La conjonction de ces éléments provoque une lecture inquiète de l'actualité par de nombreux commentateurs.
Elle engendre surtout une vague de réactions d'anciens haut-gradés : deux anciens Chefs d'état-major des armées, l'Amiral Mullen (2007-2011) et le Général Martin Dempsey (2011-2015), James Miller, ancien sous-secrétaire à la Défense pour les politiques, le Général John Allen, ancien envoyé présidentiel spécial pour la Coalition contre Daech, l'Amiral James Stavridis, ancien commandant suprême des forces alliées en Europe, ou encore le Général John Kelly, directeur de cabinet de la Maison Blanche de 2017 à 2019. Le 6 juin, le Washington Post publie même une lettre de 89 anciens officiels de la défense - dont plusieurs anciens secrétaires à la Défense comme Ashton Carter ou Leon Panetta - exprimant leur inquiétude.
Enfin, Jim Mattis, véritable légende du corps des Marines, ancien secrétaire à la Défense de Donald Trump, sort de son silence le 3 juin. C'est un moment important car, depuis sa démission en décembre 2018, il avait indiqué qu'il ne sortirait de sa réserve que si les circonstances l'exigeaient. Il condamne clairement les divisions créées ou amplifiées par Donald Trump. Il souligne également le risque qu'une militarisation de la réponse ne creuse un fossé entre la société américaine et son armée ("Militarizing our response, as we witnessed in Washington, D.C., sets up a conflict—a false conflict—between the military and civilian society.")
Au-delà de la parole d'anciens membres du Pentagone, on perçoit également au sein même de l'institution militaire une certaine gêne face à l'instrumentalisation politique, voire une certaine résistance.
Des unités de la 82ème division aéroportée ont ainsi été déployées à proximité de Washington D.C. avant d'être renvoyées dans leurs quartiers le 3 juin, redéployées autour de Washington le jour-même puis rappelées le 4 juin. Plus intéressant, Mark Esper, lors de sa conférence de presse du 3 juin, dit clairement ne pas être favorable à l'invocation de l'Insurrection Act. Le Sénateur Tom Cotton, un temps pressenti comme potentiel secrétaire à la Défense, lui répond sans équivoque : "Envoyez les troupes".
A leur tour, tant le CJCS Milley que les différents Services - armée de Terre, armée de l'Air, Marine, corps des Marines et même la toute récente Space Force - soulignent leur sensibilité aux questions de discrimination raciale tout en marquant, implicitement, leur désaccord avec le Président quant à la militarisation du maintien de l'ordre. L'armée de l'Air se distingue en particulier par l'organisation d'un dialogue passionnant entre son chef d'état major et le Chief Master Sergeant, le représentant des militaires du rang et sous-officiers, lui-même afro-américain.
Ces réactions internes et externes, ainsi que les médiatiques déclarations de la maire de Washington, Muriel Bowser, ne sont sans doute pas étrangères à la décision de Donald Trump, annoncée le 7 juin, de retirer la garde nationale de Washington, alors que les manifestations se poursuivent dans le calme.
Relations entre le politique et le militaire outre-Altantique
L'ampleur des réactions, notamment venant de l'institution militaire elle-même, s'explique par la place particulière qu'occupent les relations civilo-militaires dans la culture politique américaine.
Les Pères Fondateurs craignaient une autonomisation du pouvoir militaire (c'est un des griefs que la Déclaration d'Indépendance adresse au souverain britannique : "[he] has affected to render the Military independent of and superior to the Civil power") tout en s'inquiétant du pouvoir que l'exécutif peut tirer d'une maîtrise des forces armées (voir par exemple le Federalist Paper n°8).
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