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11/09/2019

Les populismes à l’épreuve des institutions démocratiques

Trois questions à Olivier Duhamel

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Les populismes à l’épreuve des institutions démocratiques
 Olivier Duhamel
Ancien Président de la FNSP (Sciences Po)

Dans quelle mesure les institutions démocratiques peuvent-elles résister aux politiques populistes menées dans certains pays ? Les récentes actualités au Royaume-Uni ou en Italie montrent-elles les limites de cette forme de gouvernement ? Entretien avec Olivier Duhamel, président de la FNSP (SciencesPo) et contributeur sur les questions politiques et institutionnelles à l'Institut Montaigne.

Échec de M.Salvini en Italie, revers de B.Johnson au Royaume-Uni, impasse de B.Netanyahu en Israël : l'exercice du pouvoir est-il en train de mettre à mal le "modèle populiste" ? Les populistes ne sont-ils pas plus efficaces dans l'opposition qu'au pouvoir ?

Les rapprochements que vous suggérez ont une part de pertinence, mais une part seulement. Je ne suis pas certain que l’on puisse ranger Netanyahu parmi les populistes. Les déboires de Boris Johnson sont étroitement liés aux nœuds du Brexit, plus qu’à son populisme. Quant à Matteo Salvini, l’échec pourrait n’être que très provisoire et déboucher sur un grand succès électoral le jour venu. Pour qu’il en aille autrement, il faudrait rien moins qu’une réussite nette de l’étrange attelage entre le Mouvement 5 étoiles et le Parti Démocrate, c’est-à-dire que ce gouvernement tienne dans la durée, qu’il sorte l’Italie du marasme économique et de sa crise identitaire, que l’Union européenne y contribue. Autant de conditions qu’il ne sera pas aisé de remplir.

D’une façon plus générale, "une hirondelle ne fait pas le printemps". En 2002, Viktor Orbán a perdu le pouvoir en Hongrie. Il est revenu huit ans plus tard, et gouverne depuis sans partage mais avec le soutien d’une majorité de son peuple.


Les règles du jeu démocratique et les institutions sont-elles des garde-fous efficaces pour lutter contre le populisme ?

D’un côté, elles sont protectrices. Un pouvoir judiciaire indépendant, une presse libre, une opposition intelligente contiennent quelque peu les excès d’un chef populiste. Mais d’un autre côté, ce sont les carences des pratiques politiques qui nourrissent le populisme, notamment l’isolement ou l’arrogance des dirigeants, la corruption - lato sensu - de figures emblématiques des élites.


Peut-on faire évoluer les institutions françaises et / ou européennes pour lutter contre la tendance populiste ?

S’agissant des institutions françaises, un élément de solution serait l’adoption d’une véritable proportionnelle pour que tous se sentent représentés, populistes inclus. On objecte habituellement que du coup le Président risquerait de ne plus disposer d’une majorité absolue à l’Assemblée : ce serait une excellente nouvelle, obligeant à un gouvernement de coalition et une pratique plus démocratique du pouvoir. Je suis plus sceptique en revanche sur l’extension du référendum, tant les électeurs ne répondent plus à la question posée mais recrachent leur bile à l’encontre des gouvernants quels qu’ils soient. 

Pour les institutions européennes, l’affaire devient encore plus complexe. Rien de sérieux ne peut être fait dans nombre de domaines si ce n’est au moins au niveau européen, qu’il s’agisse d’une politique de l’immigration, de la régulation et taxations des GAFA, des grands investissements publics nécessaires, de la lutte contre le dumping social et fiscal. Ajoutons que l’Europe devrait aussi engager des politiques publiques faisant sens pour les citoyens : Erasmus lycéen, création d’Instituts culturels européens à travers le monde (au moment où nombre de pays ferment ou restreignent les leurs), etc. Arrivera peut-être le moment où il faudra avoir le courage de dépasser certains tabous – jusqu’à celui même de la création d’un nouvel ensemble autour de la zone euro, voire moins ?

Last not least, nous avons plus que jamais besoin d’outils de gouvernance mondiale. Les vents soufflent en sens contraire, mais nécessité pourrait finir par faire loi. 

Les chantiers sont donc immenses. Ils n’avanceront que sous la pression de la société civile, de think tanks puissants, de médias moins court-termistes, d’universités d’excellence, d’intellectuels ne se perdant pas dans des micro-querelles égotiques lorsqu’elles ne sont pas nauséabondes…

À ceux qui jugent tout cela utopique, répondons que les nouvelles mobilisations de jeunes sur le climat devraient leur remémorer la réflexion de Romain Rolland (attribuée à tort à Gramsci) : "Pessimisme de la raison, optimisme de la volonté"
 

Copyright : Institut Montaigne / Duncan McGlynn / POOL / AFP / Nicholas KAMM / AFP

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