans les urnes : en juin dernier, abstention massive et liste RN à 46 % !
Mayotte est bousculée par le défi démographique. En cinquante ans, la population a été officiellement multipliée par huit, de 32 607 habitants en 1966 à près de 260 000 en 2017. Un habitant sur deux a moins de 18 ans. Selon une mission parlementaire conduite en septembre 2018, plus de 400 000 personnes vivent à Mayotte, de loin le territoire ultramarin le plus densément peuplé. Cette incertitude statistique découle de la pression migratoire : un habitant sur deux est de nationalité étrangère, essentiellement des Comoriens. Or cette croissance continue et rapide de la population se traduit aussi par l’extension des formes d’habitats insalubres, les bangas, de simples cases de tôles. De véritables bidonvilles s’étendent sur des terrains instables et déclarés non constructibles.
Or, dans ce contexte, la départementalisation, qui bouleverse la société, peine à apporter les fruits annoncés. 80 % de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté hexagonal. Un tiers des habitants n’a pas l’eau courante. La crise de 2018 a mis en évidence une forme d’impuissance de l’État : pendant six semaines de grève et de blocages, du 20 février au 3 avril 2018, pour protester contre l’insécurité, les pouvoirs publics ont semblé dans l’incapacité d’agir. Face à l’impasse, le gouvernement annonce un "plan d’action pour l’avenir de Mayotte" avec l’installation sur place d’une délégation interministérielle ad hoc placée sous la houlette d’un préfet de grande autorité, Dominique Sorain, alors directeur de cabinet de la ministre des Outre-mer. Le plan, dévoilé en mai 2018, n’a d’autre objectif que de rétablir l’autorité de l’État et de réaffirmer l’inscription de Mayotte dans la France. Lors de son premier déplacement à Mayotte le 22 octobre dernier, Emmanuel Macron l’a résumé d’une formule : "La France, c’est la sécurité, la France, c’est la santé, la France, c’est l’école".
De fait, en dix-huit mois, le renforcement des forces de l’ordre et des service publics est sensible. La lutte contre l’immigration clandestine a été accentuée et les services et moyens de l’État sur place renforcés. La construction d’un nouveau centre hospitalier a été engagée tandis qu’une trentaine de nouveaux postes ont été affectés au Centre Hospitalier de Mayotte. La priorité a aussi été donnée à la construction et à l’équipement des établissements scolaires. Toutefois, les établissements sont vite débordés et les postes sont difficiles à pourvoir. Plus largement, la faible stabilisation des personnels administratifs et les difficultés d’attractivité sont un des symptômes de la fragilité de l'île.
Il est donc difficile, dans ce contexte, de conclure que la réponse forte du gouvernement sera suffisante. Il est même possible de se demander si les données structurelles du défi mahorais ne dépassent les moyens d’action actuels de l’État. Des questions de fond sur la pertinence de la transformation par assimilation à la France de la société mahoraise au XXIe siècle ne vont pas manquer de se poser de nouveau, d’autant plus que la crispation sur l’immigration clandestine sur place peut avoir des effets en retour sur l’opinion publique hexagonale. Au demeurant, depuis des années, la situation de Mayotte cristallise le débat sur l’acquisition de la nationalité française et a amené, à la suite de la crise de l’hiver 2018, le législateur à y restreindre le principe du "droit du sol" : la loi pour une immigration maîtrisée du 10 septembre 2018 le conditionne au fait qu’un des deux parents doit résider sur l'île de manière régulière.
Copyright : Helene VALENZUELA / AFP
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